Article Pollutions industrielles

Béton Lyonnais : désarmer pour alerter

Maële Hissette

Le samedi 4 mars 2023 à 6h du matin, des militant·es de Youth for Climate et d’Extinction Rebellion ont brisé le silence entourant les activités illégales de la cimenterie Béton Lyonnais. Près d’une soixantaine d’activistes ont bloqué le site, sous les lumières des lampadaires. Reportage sur cette action à Décines-Charpieu, près de Lyon.

Béton Lyonnais, n’aurait jamais dû s’implanter ici. Il n’en avait pas le droit, il n’en a toujours pas le droit, mais les pouvoirs publics le laissent prospérer en toute illégalité. Puisqu’ils ne font rien, nous avons décidé d’agir à leur place. Aujourd’hui nous avons décidé de réaliser la fermeture administrative du site“. Derrière cette jeune femme qui explique la raison de leur présence au mégaphone, une soixantaine d’activistes s’affairent. Le samedi 4 mars 2023 à 6h du matin, les membres des organisations écologistes Youth for Climate et Extinction Rebellion ont mené une action de désobéissance civile pour dénoncer les activités de l’entreprise Béton Lyonnais à Décines-Charpieu (Est Lyonnais). Tandis que certain·es tiennent une banderole sur laquelle on peut lire : "Eau en danger : Béton Lyonnais criminel, Préfecture et Mairie complices", quelques-un·es s’occupent de bloquer l’entrée à l’aide de gravas, de blocs de pierre et de branches, et d’autres partent désarmer deux endroits stratégiques du site.

Leur objectif : lutter contre la présence illégale de Béton Lyonnais sur ce site et dénoncer l’inaction des pouvoirs publics. “On se rend compte que ça ne marche pas de demander gentiment”, nous confie Julien*, un trentenaire, développeur web dans la Loire. “Les moyens légaux ont été utilisés. Mais quand ils ne fonctionnent pas, il faut passer à autre chose“. Quelques dizaines de minutes après le début de l’action, une porte, des réservoirs d’essence, des bétonnières et un concasseur ont été cimentés. L’utilisation de ciment à prise rapide est un pied de nez à cette centrale à béton qui s’est installée, sans permis de construire, sur une zone protégée. Ces actes de désarmement n’ont “rien de vraiment définitif”, précise l’activiste, mais servent à porter leur message : les machines présentes sur ce terrain ne devraient pas s’y trouver.

30 années d’infractions

L’histoire commence en 1993, lorsque Béton Lyonnais décide de s’établir sur une zone agricole protégée : La Rubina. Loin d’être destinée à des activités industrielles, l’occupation des sols de cette zone est strictement réservée à des usages agricoles. Mais les irrégularités administratives ne s’arrêtent pas là. Le périmètre sur lequel la cimenterie s’est installée héberge un captage d’eau potable de la Métropole de Lyon. Bien qu’il soit peu utilisé pour alimenter en eau le Grand-Lyon (1), le captage de la Rubina reste nécessaire en cas de problème sur le lieu captant principal. Béton Lyonnais met donc concrètement en danger une source d’eau potable, protégée depuis 1976 par une Déclaration d’Utilité Publique, qui interdit toute activité industrielle à proximité.

Et comment sont alimentées ces centrales à béton ? Avec l’eau des nappes alluviales ! Ils pompent des milliers de litres d’eau pour du béton alors qu’ils n’ont même pas le droit d’être là” témoigne Mélissa Gomez, riveraine qui habite la maison voisine. À ces forages illégaux, s’ajoutent de multiples infractions au droit de l’environnement avec par exemple le rejet d’eaux usées à même le sol ou encore l’absence de protection de stocks d’hydrocarbures.

C’est chez nous, mais nous ne pouvons pas en jouir " explique Mélissa. Poussières de béton, mur érigé dans leur jardin et menaces à répétition : les riverain·es subissent les abus de l’entreprise depuis une trentaine d’années. Et les méfaits de Béton Lyonnais ne s’arrêtent pas là. En 2021, l’irrespect du droit du travail devient évidente suite à la mort d’un employé de l’entreprise, enseveli sous plusieurs tonnes de gravier d’une centrale à béton.

Une justice à deux vitesses

Quand j’ai su pour l’action, ça m’a fait du bien de me dire que je n’étais pas seule, que c’était une chose publique dont d’autres se saisissaient !” témoigne Mélissa Gomez. En effet, depuis 2018, des riverain·es se mobilisent pour demander la fermeture du site et porter l’affaire en justice. Cependant, le 28 février 2023, le tribunal administratif a rejeté leur requête. La justice a donné raison à l’entreprise alors que les entorses administratives, environnementales et sociales sont flagrantes. “Ça nous déçoit énormément que le tribunal n’ait pas constaté l’augmentation de la taille des machines, de leur nombre et de leur puissance alors qu’à sa création l’entreprise avait obtenu l’autorisation d’une centrale à béton de seulement 3㎥ ” explique Marin Bisson, membre de Youth for Climate.

Si la plainte en première instance n’a pas porté ses fruits, le combat ne s’arrête pas là. “Je compte faire appel avec mon avocat parce que c’est injuste. C’est juste une question politique, une question de pouvoirs” explique l’habitante consternée. Béton Lyonnais est également poursuivi au pénal pour des atteintes répétées à l’environnement et le non-respect de la réglementation d’une ICPE (2). Dans ce cadre, la Métropole s’est constituée partie civile aux côtés de l’association France Nature Environnement. Malgré les intimidations de l’entreprise, qui n’hésite pas à les menacer ou à les assigner en justice pour des motifs absurdes, en représailles, les plaignant·es tiennent bon.

“Garder sous silence, c’est aussi accepter”

Bien que l’action menée par Youth for Climate et Extinction Rebellion ait été ouvertement non-violente, le gardien du site n’en ont pas tenu compte. Il a agressé deux jeunes femmes et brutalisé des activistes accrochant une banderole en haut d’un silo, à plus de 30 mètres du sol. Quittant les lieux à travers champs, le groupe s’est fait arrêter par la police pour un contrôle d’identité, puis est reparti heureux d’avoir réalisé la “fermeture administrative” de l’usine, au moins symboliquement. Cela leur a permis d’alerter sur le mutisme de la préfecture et de la mairie, car comme le constate Mélissa Gomez : “Garder sous silence, c’est aussi accepter”.

Béton Lyonnais n’est pas un cas isolé. À une vingtaine de kilomètres de Lyon, dans la vallée de l’Azergues, la cimenterie Lafarge fait partie des 50 sites industriels les plus polluants en France. Également mise en cause pour sa pollution et son mépris de la santé des populations environnantes, elle n’en est pas pour autant inquiétée. Une véritable omerta entoure les activités de cette entreprise alors que les poussières blanchâtres recouvrant toits, voitures et végétation des environs laissent peu de place au doute quant à leurs origines.

Notes :

1 Seulement 2% de la production d’eau potable totale actuelle du Grand-Lyon.
2 ICPE : Installations Classées pour la Protection de l’Environnement. Ces infractions ont été constatées par la Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL), services de la Préfecture du Rhône.

* Le prénom a été modifié afin de garantir l’anonymat de l’interlocuteur

Contacts :
Youth for Climate Lyon, contact@youthforclimatelyon.fr, youthforclimatelyon.fr
XR Lyon Rhône, rhone@extinctionrebellion.fr, https://extinctionrebellion.fr/branches/lyon-rhone/

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