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BNP Paribas, la banque de l’agro-industrie

Veronica Velasquez

Si des banques comme BNP Paribas sont régulièrement dénoncées pour leurs investissements dans la production et l’exploitation d’énergies fossiles, on connaît moins leur responsabilité dans les atteintes aux droits humains et à l’environnement causés par l’agriculture industrielle. Silence donne la parole à ActionAid – Peuples Solidaires qui mène une campagne sur le sujet.

L’agro-industrie est responsable, à elle seule, d’au moins un quart des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Elle accapare les terres les plus fertiles et les sources d’eau, et soumet des millions de personnes à des conditions de travail précaires, sous-payées et dangereuses...
Or son développement ne doit rien au hasard. Il résulte d’un mouvement amorcé dans les années 2 000, lorsque de plus en plus de banques et d’institutions financières se sont mises à investir dans des terres et des « titres agricoles », jugés plus profitables et surtout plus sûrs que d’autres.
Résultat : alors que la crise climatique s’aggrave, les élevages industriels et les monocultures d’hévéas ou d’autres plantes « rentables » prospèrent grâce aux investissements massifs de banques comme BNP Paribas !

Un prolongement des relations coloniales ?
En 2023, puis en 2024, l’ONG ActionAid et le centre de recherche Profundo ont enquêté sur les investissements des banques dans l’hémisphère Sud.
Ces deux organisations ont recensé les projets en cours dans 134 pays « en développement », appelés à se prononcer d’une seule voix dans les négociations internationales sur le climat. On trouve parmi ces pays aussi bien la Chine ou le Brésil que Haïti ou l’Afghanistan. Ce sont les pays les plus durement frappés par les inondations, les sécheresses et autres catastrophes « naturelles ».
Au cours des 7 années qui ont suivi l’Accord de Paris, conclu en 2015 pour tenter de freiner le dérèglement climatique, les banques ont investi chaque année près de 53 milliards de dollars pour le développement de l’agro-industrie dans ces pays.
À titre de comparaison, le soutien financier apporté par les pays industrialisés pour des actions d’adaptation ou de réduction du changement climatique est estimé, au mieux, à 24,5 milliards de dollars pour l’année 2020.
Les banques et institutions financières les plus impliquées sont toutes situées dans l’hémisphère Nord. En Europe, les banques qui ont investi le plus massivement dans ces activités sont HSBC, BNP Paribas et Barclays. BNP Paribas, en particulier, a accordé 13 milliards de dollars aux entreprises Cargill, ChemChina, Bayer, Archers-Daniel-Midland (ADM) et Olam Group, sous forme de prêts et de produits d’assurance.
Les riverain∙e∙s des plantations Bolloré s’organisent
La Socfin est une société financière dont les actionnaires majoritaires sont un hommes d’affaires belge, Hubert Fabri, et Vincent Bolloré.
Ses différentes filiales produisent du caoutchouc et de l’huile de palme en Afrique de l’Ouest et en Asie. Autour de ses plantations, les tensions sont d’autant plus vives que les surfaces cultivées ont augmenté de 50 % entre 2009 et 2018, pour atteindre près de 200 000 hectares.
En Sierra Leone, par exemple, la concession de terres pour des plantations de palmiers à huile devaient créer des emplois et donner lieu à des compensations. Mais la société n’a pas entièrement respecté ses engagements, créant des disparités criantes entre les habitant∙e∙s. Les emplois sont saisonniers, sous-payés et dangereux. L’association de riveraines et riverains Maloa dénonce un manque de consultation et demande des règles de compensation plus transparentes.
Créée en 2013, l’Alliance Internationale des Riverain∙e∙s des plantations Bolloré-Socfin rassemble des militantes et militants au Cambodge, au Cameroun, en Côte d’Ivoire, au Libéria et en Sierra Leone, avec le soutien de dizaines d’ONG européennes comme Grain, en Belgique, ou ReAct Transnational en France.
S’il est difficile d’établir un véritable rapport de force avec le groupe, il est tout de même possible de gêner son développement. Cette mobilisation internationale a par exemple conduit l’association des fonds de pension suisse à annoncer son « désinvestissement » du groupe en septembre 2023.
Au même moment, la justice française a condamné la Socfin à une amende pour ne pas avoir transmis les documents qui établissent ses liens avec le groupe Bolloré, soumis au devoir de vigilance sur les atteintes à l’environnement et aux droits humains. Une plainte a en effet été déposée par 161 Camerounais∙e∙s, avec l’appui de l’association Sherpa.
BNP arrose, la forêt brûle

