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Hercule ou pas, à EDF, on défend d’abord le nucléaire

Michel Bernard

Depuis 2018, les syndicats d’EDF dénoncent le projet Hercule qui prévoit une séparation d’EDF en trois structures. Mais cette réforme ne change rien aux critiques que les écologistes font à EDF.

EDF est née en 1946 d’un regroupement de multiples compagnies électriques. Mais contrairement à ce que l’on croit, EDF n’a jamais été en situation de monopole pour la production et la distribution d’électricité. Ainsi, la compagnie GEG, Gaz et électricité de Grenoble, née vers 1900, est restée indépendante, la SNCF a été très longtemps propriétaire de barrages hydroélectriques et a produit son électricité jusqu’en 1991… En 1946, la France a seulement créé un service public, EDF étant alors totalement propriété de l’État.
L’Europe néolibérale décide en 2003 (Directive 2003/54) de diversifier le secteur de l’énergie, estimant qu’une plus grande concurrence permet d’avoir une production moins chère.
La France adopte en 2004 une loi qui met fin à l’impossibilité de créer de nouvelles compagnies d’électricité. Enercoop voit le jour l’année suivante, comme une bonne douzaine d’autres initiatives. Si Enercoop est née clairement dans le milieu antinucléaire, ce n’est pas la seule compagnie à ne fournir que de l’électricité garantie sans nucléaire : GEG ou la Compagnie Nationale du Rhône ne produisent de l’électricité qu’avec des barrages.
L’apparition de nouvelles entreprises entraîne peu à peu une érosion du nombre de client∙es d’EDF. Et cela va en s’accélérant : en 2020, le directeur d’EDF a annoncé perdre 80 000 client∙es par mois. Si les prix de l’électricité chutent, c’est uniquement dans le milieu industriel où les quantités consommées permettent de négocier à la baisse. Pour les particuliers, la tendance reste à la hausse.

EDF, producteur d’énergie nucléaire
EDF reste le seul producteur d’énergie nucléaire… avec un contrôle très important de l’État (83,6 % du capital aujourd’hui). Sans la présence des financements de l’État, le développement du nucléaire aurait été stoppé et personne ne parlerait de l’EPR, en construction depuis 20 ans. Aux États-Unis, aucune aide n’a été accordée au secteur nucléaire : après le lancement de près de 200 réacteurs dans le pays, le lancement de nouveaux réacteurs s’arrête dès 1973 quand les prix de production s’avèrent trop élevés pour être rentables.
Pourquoi l’État aide-t-il à maintenir une filière nucléaire ? Parce que nous avons besoin de matière fossile pour alimenter la force de frappe nucléaire. Le nucléaire dit « civil » alimente le nucléaire dit « militaire ». En France, il faut un minimum de quatre réacteurs pour assurer le combustible nécessaire aux bombes. Et c’est donc sans surprise que l’on construit encore des réacteurs en Chine, en Russie, au Royaume-Uni et en France, pays ayant tous la bombe atomique (1).

Le projet Hercule
Mais le nucléaire est tellement déficitaire et la concurrence des renouvelables tellement forte (2) qu’EDF, depuis une vingtaine d’années, n’arrive plus à équilibrer ses comptes. Ce déficit chronique, que l’État endetté a du mal à combler, entraîne une chute des valeurs en bourse d’EDF… ce qui amplifie le déficit. Les financiers préfèrent les renouvelables.
C’est là que l’Europe intervient en dénonçant les aides de l’État qui faussent le prix de l’électricité provenant d’EDF. Depuis 2018, il est demandé à la France de mettre en place une situation de « concurrence non faussée ». Et ce n’est pas qu’une question de libéralisme : étant donné qu’à l’exception du Royaume-Uni (3) et de la France, les autres pays européens ont presque tous renoncé au nucléaire (14 pays n’ont même jamais eu de centrales), les opposant∙es à cette énergie (comme l’Autriche, très active) utilisent l’argument économique pour faire plier la France.
Si en France, EDF n’a pas véritablement développé les énergies renouvelables de peur de voir la population demander la fermeture des réacteurs nucléaires, elle a énormément investi dans l’éolien et le solaire à l’étranger. Et c’est très rentable, contrairement au nucléaire. D’où la proposition de Jean-Bernard Lévy de couper EDF en trois : « EDF Bleu » qui regrouperait le nucléaire et la gestion du réseau (RTE) ; « EDF Vert » qui comprendrait le service commercial, le réseau de distribution Enedis et les énergies renouvelables ; et un secteur « EDF Azur » pour les barrages hydroélectriques. Le premier secteur qui ne peut pas être rentable serait détenu à 100 % par l’État ; l’EDF Vert, qui est le plus rentable, serait ouvert à la bourse à hauteur de 30 à 35 % . EDF Azur resterait pour le moment sous le contrôle de l’État, mais l’Europe demande la mise en concurrence pour le renouvellement des concessions de ces barrages.

