[2011] Accident de Fukushima : Je suis en colère

Texte écrit en réaction à la catastrophe de Fukushima le 11 mars 2011.

Je suis en colère parce que l’accident de Tchernobyl n’a pas servi de leçon. Et que l’on continue à entendre et lire les mêmes mensonges sur le nucléaire dans les médias.

Je suis en colère quand j’entends à la radio, un haut responsable du nucléaire français nous dire qu’on ne peut remettre en cause le nucléaire : « personne n’a envie de revenir à la bougie ». Que je sache, dans les pays européens qui n’ont pas de centrales nucléaires (Autriche, Danemark, Grèce, Irlande, Islande, Italie, Luxembourg, Norvège, Portugal…), y-en-t-il où l’on s’éclaire à la bougie ? Il n’y a que 441 réacteurs nucléaires dans le monde (dont 58 en France, 55 au Japon)… dans seulement 31 pays, tous les autres pays s’en passent.

Je suis en colère quand en 1979, après l’accident nucléaire de Three-Mile Island, on nous a dit que c’était parce que les Américains étaient moins forts que nous ; quand en 1986, après l’accident de Tchernobyl, on nous a dit que les Russes étaient moins forts que nous… et que je lis aujourd’hui que les Japonais sont moins forts que nous… De qui se moque-t-on ?

Je suis en colère quand on me dit que l’on peut continuer à exploiter encore des vieux réacteurs comme Fessenheim en Alsace (qui a trente ans) parce que « plus il est vieux, mieux on connait un réacteur ». Ce n’est pas parce que vous connaissez bien les défauts de votre vieille voiture qu’elle tombe moins souvent en panne et moins gravement. (Le réacteur Fukushima-Daiichi 1, qui vient d’exploser avait 40 ans et a été autorisé à continuer de fonctionner pour dix ans en février 2011 !).

Je suis en colère quand on nous dit que l’on ne peut se passer du nucléaire en France, parce que cette énergie fournit près de 80 % de notre électricité. C’est oublier que l’électricité n’est pas la principale source d’énergie (c’est le pétrole) et que le nucléaire ne représente que 17 % de notre énergie. Si l’on voulait s’arrêter, on pourrait s’appuyer sur une solidarité au niveau de l’Europe : là, le nucléaire ne représente que 35 % de l’électricité et seulement 9 % de l’énergie ! Il suffirait donc d’économiser 9 % pour s’en passer !

Je suis en colère parce qu’au nom de la défense de la croissance économique, les programmes énergétiques français ou européens négligent toujours plus ou moins le potentiel des économies d’énergies, préférant la surconsommation, éventuellement alimentée par le recours aux énergies renouvelables. Or l’énergie la plus propre reste celle que l’on ne consomme pas. En adoptant les meilleures techniques disponibles et en évitant les comportements énergivores, nous pourrions diviser par 4 notre consommation en une vingtaine d’années.

Je suis en colère parce que les discours économiques nous polluent : on nous dit qu’arrêter un réacteur nucléaire, ce serait de l’argent gaspillé… mais les 1 000 milliards d’euros déjà dépensé en 25 ans pour la gestion de la catastrophe de Tchernobyl (et c’est loin d’être terminé), ce n’est pas un gaspillage encore plus grand ? Mille milliards d’euros, c’est sensiblement le coût qu’il a fallut dépenser pour construire l’ensemble des 441 réacteurs actuellement en fonctionnement.

Je suis en colère parce que je sais que l’on peut arrêter relativement rapidement le programme nucléaire français, qu’il existe de multiples scénarios de sortie sur le sujet (de 2 à 30 ans selon les efforts qu’on veut bien consentir).

Je suis en colère quand j’entends mon gendre, 25 ans, ingénieur dans le photovoltaïque, me dire qu’il cherche un nouveau travail car la profession est sinistrée suite aux récentes décisions du gouvernement.

Je suis en colère quand mon fils, 20 ans, me dit : « à quoi ça sert de faire des études si dans cinq ans on a tous un cancer » (et il ne pense pas qu’au nucléaire, mais aussi à la pollution atmosphérique, aux pesticides…).

Alors j’agis, je me suis investi depuis une trentaine d’années dans les médias écologistes pour faire circuler une information moins déloyale et j’incite les journalistes et les lecteurs à prendre le temps d’eux aussi chercher où est la vérité. Comment peut-on encore minorer l’importance de la pollution radioactive au Japon alors que les images sur internet nous montrent les réacteurs en flamme ?

Alors j’agis et je m’engage dans l’une des 875 associations qui animent le Réseau Sortir du nucléaire pour demander à nos élus de faire pression pour un changement de politique dans le domaine de l’énergie. (www.sortirdunucleaire.org)

Alors j’agis au niveau local en rejoignant les nombreux groupes locaux qui travaillent à des plans de descente énergétique qui nous permettront de diminuer la menace nucléaire, mais aussi notre dépendance à un pétrole qui va être de plus en plus rare. (www.transitionfrance.fr)

Alors j’agis car aujourd’hui si le lobby nucléaire arrive à manipuler élus et médias, c’est parce que nous ne nous indignons pas assez !

Michel Bernard
Journaliste à la revue Silence