Dossier Agriculture

Des bâtons dans les roues de l’Abat’mobile

Marjorie Écochard

Il n’existe pas encore d’abattage mobile à la ferme en France, mais plusieurs projets sont en cours de réalisation. Olivier Lozat, animateur à la Confédération paysanne, soutient depuis ses débuts celui de la Maison paysanne de l’Aude (1). L’idée est de se déplacer auprès des éleveu-ses pour abattre les animaux sur leur lieu de vie et éviter ainsi le stress du transport et de l’abattoir. Pour beaucoup, il est important d’accompagner l’animal qu’on a nourri, et soigné jusqu’à sa mort. Entretien.

Silence : Comment est née l’idée de créer un abattage paysan à la ferme ?
Olivier Lozat : C’est un projet à l’initiative de paysan·nes qui s’interrogeaient sur la mort de leurs animaux. La loi d’avenir agricole Egalim, en 2018 (2), a permis de développer en France des abattoirs mobiles, comme cela se pratique déjà dans d’autres pays européens depuis de nombreuses années. Un groupe d’éleveu·ses ovins et caprins s’est constitué sur le département de l’Aude. En parallèle, la Confédération paysanne a fait un gros travail pour que ce projet puisse aboutir. Elle a créé un réseau pour relier les différents projets, travaillé sur l’application des décrets et aidé le groupe dans les démarches administratives. Il a fallu aussi informer les vétérinaires qui n’étaient pas au fait de cette pratique. La Confédération a organisé deux colloques sur la question depuis la parution de la loi.

Quels sont les arguments en faveur de l’abattage paysan ?
L’objectif premier des éleveurs du groupe était de supprimer le transport des animaux, une des sources principales de leur stress. Les abattoirs sont très loin de certain·es éleveu·ses, qui doivent faire jusqu’à deux heures de route pour y emmener leurs animaux. Il y a aussi le problème de la taille des abattoirs : ils sont de moins en moins nombreux, donc de plus en plus grands. Les animaux attendent plusieurs heures, mélangés avec d’autres. La promiscuité crée de l’agressivité. L’abattage à la ferme permet de les tuer sans qu’ils s’en rendent compte, dans leur environnement quotidien, sans montée d’angoisse.

Comment se présenterait l’Abat’mobile ?
Il y a plusieurs systèmes possibles. Celui choisi par l’Abat’mobile est un caisson d’abattage. Les animaux sont abattus, saignés et suspendus dans ce caisson puis rejoignent une placette où le camion équipé et frigorifié les attend pour que la mise en carcasse soit réalisée. L’abattoir mobile se déplace de ferme en ferme ou de commune en commune. Son déplacement est limité à une heure de trajet.

De la conception à la réalisation, comment avez-vous fait en sorte que ce projet avance ?
Le collectif est indispensable pour réaliser ce type de projet, qui réunit beaucoup d’acteurs. Pour des abattages paysans est une association créée en 2020 et dans laquelle des éleveurs tâcherons (3) se réapproprient la mort des animaux. Certains abattoirs ont été fermés par l’État, notamment celui du Vigan (entre le Gard, l’Aveyron et la Lozère) qui a pu être repris par un collectif d’éleveu·ses auto-organisé·es. Aujourd’hui, c’est un lieu de formation. En effet, il n’existe malheureusement pas de formation pour exercer ces métiers-là. L’abattoir du Vigan permet d’échanger des savoir-faire et d’apprendre les gestes pendant une journée ou deux. Il a fallu aussi s’équiper avec des outils spécialisés dans l’alimentaire et le conditionnement des produits. Puis le projet a pu voir le jour grâce à un financement participatif. On a été surpris de voir l’intérêt des citoyens pour cette question de l’abattage.

Pour le moment, le projet n’est pas encore en fonctionnement. Qu’est-ce qui ralentit sa mise en œuvre ?

C’est un projet long à mettre en place. À l’heure actuelle, il n’y a pas encore d’abattoir mobile en France. D’abord, il a fallu attendre la parution des décrets après le vote de la loi. Les démarches administratives sont contraignantes. Nous avons eu de longs échanges avec la Direction générale de l’alimentation. La Confédération paysanne a été d’une grande aide. Il faut présenter un plan de maîtrise sanitaire, un agrément, les éleveurs doivent se former. À l’échelle locale, il faut tout inventer :la structure juridique, la gestion des déchets, trouver des financements, des communes qui acceptent d’accueillir l’abattoir,... Les paysan·nes ont aussi leur travail à côté. Ça avance petit à petit. Pour le moment, la région ne nous a pas octroyé d’aide financière. On est dans l’attente. L’idée est que la Maison paysanne investisse dans l’Abat’mobile. Ensuite, on aimerait que les communes prennent en charge l’installation des placettes avec l’accès à l’eau et l’électricité. Il y aura un surcoût, lié au fonctionnement, qui se répercutera sur le prix de la viande mais les consommat·rices sont déjà sensibilisé·es, notamment par les éleveu·ses membres du projet qui vendent en direct. On réfléchit à la création d’un label pour faire connaître les conditions d’abattage des animaux.

