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Les changements climatiques contemporains sous l’œil de la science-fiction

Yann Quero

Les premiers auteurs de science-fiction à s’emparer de la question du changement climatique ont surtout envisagé des modifications naturelles, ou dans lesquelles les gaz à effet de serre n’étaient pas vraiment mis en avant (1). La science-fiction n’a pas échappé non plus au phénomène climatosceptique, avec l’un de ses auteurs les plus en vue, Michael Crichton, créateur de Jurassic Park et de Westworld, même s’il fait plutôt figure d’exception (2).
La plupart des aut·rices de science-fiction abordent désormais le réchauffement climatique de manière moins biaisée, même s’ils et elles le font avec des approches différentes. Trois grandes questions sont ainsi traitées : l’atténuation, l’adaptation et l’effondrement.

Atténuer
L’atténuation est la réduction des émissions de gaz à effet de serre, afin de limiter au maximum le réchauffement à venir. Plusieurs œuvres ont réfléchi à la façon d’amener les humains à sortir de l’inertie face aux menaces. Dans Il est parmi nous, en 2003, Norman Spinrad présente un comédien qui se dit envoyé par les gens du futur pour exhorter les humains à réduire les pollutions.
De 2004 à 2007, à travers les trois volumes de sa Trilogie de la pluie, Kim Stanley Robinson décortique les efforts de chercheu·ses et de politicien·nes aux États-Unis pour contrer le blocage des Républicains et le poids des lobbys, afin de faire du pays le leader mondial de la lutte contre le réchauffement.
Dans un registre plus humoristique, en s’appuyant sur une analogie explicite entre les crises climatiques et la menace d’une comète fonçant sur la Terre, le réalisateur Adam McKay montre, en 2021, dans le film Don’t Look up, que dans un monde de buz, de fake news et de complotisme, la mobilisation des scientifiques risque de ne pas suffire à éviter le pire (3).

S’adapter

Devant l’échec des tentatives d’atténuation, d’autres fictions renoncent à empêcher les dégâts pour prévoir une difficile adaptation aux inévitables changements.
C’est le cas de deux romans publiés en 1994 : La Mère des tempêtes de John Barnes, et Gros Temps de Bruce Sterling, où les événements extrêmes se font de plus en plus fréquents et où l’ingénierie climatique devient l’option de dernier recours. Sauf que bien sûr, le climat ne se laisse pas maîtriser, et que les satellites et autres équipements deviennent des enjeux de pouvoir risquant de se retourner contre leurs créateurs.
On retrouve cette idée sur un mode moins dramatique en 1999 chez Norman Spinrad, dans son roman Bleue comme une orange, qui place son intrigue dans une France tropicale où seule la géo-ingénierie pourrait peut-être éviter que la Terre n’entre dans une spirale infernale la rendant aussi inhabitable que la planète Vénus. C’est aussi autour des tentatives hasardeuses de manipulations du climat que le cinéaste Dean Devlin a construit son film Geostorm en 2017, avec de nouveau la menace de détournements pour des intérêts personnels.

S’effondrer ?

Après l’échec de l’atténuation, puis de la géo-ingénierie, une partie des auteurs de SF envisagent un effondrement au moins partiel.
C’est le propos du film catastrophe de Roland Emmerich sorti en 2004 : Le Jour d’après. L’augmentation de la chaleur provoque un blocage de la circulation océanique atlantique liée au Gulf Stream, avec un effet contre-intuitif : une reglaciation de l’hémisphère Nord, selon un phénomène qui a eu lieu lors de la fin de la dernière ère glaciaire, il y a 12 000 ans. Comme il s’agit d’un film hollywoodien, les Étatsunien·nes y gardent néanmoins le beau rôle, puisque les survivant·es se font accueillir par les Mexicain·nes en échange de l’effacement de leur dette (4).
De son côté, Jean-Marc Ligny, auteur très sensible à la question, a publié en 2012 le roman Exodes, où il suit six groupes humains de par le monde dans un contexte d’emballement du climat, alors que l’humanité a de plus en plus le sentiment qu’elle est condamnée à court terme.
Un dernier exemple d’effondrement lié aux désastres climatiques est le film de Christopher Nolan Interstellar (2014). Face aux tempêtes et au dépérissement de la biodiversité, le sort de l’humanité est tellement en péril qu’en 2067, l’envoi d’un vaisseau contenant des milliards d’ovules congelés pourrait être la seule manière d’éviter la disparition de notre espèce, à condition de découvrir une nouvelle planète habitable.
De manière surprenante, ce film aboutit à un happy end : un trou de ver dans l’espace (sans doute créé par des humains du futur) permet aux héros de trouver une planète B, puis le passage à l’intérieur d’un trou noir leur fait découvrir le secret de la gravité, qu’ils réussissent à transmettre à la Terre. Grâce aux nouvelles technologies que cela rend possible, les humains peuvent s’échapper de leur berceau et partir en direction de cette planète B.
L’optimisme de cette fin est peut-être la principale réserve que l’on puisse émettre à propos de ce film, très réussi par ailleurs. L’humanité parvient à ne pas périr et cela évite au spectateur de déprimer, mais cette réussite suppose énormément d’imagination et de chance.
Dans la mesure où nous n’avons aucune garantie de trouver un trou de ver spatial et une planète B, ni de survivre au passage dans un trou noir et de découvrir le secret de la gravité, il vaudrait sans doute mieux s’efforcer de réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre. Cependant, par-delà les effets d’annonce de nos politiques, un tel comportement semble pour l’instant relever de la science-fiction.

(1) Pour plus de précisions sur le traitement des transformations environnementales par les auteurs de science-fiction à une date plus ancienne, voir notre article : Yann Quero, « Les pionniers de l’écologie en science-fiction : 1892-1972 », Galaxies n° 52, 2018.
(2) En 2004, Michael Crichton a publié État d’urgence, roman où il prétendait que le réchauffement climatique était un mythe fabriqué par un milliardaire pour effrayer l’opinion publique, alors que le troisième rapport du GIEC en avait établi l’existence sans ambiguïté,ainsi que le rôle déterminant de l’humain. Il a même témoigné en ce sens en tant qu’expert scientifique en 2005 devant le Sénat des États-Unis. Son décès en 2008 a mis un terme à ses activités.
(3) J’ai moi-même publié en 2010 un roman intitulé L’Avenir ne sera plus ce qu’il était, où des extraterrestres arrivent sur Terre en 2036, en affirmant vouloir sauver l’humanité, sans que les protagonistes ne sachent si telle est bien leur intention, ou s’ils souhaitent en fait stériliser les humains pour préserver le reste de la biodiversité.
(4) Je traite du même phénomène dans Le Procès de l’homme blanc, paru en 2005, mais de manière moins naïve, en considérant qu’en 2143, seuls quelques îlots de sociétés survivraient, surtout sous les tropiques, et qu’il pourrait même ne plus y avoir aucun Occidental survivant, signe que les pays au Nord sont loin d’être aussi capables de s’adapter que certains ne le prétendent.

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