Dossier Culture Média Société

Les Esserres

Michel Bernard

Depuis 1999. une ancienne exploitation horticole a été transformée en lieu de travail, d’échange et de diffusion des arts, de la nature et des technologies.

« Ici, quand on parle de culture, on vous répond betterave sucrière. » C’est en plaisantant que Vincent explique la difficulté du projet : installer un lieu artistique perdu au milieu de nulle part. « On ne peut pas y venir par hasard ! On y vient par envie. »

Œuvrer avec le végétal

Paul, le père, a été horticulteur de 1963 à 1999. Lorsqu’il a pris sa retraite, ses quatre enfants, tous séduits par les arts (musique ou arts plastiques), se sont interrogés sur le devenir des serres. Avec une vingtaine d’amis, ils ont décidé de créer un lieu de résidence d’artistes et d’exposition avec une contrainte : les œuvres exposées dans les serres (350 m2) devront résister — ou non — à l’humidité et à la chaleur ambiante, puisque les serres continuent à héberger des plantes. Il faut faire avec la nature à l’intérieur ou en extérieur. Les œuvres pouvant être « mangées » par le lieu.
L’ancienne chambre froide, où l’on conservait les bulbes à basse température, a été transformée en studio de répétition et d’enregistrement, mini-salle de spectacle et laboratoire photographique. Trois serres ont été conservées, dont l’une dispose d’une scène et d’un bar pour accueillir des spectacles. Une autre scène est sous hangar en plein air.
L’accueil d’artistes ne suffisant pas à financer les lieux, l’association a d’autres activités : elle organise des interventions dans le milieu scolaire sur des questions artistiques (en particulier autour du végétal, des arts plastiques, mais aussi de la musique et de l’écriture). Elle fait également de l’accompagnement administratif ou technique pour des artistes qui n’ont pas encore de statut professionnel établi. L’association propose aussi de la création graphique (logos, créations de sites, de logos, d’affiches, de pochettes…) et vidéo.
Les résidences d’artistes fonctionnent toute l’année, avec principalement des plasticiens, quelques musiciens et parfois une compagnie de théâtre. Le choix se fait en discutant d’une idée, avec le droit à l’expérimentation et à l’échec sur des périodes de trois semaines. Le lieu se définit comme « un lieu tremplin » où l’on apprend les bases du métier (1).
La saison culturelle est marquée par des rendez-vous : les « slounisiaks » (juin), les Essertival (juillet), les nuits des étoiles (août), les Automnales (septembre)… Le reste de l’année laisse place à des résidences. Le nombre de visiteurs reste modeste : autour de 500 personnes à chaque fois, essentiellement des relations artistiques qui viennent par le bouche à oreille. Des liens ont été établis avec des centres culturels et des écoles, dont la faculté d’Amiens. Quelques classes vertes font le déplacement, l’association adhérant à la semaine régionale de l’environnement.
Le lieu propose aussi quelques liens avec l’écologie : toilettes sèches, panneaux photovoltaïques, chauffe-eau solaire, récupération des eaux de pluie… mais ce n’est pas ce qui est mis en avant.

Un lieu de recherche

Pour Vincent, aujourd’hui salarié de l’association, les choix artistiques relèvent du goût et non du financement. L’association choisit d’abord qui elle invite, puis elle se débrouille tant bien que mal pour résoudre les questions de financement.
Au niveau musical, l’association évite « l’insouciance », c’est-à-dire les chansons sans fond qui forment l’essentiel de la chanson française. Ici, on privilégie plutôt le rock… mais aussi la musique classique.
Pour les plasticiens, il s’agit surtout de donner un coup de pouce à de jeunes artistes qui se lancent et sont encore à la recherche de leur domaine d’intervention.
Pour accueillir quelqu’un, l’opération se prépare très en amont pour bénéficier de subventions. Celles-ci viennent de la région et du département, qui font confiance, mais pas de l’Etat (via la DRAC) qui ne travaille qu’avec des artistes bien référencés.
Vincent et sa sœur Florence sont actuellement les deux seuls salariés. Ils bénéficient de l’aide d’un réseau d’une trentaine de bénévoles au moment des événements.
Le budget de l’association est d’environ 120 000 € par an. Une grande partie provient des subventions, le reste des prestations de graphiste de Vincent, d’activités scolaires et parascolaires, de prestations administratives.
Le travail artistique des plasticiens se veut volontiers contemporain, avec une tendance générale : profiter du paysage, des végétaux et de la récupération…
« On vient ici pour apprendre, pour se croiser, pas pour vendre. »
Un lieu d’effervescence discret dont la vitrine est toutefois bien vivante sur son site internet.

M. B.

• Les Esserres, 6 rue d’En bas, 60120 Lavacquerie, tél : 03 44 13 00 22, http://les-esserres.net

(1) Par exemple, pour s’inscrire à la Maison des artistes, il faut dépasser 7000 € de chiffre d’affaires par an. Mais c’est loin d’être le seul statut possible pour obtenir une couverture sociale.

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