Article Décroissance Réflexions

Critique de la transition écologique

Matthieu Amiech

Le concept de transition écologique a pris le relais de celui de développement durable dans les discours politiques et économiques dominants. Il a pour effet de jeter de la poudre aux yeux pour masquer les pratiques du capitalisme technologique. Ce texte en formule une critique bienvenue.

La notion de transition écologique ne signifie pas du tout [que les grands dirigeants économiques et politiques] envisagent ne serait-ce qu’un infléchissement du mode de production industriel. C’est d’un redéploiement et d’une modernisation qu’il s’agit. Le projet de transition n’amènera pas un arrêt, ni même un freinage de la destruction dramatique de nos milieux de vie, il pourrait plutôt en être un accélérateur.
Ce que j’affirme là est si contraire aux représentations courantes, forgées par un matraquage médiatique et idéologique inouï, qu’il faut m’y arrêter un moment. Qu’est-ce que la « transition écologique », et pourquoi puis-je me permettre d’affirmer qu’elle est un mensonge grossier, un travestissement scandaleux de la poursuite de notre trajectoire vers la destruction ? La transition se prétend une inflexion du mode de production industriel, dans le sens d’une plus grande rationalité. Grâce à de nouvelles méthodes de production, grâce notamment à une réorientation de la production d’énergie vers l’électricité, on pourrait avoir un niveau de confort intact, voire supérieur, avec moins de pollution, moins de gaspillage, et moins d’émissions de dioxyde de carbone.

Un simple transfert de la destruction sur les métaux de la croûte terrestre

Le premier tort de ce pseudo-concept, c’est donc qu’il réduit le désastre écologique à une seule de ses dimensions : le réchauffement de l’atmosphère sous l’effet de l’accumulation de gaz à effet de serre, provoquée par la combustion de charbon et de pétrole (notamment) depuis les débuts de la Révolution industrielle. Or, le désastre que le mode de production industriel (et les habitudes de consommation qu’il a permises) a engendré est multidimensionnel. Il est évident que le réchauffement du climat en est un aspect fondamental, mais la pollution des sols, des cours d’eau, des nappes phréatiques, la disparition de nombreuses espèces végétales et animales ne sont pas moins négligeables et elles ne sont pas dues qu’à l’extraction et la combustion d’hydrocarbures. Ces évolutions sont le résultat de l’ensemble des activités industrielles et consuméristes, et pratiquement chacune d’elles constitue à elle seule une menace pour la survie des sociétés humaines à moyen terme (1).
Le problème est que la prétendue transition ne peut que poursuivre cette dévastation des milieux, des espèces et des sociétés. En effet, son objectif est très concrètement de transférer sur les métaux de la croûte terrestre la demande de puissance qui reposait, depuis 1800, sur les énergies fossiles.

Un aveuglement technocrate

(…) Le pari de la transition écologique pose de nombreux problèmes. Il repose sur des hypothèses optimistes, voire irréelles : il y aura toujours assez de métaux ; nous allons devenir de plus en plus efficaces et « écolos » pour les extraire ; les recherches permettront d’inventer des batteries et des outils numériques de plus en plus durables ; on arrivera à faire sans les métaux les plus problématiques, sur le plan géopolitique ou écologique, etc. Cet optimisme est caractéristique de l’idéologie progressiste, qui part des principes que, grâce au génie de la science et aux progrès incessants des technologies, aucun problème ne restera insoluble.
Comment, au point où nous en sommes rendus, écarter l’hypothèse qu’il y a, derrière cet optimisme d’ingénieurs et de technocrates, autre chose que de la foi et de l’aveuglement ?

(1) Je ne reviens pas ici sur ce que ce mode de production a fait de l’être humain, cette dimension étant largement abordée ailleurs dans le livre. Mais il faut toujours penser ensemble la dégradation infligée au milieu naturel et la dégradation infligée à notre condition humaine, à nos esprits et nos relations.

Ce texte est extrait du livre L’industrie du complotisme, paru aux éditions La Lenteur en 2023.

L’industrie du complotisme
Matthieu Amiech

L’auteur s’inquiète de la diffusion du complotisme (porteur de simplifications et de dépolitisation), et critique l’anti-complotisme des classes dirigeantes, en dénonçant son approbation (résignée ou enthousiaste) au cours des choses. Il analyse la numérisation totale de nos vies, à la fois comme ferment de complotisme et comme projet politique d’aliénation au service des intérêts capitalistes. Notre histoire récente regorge de mensonges de masse orchestrés par États et grandes industries (atomiques, du tabac, des pesticides, etc.). Par exemple cette ville de 70 000 habitant·es, plus vaste que Paris, mise en place aux USA pour fabriquer la bombe atomique : Truman, alors vice-président des États-Unis, n’était pas au courant de son existence... La méfiance est nécessaire, mais sa récupération simpliste et réactionnaire est une impasse. Un livre très technocritique, qui fait prendre de la hauteur et aide à réfléchir à notre présent. GG
Éd. La Lenteur, 2023, 220 p., 18€.

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