Le prix bidon de l’électricité nucléaire
Le discours d’EDF a toujours été que le prix de l’électricité d’origine nucléaire est bas. Et que c’est encore mieux avec de vieux réacteurs puisque l’amortissement a déjà été fait. Mais, en 2011, l’Arenh, Accès régulé de l’électricité nucléaire historique a été mis en place. Il permet aux nouvelles entreprises d’acheter l’électricité nucléaire au prix de 42 € par mégawattheure, prix de revient estimé par EDF. Ce prix s’est avéré une catastrophe pour EDF. En effet, il existe une bourse de l’électricité en Europe où le prix de l’électricité fluctue en fonction de l’offre et de la demande. Lorsque le prix de cette bourse baisse en dessous de 42 €, les compagnies achètent sur le marché libre ; lorsqu’il dépasse ce prix, elles achètent à EDF (4). Pour qu’EDF s’y retrouve, il faudrait que le prix de revient du mégawatt heure nucléaire soit effectivement inférieur à 42 €, ce qui n’est pas le cas (5). Et donc EDF vend à perte et s’endette… (6)

Le discours syndical
La CGT-énergie reste profondément pro-nucléaire (7) et est très largement majoritaire chez EDF. Lorsque l’on parle de l’opposition des syndicats au projet Hercule, il s’agit d’abord de ce syndicat. Le syndicat dénonce avec justesse une privatisation qui, comme pour la Poste ou France-Télécom, aura de lourdes conséquences sur la qualité de travail du personnel. Il dénonce aussi le risque d’une perte d’investissement et d’entretien du réseau (actuellement géré par Enedis et RTE) : là aussi, il a raison ; ce qui s’est passé dans le domaine de la distribution de l’eau l’a montré. Il dénonce le risque d’une hausse des prix de l’électricité. C’est discutable : si on continue à produire essentiellement de l’électricité d’origine nucléaire, il y aura une hausse ; mais si on bascule vers les renouvelables, il y aura une baisse (8). Il dénonce le démantèlement du service public : voici bien un sujet qui fait débat ! À la création d’Enercoop, une partie de la mouvance écologiste n’a pas voulu soutenir le projet justement en disant que l’électricité devait rester un « bien commun ». Le débat se complexifie quand on compare la situation avec ce qui se passe dans nombre d’autres pays où l’électricité (et l’énergie en général) est gérée non pas par une seule compagnie nationale, mais par des compagnies locales, intercommunales, régionales… (9). Il y a une confusion entre « bien commun » et centralisation/étatisation.

Décentraliser la gestion de l’énergie ?
En tant qu’écologiste, libertaire, décroissant∙e… quelle doit être notre position dans la lutte contre le projet Hercule ? Nous sommes entraîné∙es dans un mauvais débat. Si nous partons de nos besoins, c’est-à-dire avoir de l’énergie que l’on utilise avec intelligence, les systèmes les plus efficaces sont de loin les régies qui se mettent en place au niveau intercommunal. En cherchant à économiser en premier, puis à utiliser l’énergie de la manière la plus efficace, et en jouant sur les complémentarités, les communes ou les communautés de communes peuvent, comme cela a été expérimenté avec succès dans des pays comme le Danemark, les Pays-Bas ou l’Allemagne, mettre en place des plans énergétiques à très faible consommation, valorisant au mieux les ressources locales. Cela ne passe pas par la généralisation de l’électricité nucléaire, contrairement à ce que le discours de l’État et d’EDF essaie de nous faire croire. On revient alors à des démarches intelligentes comme étudiées par l’association Négawatt (10). On retrouve l’objectif d’un plan de descente énergétique, finalité des groupes de transition. Nous sommes dans une autre logique : EDF ne doit pas être alors divisée en trois compagnies internationales, mais en de multiples compagnies locales.

Michel Bernard

(1) Aux États-Unis, l’armée a ses propres réacteurs nucléaires.
(2) Certaines centrales solaires annoncent des coûts de production de l’électricité 10 fois plus bas que pour l’EPR. Et les prix baissent sans cesse. Record début 2021 : 11,2 € le MWh pour une centrale au Portugal. Le deuxième prix le plus bas est de 11,6 € le MWh pour une centrale solaire construite à Abu Dhabi… par EDF !
(3) Qui n’est plus concernée depuis le Brexit.
(4) Le prix sur le marché européen fluctue énormément (de négatif à parfois plus de 1 000 €, négatif quand il y a trop de production, 1 000 € et plus lorsque nous sommes en déficit de production).
(5) EDF demande maintenant que le prix de vente soit rehaussé autour de 53 € par MWh.
(6) Début 2021, la dette d’EDF est de 41 milliards d’euros.
(7) La CGT, elle, évolue : de nombreux groupes CGT ont pris position contre le nucléaire à cause des dangers, des déchets, des conditions de travail (« viande à rems » pour la sous-traitance), du coût, de l’emploi (plus une énergie est centralisée, moins elle crée d’emplois), mais également du colonialisme (tout l’uranium provient de l’étranger).
(8) Ce qui écologiquement parlant n’est pas une bonne nouvelle, car plus le prix de l’énergie baisse, plus on en consomme et donc plus on détruit les autres ressources. Voir dossier du n° 437, septembre 2015, « Énergies renouvelables, un virage à prendre ».
(9) L’Italie, avec l’ENEL, fonctionne un peu comme la France. Dans les autres pays, c’est beaucoup plus décentralisé.
(10) La première version du scénario Négawatt a vu le jour en 2004, au moment même où se créaient de nouvelles compagnies de vente d’électricité. On peut relire le dossier du n° 309, avril 2004, « Objectif NégaWatt ».
(11) Communiqué du 3 février 2011.

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