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Sikle collecte les déchets à vélo-cargo

Michel Bernard

Depuis 2019 Sikle, une association strasbourgeoise, collecte à vélo des déchets alimentaires de restaurants, permettant la production de compost pour un maraîcher et des jardins familiaux.

Actuellement, Sikle réalise sa collecte dans 140 restaurants, 15 hôtels, 5 commerces alimentaires, 31 restaurants collectifs (22 scolaires et 9 en Ehpad) et une dizaine d’entreprises. 15 tonnes de compost sont collectées par semaine. La marge de progression est importante : cela ne représente que 5 % des restaurants de Strasbourg. Trois autres entreprises font de la collecte en camion, mais refusent d’aller en centre-ville.
Une petite formation est assurée auprès des restaurat·rices partenaires : il est possible de composter tous les restes de préparation, tous les retours d’assiette, ainsi que les serviettes en papier si elles n’ont pas de composant plastique. Globalement, il y a peu d’erreurs de tri : « Sur 200 établissements collectés actuellement, 180 ne font jamais d’erreurs. Il y a 0,01 % d’erreurs au total, principalement des couverts qui se sont mélangés avec les restes dans les assiettes. On les retrouve lors d’un tri à l’arrivée », explique Victor Bailly, salarié de l’association.

Des contraintes liées aux vélos-cargos

« Une telle entreprise est viable économiquement, mais rencontre beaucoup de contraintes, poursuit-il. La logistique vélo nécessite beaucoup de maintenance. Et comme la recherche et le développement sont moins développés que pour l’automobile, il y a parfois des délais longs pour obtenir une pièce de rechange ou pour créer un usage spécifique. Il y a pas mal de problèmes avec l’électronique. Il faut prévoir 30 % de matériels en plus pour éviter que les pannes empêchent les collectes ».
Le système retenu est un vélo-cargo électrique avec une plate-forme à l’avant, qui tracte une remorque elle-même équipée d’un moteur électrique, permet de collecter 250 kg à chaque voyage… avec un véhicule vélo + remorque qui pèse environ 50 kg.
Cela reste un petit volume et donc « c’est gourmand en temps humain ». Le prix reste toutefois correct car des économies sont faites sur le moyen de transport et le vélo permet une meilleure adaptation aux contraintes : « Plus la densité de la ville augmente, plus l’usage du vélo est positif ».
Conséquence : au-delà de 5 km du centre-ville, Sikle n’est plus compétitif.

Premiers coups de pédale
C’est en 2018 au sein de l’atelier d’auto-réparation Bretz’Selle (1) que Joakim Dangel, alors éco-conseiller, lance une « initiative citoyenne collective » pour « agir pour la transition écologique ». Le groupe se penche sur l’expérience de la Tri-cyclerie de Nantes (2) : la collecte de déchets organiques à vélo, pour ensuite produire du compost. Joakim démarre avec le soutien d’une trentaine de bénévoles et de plusieurs associations locales. À partir de l’été 2018, il teste le dispositif, fait une étude économique, cherche des financements. Plusieurs institutions et fondations sont intéressées par le projet et rapidement, ce sont entre 70 et 80 000 € de financements extérieurs qui sont disponibles, une somme qui se renouvellera ensuite chaque année.
Cela permet de mettre en place la collecte auprès des professionnels de la restauration dès janvier 2019, avec une structure associative.
Une méthode de collecte sérieusement étudiée

Victor Bailly, qui nous reçoit, figure parmi les premières personnes embauchées. Il avance que « le message écologique n’est pas le premier des arguments à mettre en avant pour convaincre les producteurs de biodéchets de travailler avec nous ». Cet aspect écologique est complété par la garantie d’un service professionnel qui, par la mise à disposition de bacs empilables de 60 x 40 cm (gain de place) étanches (meilleure hygiène) et par une collecte régulière (y compris les week-ends), permet d’avoir un gain de temps et d’argent pour le restaurant qui a l’obligation de recycler ses déchets (3). « Un macaron sur leur vitrine joue également un rôle pour l’image de l’établissement ».
Le choix du vélo cargo électrique est justifié par son efficacité pour circuler dans le centre-ville : il permet d’aller rapidement partout, de stationner facilement, ainsi qu’une une prestation moins chère qu’avec un véhicule à moteur. Le prix facturé pour le service est un abonnement de 70 € par mois garantissant une collecte par semaine. À ceci s’ajoute un supplément de 0,30 € par kilo collecté.