BNP Paribas est la deuxième banque la plus riche d’Europe. Depuis une dizaine d’années, elle tente de « verdir » son image. Elle a rejoint en 2021 la Net Zero Banking Alliance, un regroupement de banques qui s’engagent à revoir leurs investissements pour que, d’ici à 2050, les émissions de gaz à effet de serre des activités financées soient globalement nulles.
Mais elle reste l’un des principaux financeurs des « ABCD » : les 4 sociétés — Archers-Daniel-Midland (ADM), Bunge, Cargill et le groupe Louis Dreyfus — qui contrôlent 90 % du commerce mondial des céréales, et des pans entiers de la chaîne de transformation alimentaire.
L’entreprise Cargill, dont la BNP est le principal financeur, est régulièrement dénoncée pour son rôle dans la déforestation au Brésil, par exemple, mais aussi pour l’existence de travail forcé dans sa chaîne d’approvisionnement au Brésil. Certaines fermes recourent en effet à la violence, confisquent les papiers des ouvriers agricoles ou les escroquent et les contraignent à s’endetter pour s’assurer de leur docilité. Même après une sanction de l’inspection du travail, elles écoulent facilement leur production auprès de sous-traitants ou de fournisseurs de Cargill.
En Bolivie, l’ONG Global Witness dénonce l’implication du géant étasunien Cargill dans la déforestation. Elle a identifié des liens directs entre l’entreprise et le déboisement dans la région de Santa Cruz, en particulier dans la forêt de Chiquitano, qui est la dernière grande forêt tropicale sèche du monde.
Pourtant, BNP Paribas n’a jamais vraiment remis en cause les financement accordés à Cargill et à l’agro-business en général.
Dans son plan de vigilance (1) de 2022, la banque déclare avoir exclu 1 369 entreprises de ses financements, mais ne fournit aucune information supplémentaire. Difficile, dans ces conditions, d’évaluer la réalité et l’efficacité des mesures prises !

Des citoyen·nes se mobilisent

En mai 2024, l’association ActionAid - Peuples Solidaires a décidé de lui demander publiquement des comptes. Composée de membres individuel∙les et d’une trentaine d’associations locales, l’ONG a publié, en mai 2024, un rapport sur les doubles discours de la banque. (2)
Pendant l’Assemblée Générale de BNP Paribas, des dizaines de personnes ont organisé des manifestations et informé les passant∙es devant des agences à Lille, Lyon, Paris, Aubagne, Lons-le-Saunier… pour demander la fin pure et simple des investissements dans les activités de Cargill et d’autres géants de l’agro-industrie.
En juillet, avec d’autres organisations, ActionAid a interpellé BNP Paribas sur les financements accordés à la Socfin : une société régulièrement pointée du doigt pour des atteintes aux droits humains ou à l’environnement dans ses plantations d’huile de palme. L’adhésion de BNP Paribas à la « Table-ronde pour une huile de palme durable » ne l’empêche pas de maintenir ses investissements dans cette société !

Pour aller plus loin :
• ActionAid – Peuples Solidaires, 5 rue de Châtillon, BP 20912, 35009 Rennes Cedex, www.actionaid.fr.
• Des informations sur cette campagne ainsi qu’une pétition lancée il y a quelques mois à l’attention du « Directeur de l’engagement d’entreprise » de la banque sont régulièrement mises à jour sur la page « BNP Paribas doit cesser ses investissements nocifs » sur actionaid.fr.
• Il est possible d’agir à titre individuel en s’adressant à son conseiller bancaire pour lui demander quelles mesures effectives sont prises contre le financement d’activités qui contribuent à la déforestation.
• Une manière complémentaire d’agir au quotidien est de boycotter les produits contenant de l’huile de palme dans sa consommation.
• Il est aussi possible de rejoindre un groupe local ou d’en former un pour participer à de nouvelles actions de rue devant des agences du groupe. Deux temps forts sont envisagés en 2025, d’abord en janvier pour exiger que la banque tienne ses « bonnes résolutions », puis en mai à l’occasion de son assemblée générale.

(1) Depuis 2017, les grandes entreprises et sociétés donneuses d’ordre implantées en France doivent publier, tous les ans, leur « plan de vigilance » contre les atteintes aux droits humains et à l’environnement en lien avec leurs activités.
(2) « L’Argent qui détruit. Enquête sur les liens entre BNP et l’agro-industrie. »

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