Article Alternatives Santé

Le Jardin : un centre de soin qui mêle santé et écologie

Maële Hissette

À Bron, près de Lyon, un Centre de santé planétaire et communautaire a ouvert ses portes en novembre 2022. Derrière cette appellation se dévoile une équipe médicale qui propose une approche du soin plus globale, plus accessible et plus écologique. 

Fiche d’identité :
Localisation : Bron, 44 100 habitant·es, métropole de Lyon
Création : 2022
Statut : Association
Personnel : 12 salarié·es
Capacité d’accueil : en moyenne 35 consultations par jour

À 9h la salle d’attente commence à se remplir, le téléphone sonne et les assistantes médicales accueillent les personnes qui franchissent le pas de la porte. Le Jardin, centre de soin planétaire et communautaire de Bron, ville de l’Est lyonnais, s’éveille. Loin du froid cabinet médical, une atmosphère pleine de vie se dégage de cette grande pièce lumineuse.

Un centre de santé planétaire et communautaire

Ce centre de soin associatif est unique en son genre. Il est le premier en France à se revendiquer à la fois de la santé planétaire et de la santé communautaire. D’autres l’ont précédé pour ce qui est de la santé communautaire. À Vaulx-en-Velin et Echirolles par exemple, des espaces de soin se sont créés avec la volonté d’aller vers les habitant·es et de leur donner une place centrale. Mais la prise en compte des conséquences du changement climatique sur la santé humaine et le développement de l’écologie dans les pratiques médicales sont des démarches précurseuses. Depuis son ouverture, en novembre 2022, Le Jardin a déjà vu passer plus de 1 500 patient·es et pris en charge 600 personnes en tant que médecin traitant. 12 personnes travaillent dans ce centre qui réalise en moyenne 35 consultations par jour et embauche 12 personnes.

Avec ses deux salles d’activités collectives, ses nombreux cabinets médicaux et son jardin, le centre communautaire et planétaire dispose de vastes locaux accueillants et aménageables. Tout est fait pour que les patient·es s’y sentent bien. Les fresques murales végétales par exemple : il y en a une dans chaque salle de consultation. “Quand tu es patient et que tu regardes une fresque, cela te détend. Tu ressens moins la douleur. C’est aussi une partie intégrante du soin de ramener de la nature dans nos espaces”, explique Océane Cornic, coordinatrice administrative et financière. Lors de la visite du centre, un détail attire mon attention : tout le monde s’appelle par son prénom, que ce soit le personnel médical ou les patient·es. Cette habitude s’inscrit dans la déconstruction d’un modèle de médecine patriarcale, dans lequel les médecins ont une supériorité hiérarchique envers les patient·es.

Approche globale et positive de la santé

C’est une révolution médicale en douceur que propose Le Jardin. Là-bas, la santé est prise en compte dans sa globalité. Les médecins proposent des consultations plus longues, qui peuvent aller jusqu’à 30 minutes pour les personnes suivies en médecin traitant. “Cela permet de prendre en compte l’ensemble des déterminants de la santé - l’environnement, la santé mentale, le travail - et ne pas se focaliser seulement sur la plainte somatique [ndlr : qui concerne le corps]” décrit Océane. Un autre exemple : la santé planétaire a pour vertu de ne pas séparer maladie somatique et maladie psychique. Pour Swan, stagiaire en licence de psychologie, “la solastalgie (1) et l’éco anxiété sont des douleurs émotionnelles qui font aussi partie de l’état de santé”. Un autre élément, qui tient à cœur aux personnels du centre, est l’utilisation des termes “usager” et “usagère” pour parler de leur patientèle. Cette appellation a l’intérêt de ne pas réduire les individus à leur maladie. De plus, “ça intègre ceux qui ne sont pas forcément malades, mais qui se posent des questions sur leur santé et qui viennent parler biodiversité”, explique Vanina Arigault, médecin généraliste.

Participation de la population

La participation de la population à l’amélioration de sa propre santé est un axe central du centre de santé de Bron. Dans l’approche communautaire, les habitant·es sont au cœur du processus de réflexion qui va définir les besoins, les priorités, et les activités proposées. Les ateliers, gratuits et ouverts à tou·tes, sont donc le résultat d’une co-construction entre l’équipe médicale et les usag·ères. “Une collégienne en stage de troisième a animé un atelier hip-hop il y a quelques mois !” m’annonce Océane en pointant une affiche du doigt. Les compétences de chacun·es sont des ressources et sont valorisées dans une volonté de partager les savoirs. 

Il est 10h30 et onze femmes entre 25 et 70 ans sont assises en cercle pour le premier atelier du cycle “Femmes et douleurs”. Elles racontent, à tour de rôle, leurs souffrances, petites et grandes, physiques ou psychiques, récentes ou lointaines. “Au début, je suis surtout venue pour parler de mes douleurs de règles mais j’ai trouvé beaucoup plus que ça. Je ne savais pas que j’allais m’ouvrir autant, parler de ma vie m’a fait du bien”. Comme d’autres, Niaraley, jeune femme d’une vingtaine d’années, souhaite revenir la semaine prochaine. Le fait d’être en groupe, de partager son expérience et de s’échanger des conseils est un moyen d’apprendre à connaître sa santé et à en prendre soin. En parallèle, de véritables efforts sont faits pour que les habitant·es intègrent le centre dans leur quotidien et prennent l’habitude de venir : la régularité des ateliers, la présence d’un jardin, la possibilité de participer aux réunions du conseil d’administration, etc.