Une croissance rapide

L’initiative rencontre un vif succès et les effectifs grimpent rapidement pour atteindre 11 personnes en 2023 (8 salarié·es, 2 services civiques, 1 stagiaire). La collecte se fait avec 6 vélos-remorques. « Il y a une polyvalence des tâches : tout le monde fait au moins une tournée par semaine. La polyvalence permet de palier aux absences ». À noter toutefois que la plupart des salariés sont des hommes (7 sur 8), signe que le transport avec des vélos-cargos est perçu comme physiquement et/ou techniquement difficile.
Les bureaux et l’atelier d’entretien des vélos, de nettoyage des bacs, sont installés dans une belle usine classée monument historique (4).

Une importante production de compost

Le compost est apporté à un maraîcher qui se trouve dans la ceinture verte de la ville, à seulement 600 mètres des bureaux. « Ce maraîcher dispose d’outils professionnels pour gérer lui-même le compostage ». Il équilibre le compost avec des déchets carbonés provenant de la taille des haies et des arbres de son terrain. Il utilise l’essentiel de ce compost pour ses champs. Deux autres sites de compostage, de moindre importance, ont été installés sur des sites de jardins familiaux (5).
Le tamisage et la vente de ce compost sont réalisés par les bénévoles aidés des services civiques. Le service des espaces verts de la ville fournit un broyat d’élagage pour équilibrer ce compost. C’est pour lui un moyen de valoriser un déchet qui part autrement à la décharge. « Cela permet de revendre à bas prix un compost tamisé très fin, très riche en azote » (6).

Essaimer plutôt que grossir

La limite de poids sur le vélo incite à ne pas trop collecter…, ce qui va dans le sens de l’exigence de limiter les déchets à la source. « Des actions sont menées pour lutter contre le gaspillage alimentaire. Des interventions sont faites pour améliorer les chaînes de production et pour expliquer que le but n’est pas de collecter plus de déchets pour faire du compost ».
Actuellement, le chiffre d’affaires a bien grossi. Il y a toujours un financement public et privé de l’ordre de 70 000 € par an, mais cela ne représente plus que 20 % du chiffre d’affaires et l’association vise à être autofinancée à 100 %.
Ce financement extérieur a eu une grand utilité en 2020, au moment du Covid. La restauration collective étant totalement à l’arrêt pendant plusieurs mois, un chômage partiel a été mis en place, et cela a permis « d’avoir moins la tête dans le guidon », d’avoir un temps de réflexion pour améliorer le projet. « Le financement public a finalement toujours servi à financer le temps de recherche et de développement ».
En 2020, un projet de SCIC a été envisagé, avec un collège de professionnels de la restauration, un autre pour les municipalités… mais le choix de rester en association a finalement été fait.
Aujourd’hui, « il y a un bureau de quatre personnes qui se réunit une fois par mois avec les salarié·es. Une grande confiance est accordée à ces derniers et cela se passe dans une bonne ambiance ». Le bénévolat représente entre 5 et 10 % des heures d’activité.
Fin 2024, avec près de 15 tonnes collectées par semaine, l’initiative a atteint un optimum. Se pose la question de grossir encore. Cela suppose de trouver d’autres fermes proches intéressées par ce compostage (7). Cela changerait aussi l’ambiance au sein de l’association. « Alors que des formations sont assurées pour des personnes qui veulent développer le même projet dans d’autres villes, se pose la question de former des gens à Strasbourg pour essaimer en plusieurs associations au sein de l’agglomération ».

* Sikle, 33, rue du Maréchal Lefebvre, 67100 Strasbourg, tél. : 06 59 04 26 68, www.sikle.fr.

(1) Bretz’Selle, 10, rue des Bouchers, 67000 Strasbourg, tél. : 09 51 29 87 59, https://bretzselle.org.
(2) Celle-ci n’existe plus aujourd’hui.
(3) Les établissements qui produisent plus de dix tonnes de déchets avaient déjà l’obligation de faire collecter leurs restes avant le début de la collecte de Sikle. C’est devenu obligatoire le 1er janvier 2023 pour les productions entre 5 et 10 tonnes, le 1er janvier 2024 pour les moins de 5 tonnes.
(4) Usine Junkers, ancienne usine de construction aéronautique construite en 1941 par les Allemands, patrimoine protégé depuis 1993.
(5) La ville est propriétaire, au niveau de la ceinture verte, de l’ensemble des terrains des 5 000 parcelles de jardins familiaux, soit 80 hectares. Plus de 2 % des foyers de Strasbourg disposent d’un potager. Et c’est plutôt en augmentation du fait de la présence d’élu·es écologistes au sein de la municipalité.
(6) 1,50 € les dix litres.
(7) On peut utiliser, chaque année, jusqu’à 30 tonnes de compost à l’hectare (soit 3 kg par m²).

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