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Projets autoroutiers : des plumes et du goudron…

Stephen Kerckhove

Intoxiqués au bitume et humant l’air vicié du temps, élus locaux et responsables politiques convolent en justes noces pour célébrer de nouveaux projets autoroutiers inutiles. Ils comptent les imposer à cette populace rétive à vivre à côté de ce que certains s’acharnent encore à nommer « progrès ».

Alors même que le réseau routier hexagonal compte plus d’un million de kilomètres de voies, dont 10 000 kilomètres d’autoroutes, 55 projets sont encore envisagés, représentant une extension de 10 % du linéaire d’autoroute. Et ce, pour la modique somme de 18 milliards d’euros, principalement à la charge des contribuables. La plupart de ces projets datent de la fin des années 1970 et sont le reflet d’une époque dépassée. Cette incongruité climatique est pourtant loin d’être rangée dans les poubelles de l’histoire, alors même que le secteur des transports continue, année après année, d’augmenter ses émissions de gaz à effet de serre pour représenter près du tiers des rejets français de CO2 !

Pour mémoire, ces autoroutes ont accueilli près de 64 millions de véhicules en 2022. Chaque minute qui passe, ce sont 174 087 kilomètres qui sont parcourus sur ces autoroutes concédées. La duplicité des pouvoirs publics est telle vis-à-vis de la nécessaire lutte contre le dérèglement climatique que nous ne pouvons que nous poser la question des liens qui unissent les décideurs politiques et les acteurs économiques. Depuis la privatisation des autoroutes, cette interrogation est plus que légitime. D’autant que l’ancienne directrice des concessions d’Eiffage, groupe ayant la haute main sur l’exploitation de 2 465 kilomètres de routes et autoroutes, n’est autre que… l’actuelle Première ministre, Elisabeth Borne.

« Ailleurs n’est jamais assez loin »

L’ambiguïté réside dans le fait que pouvoir politique et décideurs économiques partagent une communauté de destin, une même vision partagée de ce à quoi doit correspondre la mobilité, qui confine à une nouvelle forme de « bougisme ». Et pour assouvir cette soif de mouvement par le mouvement et pour le mouvement, rien n’est mieux que de construire de nouvelles infrastructures permettant d’augmenter le flux automobile.
Que cette logique puisse nous conduire à augmenter nos émissions de CO2, accroître notre consommation d’énergie tout en fragmentant et en artificialisant les écosystèmes, ou encore à rejeter des polluants de proximité et des microparticules de plastiques issus de l’érosion des pneumatiques, est au mieux un angle mort d’un système moribond, au pire un dommage collatéral, acceptable au nom du progrès.

Parce que ces projets sont incompatibles avec notre avenir climatique, ils doivent être contestés. De l’A69 entre Castres et Toulouse à l’A132/A133 à l’Est de Rouen, en passant par l’aménagement de la RN113 à proximité d’Arles ou par le projet prévu entre Thonon et Machilly, se joue l’alternative entre la fin d’un modèle climaticide ou la perpétuation d’un système destructeur. En prévoyant de mobiliser des budgets tout à fait considérables pour construire de nouvelles autoroutes, ce gouvernement fait la démonstration qu’il reste sourd à nos appels au respect de la vie. Nous devons donc faire le nécessaire pour qu’il renonce à sa surdité écologique. Il s’agira en quelque sorte d’une légitime défense climatique.

Pour aller plus loin : Voir notre article « La déroute des routes, une coalition contre le bitume », Silence, n°518, février 2023.

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