Comment est perçu le projet par les abattoirs environnants ?
En dix ans, on a perdu trois abattoirs dans le département. On essaie de se rapprocher des éleveu·ses éloigné·es de l’abattoir principal. Beaucoup font de la route vers les départements voisins pour en trouver un encore en fonctionnement. L’abattage mobile n’est donc pas une concurrence mais un moyen de ramener des éleveu·ses dans l’Aude.

(1) La Maison paysanne est une société coopérative d’intérêt collectif de 150 sociétaires dans l’Aude qui réunit agricul·trices et éleveu·ses dans le respect de l’économie sociale et solidaire, de l’écologie et du bien-être animal. Maison paysanne de l’Aude, 1, avenue Salvador-Allende, 11300 Limoux, www.maisonpaysanneaude.fr.
(2) La loi Egalim, adoptée par le Parlement le 2 octobre 2018, promeut une alimentation saine et durable, ainsi que le rééquilibrage des échanges commerciaux dans le secteur agricole. Elle vise entre autres à protéger les revenus des product·rices, à interdire l’élevage de poules en cage, à diminuer l’usage du plastique, à encourager la consommation de produits bio dans la restauration collective, et elle autorise l’abattage paysan à travers la défense du bien-être animal.
(3) Les éleveu·ses tâcheron·nes sont celles et ceux qui pratiquent eux-mêmes l’abattage, sans le déléguer à d’autres.

Un projet d’abattage des animaux à la ferme en Loire-Atlantique
Charline Devis est animatrice à l’association Abattage des animaux sur leur lieu de vie (AALVie), située en Loire-Atlantique, où de nombreux abattoirs ont fermé. Il est très compliqué pour des éleveu·ses qui ont accompagné leurs animaux pendant plusieurs années de se voir dépossédé·es de leurs dernières heures de vie, souvent les plus stressantes qu’ils aient connues, à cause du transport et des conditions d’abattage. La spécificité du projet de l’association est de prendre en compte toutes les espèces : « Plusieurs projets d’abattage mobile concernent uniquement les ovins et caprins. Il nous paraît important d’intégrer l’abattage bovin. »
L’association travaille également à la création d’une mention valorisante (« Né, élevé et abattu à la ferme ») qui mettrait en valeur des choix de pratique d’élevage. « L’idée est que l’abattage vienne conclure de façon cohérente un système d’élevage respectueux de l’animal », explique-t-elle. La notion de bien-être animal est essentielle, mais aussi celle d’une ferme responsable et écologique dans sa globalité, incluant en priorité le pâturage. Charline Devis explique : « L’élevage permet de favoriser les prairies, qui sont des nids de biodiversité et surtout des filtres pour les nitrates. »
Inspiré des abattoirs mobiles d’Allemagne et de Suède, le mode de fonctionnement envisagé est de taille réduite. Il ne s’agit pas d’un poids lourd où toutes les manipulations seraient effectuées, ce qui supposerait une infrastructure communale adaptée et une consommation d’énergie pour le refroidissement. L’AALVie a fait le choix d’un caisson mobile d’abattage, puis d’un transport de la carcasse vers un lieu de conditionnement, situé à moins d’une heure de route.
Le plus gros problème actuel réside dans les sources de financement. Les aides des collectivités sont essentielles car une activité d’abattage seule n’est pas rentable en France. Seules la transformation et la vente de la viande sont lucratives.
Marjorie Écochard
La chèvre et le chou
Dominic Lamontagne, Jean-François Dubé
Dominic Lamontagne, éleveur paysan, et Jean-François Dubé, militant végane, décident d’ouvrir le dialogue au sujet de l’élevage, du rapport aux animaux, de l’alimentation, de la santé, etc.
À la lecture, il est souvent difficile de se positionner, tant les arguments de l’un et de l’autre sont riches et convaincants. Chacun réfute avec efficacité les arguments de l’autre. « Puisque nous pouvons vivre en bonne santé sans faire souffrir ni abattre des animaux, comment justifier de continuer à le faire ? », demande Jean-François Dubé. Dominic Lamontagne critique quant à lui l’absence d’expériences pratiques d’agriculture végane à même de nourrir l’humanité. Durant tout le livre, l’un comme l’autre auront du mal à sortir de leur logique respective, à répondre à la question posée par l’autre, comme s’il s’agissait d’angles morts de leurs réflexions réciproques.
Dans la partie traitant de la santé, chacun mobilise des études démontrant la nécessité et les bienfaits pour la santé d’un régime soit intégrant les produits animaux, soit végane. Dans la troisième partie, qui concerne « l’environnement », l’éleveur prend en compte de manière convaincante les interactions écologiques et sociales plus vastes, les réalités des paysanneries du monde entier, les formes d’organisation sociale. Son interlocuteur met en avant la nécessité de réduire la consommation de produits animaux pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Les éléments du débat sont posés, à chacun·e de se faire un avis. GG
Éd. Écosociété, 2023, 288 p., 16€.

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