“Aller-vers” les quartiers populaires

Le rôle d’un centre de santé communautaire c’est de dire que les ‘droits santé’ existent pour tous ceux qui se trouvent sur le territoire français”. C’est dans cette lutte contre les inégalités sociales de santé que s’ancre la fonction de Clémence Tardy. Médiatrice en santé, elle tente de ramener les personnes les plus précaires et les plus isolées vers le soin, quelle que soit leur situation administrative. Pour cela, elle accompagne les usag·ères dans leur parcours de soin, dans l’ouverture de leurs droits santé (2) et dans la prise de rendez-vous avec les spécialistes. Rendre les démarches accessibles pour toutes et tous, notamment pour des populations migrantes et sans-papiers, mises en difficulté par la barrière de la langue ou la complexité des dispositifs administratifs, est une priorité.

A mi-distance entre deux quartiers prioritaires de la ville de Bron : Terraillon et Parilly, le centre de soin s’inscrit dans une démarche d’aller-vers. Le principe est de rencontrer les citoyen·nes exclu·es du système de santé en faisant soi-même l’effort de se déplacer. Participer aux fêtes de quartier, rencontrer des centres sociaux et des associations permet donc à Clémence d’échanger avec les personnes concernées sans attendre qu’elles en fassent la demande.
Mais l’emplacement du Jardin, en centre ville de Bron, dans un quartier favorisé, reste un défi. Spontanément, ce sont les habitant·es les plus proches qui sont les premi·ères à s’investir dedans. L’enjeu est de toucher les personnes les plus vulnérables, même si, Clémence le rappelle, “une personne habitant en plein centre-ville peut être aussi extrêmement isolée.

“Moins prescrire, mieux prescrire”

Le secteur de la santé représente près de 8% des émissions de gaz à effet de serre de la France (3). Les pratiques médicales doivent être repensées, d’autant plus dans un contexte où le dérèglement climatique impacte et impactera, de plus en plus, la santé des populations. C’est pourquoi Le Jardin se revendique de la santé planétaire, “un domaine médical, centré sur la caractérisation des liens entre les modifications des écosystèmes dues aux activités humaines et leurs conséquences sur la santé”. (4)

La décroissance passe aussi par un changement de paradigme dans les prescriptions. La consommation de médicaments est réduite avec la volonté de laisser plus de place à la nature : “pour les rhumes, les recettes de grand-mère marchent très bien. Pas besoin de pschitt dans le nez, ni de bonbons pour la gorge, prenez des bonbons au miel, c’est pareil !” affirme Vanina. Derrière cette remise en question des façons de faire, l’équipe médicale revendique son indépendance face aux laboratoires pharmaceutiques. En parallèle, des balades dans le quartier sont également au programme et permettent aux usag·ères de découvrir les espaces verts des alentours, de se remettre à la marche et de se ressourcer. Le principe est le suivant : “moins prescrire, mieux prescrire”.

Des efforts pour moins gaspiller
Entre les peintures biosourcées, les robinets avec détecteurs et le remplacement des néons par des leds, une certaine attention a été apportée aux exigences environnementales des locaux. Mais au-delà de l’aspect écologique des infrastructures, il y a une réelle transformation dans les pratiques.
À l’hôpital, c’est monstrueux le nombre de déchets. Tout est à usage unique”, déclare Vanina Arigault, médecin généraliste. A Bron au contraire, iels essaient de fonctionner au maximum en zéro déchet. Par exemple, les spéculums d’oreilles ou les abaisse-langues sont désinfectés entre deux patient·es, et non pas jetés. Une salle de stérilisation a été aménagée pour bénéficier de ce matériel réutilisable. Les draps d’examen ont quasiment disparu des cabinets de consultations et d’après Vanina, “ça se passe très bien ! Les seuls que ça choque, ce sont les professionnels de santé. Les patients ne le remarquent même pas”. 

(1) Solastalgie : forme de douleur liée à la perte irrémédiable de l’environnement et à l’idée que les générations futures ne pourront pas connaître toute une partie des écosystèmes et de la biodiversité actuelles. 
(2) L’ouverture des droits santé leur permet de s’inscrire dans le droit commun et de bénéficier de protection médicale comme la Protection Universelle Maladie (PUMa), l’Aide Médicale de l’Etat (AME) ou la Complémentaire Santé Solidaire (CSS).
(3) Décarboner la santé pour soigner durablement : édition 2023 du rapport du Shift Project
(4) Groupe de travail “Santé planétaire”, Collège de Médecine Générale, Avril 2021

Contact : Le Centre de santé planétaire et communautaire Le Jardin, 4 Rue Edgar Quinet, 69 500 Bron, 04 78 41 26 44, www.ubiclic.com/medecine-generale/bron/le-jardin.

Pour aller plus loin :
Le dossier “Le soin, c’est communautaire !”, Silence n°485, janvier 2020.
L’article “Crest : indispensable : le Dispensaire”, Silence, n°398, février 2012.

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