Cadenet est une commune de 5 000 habitant·es dans le Vaucluse, à 30 kilomètres d’Aix-en-Provence. Cent cinquante personnes sont réunies début juillet sur la place du village pour le banquet de la Caisse locale de l’alimentation. Après les prises de parole, place au banquet, qui est somptueux ! Infusion menthe et verveine, blinis de tapenade, tzatzíki, houmous, fromage de chèvre fermier, boulettes de kefta, sorbet paysan aux cerises, etc. : les bénévoles se sont surpassé·es.
Le projet de Caisse locale de l’alimentation naît en 2021. L’association Au maquis réunit des professionnel·les lié·es aux questions d’agriculture ou de précarité alimentaire et forme un comité de pilotage. Après plusieurs mois de réunions, celui-ci fonde, début 2022, le Collectif local d’alimentation de Cadenet (Clac). Composé d’une trentaine d’habitant·es représentati·ves de la commune, il a pour mission de décider de la forme que prendra l’expérimentation. « Pour la première fois de ma vie, j’ai eu la sensation d’être souveraine d’un projet politique », témoigne Victoria, membre du Clac.
Quel serait un avenir alimentaire désirable ?
Les membres du Clac commencent par une phase d’apprentissage collectif sur les questions liées aux systèmes alimentaires, à la Sécurité sociale et à la démocratie participative. Une séance a lieu toutes les trois semaines, avec des interventions de syndicalistes, cherch·euses ou militant·es, et des débats. L’accent est mis sur la controverse pour complexifier les questions et ne pas imposer un modèle de pensée. Après ces six mois de formation, le collectif se met d’accord sur ce que serait un avenir alimentaire désirable pour Cadenet et ses alentours en 2052. Dans la fresque qui le représente, on peut voir des champs, vergers et greniers communaux, des cantines populaires dans chaque commune, un atelier de lactofermentation, un centre de recherches paysannes ou encore un ancien Super U transformé en musée de l’agro-industrie (1).
Une fois cet horizon dessiné, il est temps de le mettre en pratique ! « Nous avons tergiversé, imaginé des solutions, et fini par nous orienter vers la création de cette caisse commune », relate le Clac. Le collectif dispose d’un budget de 60 000 euros, provenant de la Fondation de France, pour mettre en place cette expérimentation. Il décide de conventionner trois lieux pour commencer : le magasin de producteurs, l’Amap et l’épicerie du village. Il définit cinq critères de qualité : la taille de l’unité de production, de transformation ou de distribution, son indépendance vis-à-vis de l’agro-industrie, ses impacts environnementaux et sociaux, et ses conditions de travail. Plus les produits répondent aux critères de qualité, plus ils sont remboursés : à 30 %, à 70 % et 100 %. On peut imaginer le travail qu’ont réalisé les habitant·es pour déterminer les niveaux de conventionnement de chacun des 8 000 produits référencés dans les trois lieux de vente !
Bientôt une mutuelle de l’alimentation en Alsace ?
S’inspirant des mutuelles de santé, une association met en place un projet de mutuelle de l’alimentation locale en Alsace ! Visant les mêmes objectifs que les caisses alimentaires locales, elle diffère par son modèle économique : en plus des cotisations et des financements publics, les employeurs participeraient au financement. L’association prévoit de commencer l’expérimentation dans trois territoires pilotes (6) au début de 2025. Il faut savoir qu’en Alsace, il existe un régime local de Sécurité sociale indépendant du régime général. Ce territoire deviendra-t-il le premier à mettre en place effectivement la Sécurité sociale de l’alimentation ? Contact : Pour une Sécurité sociale alimentaire en Alsace, 07 57 18 37 20, https://mutuelle-alimentation-alsace.fr.
« La construction du savoir en commun fait la démocratie »
« Des personnes qui ne se connaissaient pas ont réussi à se mettre d’accord pour construire un projet commun d’avenir alimentaire désirable à l’échelle de Cadenet, et le mettre en acte concrètement », s’enthousiasme Éric, salarié de l’association Au maquis. Comment réussir à trouver un consensus dans un groupe si hétérogène ? « L’apprentissage est essentiel, estime-t-il. C’est la construction du savoir en commun qui fait la démocratie en permettant des débats sains et constructifs. Il n’y a plus de domination des savoirs entre les personnes car il y a un savoir en commun. »
Un autre point essentiel pour prendre des décisions démocratiquement est de bien respecter trois phases distinctes dans le temps : d’abord l’apprentissage, puis le débat et ensuite la prise de décision. « On ne prend surtout pas de décision à la deuxième phase, c’est le moment où on est chauds, souligne Éric. À chaque fois qu’il y a eu des tensions, elles sont redescendues à la troisième phase. » Ici aussi, les décisions sont prises au maximum au consensus. « À la fin, tout le monde est d’accord, alors qu’on est quarante ! , témoigne Véronique, membre du Clac. Même avec mon fils je n’y arrive pas. Je n’avais jamais vécu ça. »
« Au magasin de producteurs, c’était trop cher »
En octobre 2023, les membres du Clac décident de laisser leur place à de nouvelles personnes pour expérimenter la SSA. Ils recrutent 33 personnes, la plupart tirées au sort (cinq places étant réservées à des personnes en situation de précarité alimentaire, pour assurer une mixité sociale).
Six mois plus tard, en avril 2024, la Caisse locale de l’alimentation est véritablement lancée ! Elle rembourse un budget de 150 euros par mois à 33 expérimentat·rices. Ici, pas de monnaie numérique : de bons vieux tickets de caisse papier, et des permanences pour que chacun·e calcule le montant remboursé. « J’achetais déjà local mais pas au magasin de producteurs, c’était trop cher. Aujourd’hui, je peux », témoigne Véronique.
S’il était animé au départ par des salarié·es, le Clac est désormais entièrement autogéré et s’est structuré en groupes de travail. Apprenant la fermeture de l’épicerie du village, le collectif réfléchit à la racheter collectivement et avec d’autres habitant·es du village (2). « Ils sont en train d’investir collectivement pour construire leur propre système alimentaire, c’est incroyable !, se réjouit Éric. La démocratie, c’est tellement addictif ; dès que tu as touché au fait que tu pouvais faire des choses avec d’autres, tu ne peux plus t’en passer ! »
(1) On y trouve aussi une voie de chemin de fer qui permet d’échanger avec d’autres régions (céréales par exemple) ou avec l’international (café, sucre, etc.), qui montre la volonté du CLAC de ne pas créer un système autarcique.
(2) Voir le dossier « On ouvre une épicerie collective », Silence, no 520, avril 2023.
