Cet enfermement des volailles, présenté sous le terme édulcoré de « mise à l’abri » par l’administration mais nommé « claustration » par les éleveu·ses, est devenu obligatoire depuis l’arrêté ministériel du 29 septembre 2021. Tous les élevages de France sont concernés, même en label de qualité ou en bio, pourtant bénéficiaires jusqu’alors de dérogations pour garder leurs animaux dehors. La claustration étant déjà la norme dans les élevages intensifs, ce sont bien les 20 % d’éleveurs en plein air qui ont été pénalisés par cette mesure et se sont retrouvés dans l’illégalité du jour au lendemain. Au-delà des questions purement pratiques d’élevage (1) et des constantes mises aux normes imposées aux éleveurs depuis 2016, se posent des questions fondamentales sur la réelle responsabilité du plein air dans cette crise, sur le bien-être animal brutalement mis à mal, et sur le manque d’informations et de transparence vis-à-vis des consommat·rices.
La poudrière de l’élevage intensif
L’État pointe du doigt « la faune sauvage », qui serait responsable de la transmission du virus aux élevages en plein air : il suffirait d’enfermer toutes les volailles d’élevage et d’éviter tout contact avec la faune sauvage pour résoudre le problème. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : sur l’épisode 2021-2022, avec claustration obligatoire, l’épizootie a flambé : elle a commencé dans un élevage intensif claustré de 160 000 volailles dans le Nord, puis s’est répandue comme une traînée de poudre sur le territoire français, d’élevage intensif en élevage intensif. Résultat : plus de 23 millions de volailles abattues, dont de nombreuses étaient saines, dans le cadre des fameux « dépeuplements préventifs » (2). Triste record pour la France, en bonne place parmi les 140 millions de volailles abattues dans le monde en 2022 pour contenir l’influenza aviaire.
C’est la pire crise jamais traversée par la profession. Mais elle était prévisible. Dans son rapport d’analyse des 500 foyers du Sud-Ouest sur la saison 2020-2021, l’Anses avait trouvé que seuls trois cas étaient potentiellement dus à la faune sauvage, contre 497 dus à l’élevage intensif ou industriel. L’élevage intensif, c’est la taylorisation du vivant : des animaux génétiquement similaires, aux systèmes immunitaires affaiblis par des conditions de vie inadaptées à leurs besoins physiologiques, élevés en surnombre dans des bâtiments hors-sol avec un faible volume d’air par animal et des ventilations artificielles, dans des filières ultra segmentées où les différents stades de croissance des animaux se font en différents lieux. Dans ce modèle où le vivant est claustré d’office, le virus de l’influenza aviaire, fortement aérosol, se propage via les nombreux transports d’animaux entre départements ou régions à tous les stades de « production », et via les déplacements de techniciens, livreurs d’aliments, camions d’équarrissage, vétérinaires sur les sites d’exploitation.
Noémie Calais, éleveuse dans le Gers, est l’autrice avec Clément Osé de Plutôt nourrir, Tana Editions, 2022
Extrait d’un article paru dans L’Empaillé, no 9, printemps 2023, journal papier indépendant en Occitanie, lempaille.fr.
(1) Impossibilité d’enfermer des animaux en poulaillers mobiles, gestion du fumier, etc.
(2) Autre terme édulcoré pour décrire l’abattage massif de volailles en pleine santé ayant eu le malheur de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment.
Pour aller plus loin :
Le collectif Sauve qui poule regroupe des éleveu·ses de volailles fermières et des citoyen·nes qui s’engagent à leurs côtés pour promouvoir un mode de production « en plein air, respectueux de l’environnement et des animaux ». Il s’engage contre l’enfermement des poules. Il a des sections dans le Gers, le Var, le Béarn, la Loire-Atlantique, le Pays basque, le Poitou et la Provence notamment. Sauve qui poule, 500 chemin de la Traille, 84250, Le Thor.