Dossier Agriculture Végétarisme

L214 : combattre l’exploitation animale

Guillaume Gamblin

Silence a demandé à Brigitte Gothière, présidente de l’association L214, quels étaient les résultats obtenus, les perspectives et les principaux obstacles dans leur lutte pour défendre les animaux utilisés dans la production alimentaire.

L’association L214 a été créée en 2008. Elle combine une approche dite « welfariste » (campagnes pour mettre fin aux pires pratiques d’élevage) et une visée abolitionniste (cesser de considérer les animaux comme des ressources alimentaires, en favorisant l’accès à une alimentation végétale). Elle cherche à la fois à faire évoluer les réglementations de protection animale et les habitudes de consommation. C’est aujourd’hui la principale organisation mobilisée sur le sujet en France (1).

Silence : Qu’est-ce qui a changé en France depuis votre création, il y a quinze ans, sur les combats que vous menez ? Dans les lois, les pratiques (d’élevage, de consommation…), les mentalités ?
Brigitte Gothière : C’est devenu un sujet de débat public et politique, qu’on ne peut plus balayer d’un revers de main. C’est un sujet devenu « concernant » pour tout le monde. Nous avons montré des images, il y a eu un choc dans l’opinion.
Au niveau de l’évolution des mentalités, il y a un positionnement clair d’une majorité (85 % de la population, selon les sondages) contre l’élevage intensif, qui ne laisse aucun accès à l’extérieur aux animaux. L’idée qu’on peut manger moins de viande, et celle qu’on peut se nourrir de façon végane, ont également progressé dans la population. On veut mettre en avant le fait que le personnel est politique, surtout quand il se passe en cuisine.
Au niveau des entreprises, nous travaillons secteur par secteur. Nous avons notamment réalisé une campagne sur les poules pondeuses élevées en cages. Cette campagne a entraîné une diminution de la proportion de poules élevées en cage, de 80 % en 2008, à 23 % aujourd’hui.
Cent cinquante entreprises (producteurs, fabricants, distributeurs) ont pris des engagements pour bannir les pratiques les plus cruelles. Par exemple, Intermarché et Lidl ont bougé après de fausses campagnes de pub dans lesquelles nous retournions leurs slogans pour mettre en avant leurs contradictions sur ces points.
Nous avons fait bouger le groupe Avril, responsable d’un quart de la production françaises d’œufs . Le groupe a arrêté de produire des œufs issus de poules élevées en cage.
Aujourd’hui, nous menons des campagnes autour des poulets de chair. Notamment contre un projet de construction de 80 poulaillers dans l’Yonne par le groupe Duc.
Nous portons aussi des demandes sur les cochons, pour réduire les densités d’élevage, interdire les mutilations, bannir les cages individuelles, mettre fin à l’étourdissement par asphyxie au CO2, etc.
Au niveau politique, on a obtenu la fin du broyage des poussins (même si c’est avec des restrictions), ainsi que la fin de la castration des porcelets et la fin de l’élevage des animaux à fourrure (visons, etc.).
Au niveau des communes, nous menons depuis 2020 des actions auprès des municipalités, avec des chartes d’engagements de la part de mairies. On a établi un classement des villes vertueuses en la matière. Par exemple, en excluant de la commande publique les productions issues d’élevages intensifs.
Enfin, au niveau moral et philosophique, le débat est posé de l’utilisation des animaux comme ressource alimentaire, ainsi que la question du spécisme. La prise en compte des intérêts des animaux est de plus en plus reconnue.
Au niveau des mentalités cependant, il reste la question d’une société qui rejette l’élevage intensif à 85 %, mais où 80 % des animaux consommés en sont encore issus.

Vous n’avez pas l’impression que, malgré tout cela, l’élevage est de plus en plus industriel ?
Au niveau de l’élevage, on n’a jamais autant élevé d’animaux pour les manger (1, 2 milliard d’animaux sont tués chaque année en France) (2), ce qui signifie un élevage de masse, donc une dégradation des conditions de vie des animaux. Et en même temps, il y a une plus grande attention aux conditions des animaux dans les déclarations.
Certaines de nos campagnes sont très connues par les images des enquêtes, mais nous menons beaucoup d’actions de diverses sortes : auprès du grand public, des enseignant·es, des jeunes (3).
Ou encore des entreprises, pour faire reculer le pire, pour développer le pan végétal. Par exemple, nous travaillons avec 3 000 restaurants qui désormais proposent au moins une alternative végane à leur carte.

Qu’est-ce qui vous distingue des autres associations engagées pour l’abolition de l’élevage ?
Nous sommes un mouvement abolitionniste et antispéciste. Nous voulons mettre en lumière que la façon dont on se comporte envers les animaux est violente à bien des égards, et que cela a aussi des conséquences sur l’humain et sur l’environnement. Nous posons une question radicale, à la racine de nos rapports avec les autres animaux.
Nous utilisons des moyens d’action non-violents. Avec One Voice, nous nous retrouvons sur les mêmes lignes, mais eux ont un spectre de campagnes plus large que le nôtre (4).
Pour nous, il n’y a pas des bons et des méchants, nous n’avons pas d’ennemis. Comment fait-on pour changer les choses avec la société en entier, avec tout le monde ? On a tou·tes mangé de la viande. Les personnes qui mangent de la viande ne sont pas, en elles-mêmes, des personnes mauvaises. On vit tou·tes avec nos contradictions et nos paradoxes. Il faut partir d’où on est, et emmener les gens plus loin.
On se distingue d’autres organisations qui sont plus dans la colère et dans l’invective. Mais nous avons en commun le fait de considérer les autres animaux non pas comme des ressources, mais comme des êtres avec qui vivre sur Terre.
Welfarm, CIWF sont réformistes. Ces organisations ne remettent pas en question le fait même de consommer les autres animaux. Mais on peut coopérer avec elles, ainsi qu’avec d’autres organisations écolos, environnementales, syndicales, etc.

Est-ce que l’Union européenne freine ou accélère la prise en compte de vos sujets, par rapport au niveau national ?
L’Union européenne adopte des directives qui peuvent aller au-delà de la législation française au niveau du bien-être animal. C’est souvent la France qui freine. Des textes importants seront examinés cet automne, au niveau des conditions d’élevage, d’abattage, etc. Notamment en lien avec la campagne du CIWF, End the Cages. Ces textes concernent les poules pondeuses mais aussi les lapins, truies, veaux, etc.
Aujourd’hui, le ministre allemand de l’Agriculture est végétarien, il fait avancer les choses.
Cela tranche avec la situation en France, où le ministre de l’Agriculture refuse de dialoguer avec L214, l’exclut de toutes les discussions, et notamment du Comité national d’éthique au sujet des abattoirs, qui a quand même été créé en réponse à nos vidéos !
Au niveau local, nous réalisons de belles avancées. Elles vont forcément finir par avoir des répercussions nationales et européennes.

Quels sont les principaux obstacles et freins auxquels vous faites face ?
Les freins sont :
– l’inertie des politiques (qu’on retrouve plus largement concernant tous les thèmes écologiques), très liée à la puissance des intérêts privés ;
– les syndicats. La FNSEA a l’oreille du gouvernement. On peut en prendre pour exemple la cellule de gendarmerie Demeter qui avait été mise en place, et les menaces sur les lanceurs d’alerte (5) ;
– les procédures-bâillons. On est fréquemment assigné·es en justice lorsqu’on sort des images.

Comment vous situez-vous par rapport au milieu de l’agriculture paysanne, qui est lui aussi favorable à une sortie de l’agriculture intensive et industrielle ? Des alliances ponctuelles sont-elles possibles ?

Nous avons parfois pu coopérer avec la Confédération paysanne et d’autres, par exemple pendant la lutte contre la ferme des mille vaches, dans la Somme. Nous pensons que des alliances sont possibles. Mais dans les faits, c’est rarement le cas. Pour eux, c’est plus compliqué, car on va questionner la question de l’élevage en elle-même. On a un bout de chemin à faire ensemble, pour sortir au plus vite de l’élevage intensif. Même si on n’est pas d’accord sur tout, on peut s’entendre sur la baisse de la consommation de viande et sur la fin de l’élevage intensif.

Ces difficultés viennent peut-être, en partie, du fait que certain·es véganes encouragent une industrialisation de l’alimentation végétale, ou encore la production de viandes de synthèse. Est-ce que vous êtes opposé·es à l’industrialisation de l’ensemble de l’alimentation, même non carnée ?
Nous posons sur le sujet la question des conséquences : est-ce mauvais pour la santé ? Pour l’environnement ? Au niveau de l’alimentation végétalienne, certaines sont très industrialisées, d’autres pas du tout. Il est possible de se nourrir de manière végétalienne sans être dans la nourriture industrielle.
Ensuite, entre une chipolata végane et une chipolata de cochon, laquelle est la plus industrielle ? Ce n’est pas dit que ce soit la végane. Mais la végane a moins de conséquences néfastes à tous niveaux.
Rien n’empêche de progresser là-dessus. On n’est pas obligé d’aller vers la viande de culture.
Pour tout choix, il faut se poser la question des conséquences de nos choix. C’est la question de base de l’antispécisme.

Ce serait quoi, le monde de demain où on ne mange plus d’animaux ?
On peut aménager nos espaces en vivant en bonne intelligence avec nos animaux. Le monde antispéciste n’est pas un monde où on sépare les animaux et les êtres humains. On peut imaginer des très belles relations avec les animaux, sans rapports de domination. Avoir plus de considération envers les animaux ne peut que nous aider pour les relations entre êtres humains.

L214, tél. : 09 72 56 28, www.l214.com

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