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Le Viel Audon, des ruines à l’écovillage

Michel Bernard


Fiche d’identité
Localisation : Balazuc, 360 habitant·es, Ardèche • Création : 1972 • 13 salarié·es • 12 000 bénévoles passé·es sur le lieu • Statut : plusieurs associations et SCEA • Surface : 60 hectares

Il faut vouloir y aller ! Le fléchage mène à un parking situé en haut de falaises qui dominent les gorges de l’Ardèche, à quelques kilomètres au sud d’Aubenas, à proximité de Balazuc. Il faut donc descendre un chemin caillouteux, seule voie d’accès pour rejoindre le village, quelques dizaines de mètres plus bas.
À l’origine, ce village a été habité dès la préhistoire par des populations heureuses d’y trouver un climat doux, une rivière poissonneuse, une source à température constante, une faune et une végétation abondante. Au début du 19e siècle, époque de développement du vers à soie pour le textile, les habitant·es quittent le hameau pour construire de grandes magnaneries sur le plateau qui surplombe le village. Ce dernier reste à l’abandon pendant plus d’un siècle.
En 1972, quelques jeunes qui veulent vivre à la campagne redécouvrent le site. Les ruines sont achetées et des chantiers de jeunes sont mis en place pour remonter le village, pierre par pierre.
Une association, Le Mat, voit le jour en 1976 pour encadrer les chantiers qui se succèdent à la belle saison. Au départ, seul le camping est possible. La première reconstruction permet d’abord l’installation d’une ferme, puis des logements s’ouvrent pour les permanent·es. Avec le temps, des gîtes voient le jour, puis des salles de formation et un espace restauration ouvert d’avril à octobre.

Un village entièrement reconstruit

En cinquante ans, ce sont plus de 12 000 jeunes de 17 à 25 ans qui ont participé aux chantiers. Aujourd’hui, il est possible d’accueillir sur place une quarantaine de personnes en plus de la petite vingtaine de personnes, salariées ou bénévoles, qui y habitent toute l’année. Cette capacité d’accueil permet l’hébergement de nombreuses classes vertes, mais également de groupes en formation. Un magasin a ouvert en 2004 avec des produits solidaires d’ici et d’ailleurs, visité surtout par les personnes faisant de la randonnée.
La ferme en polyculture-élevage comprend un troupeau d’une centaine de chèvres, de quelques vaches et cochons et la culture de plantes aromatiques.
L’association Le Mat anime de nombreuses formation autour de questions comme les productions agricoles, les économies d’énergie, la réduction et le recyclage des déchets, les choix de consommation. Elle encadre aussi la formation au sein du compagnonnage du réseau REPAS, Réseau d’échanges de pratiques alternatives et solidaires, réseau qui regroupe une quarantaine d’entreprises alternatives de porteurs et porteuses de projets. Toutes ces formations ont des points communs : favoriser l’autonomie et protéger la planète.

Diversifier plutôt que croître

Avec le temps, les jeunes du début ont pris des cheveux blancs et si certain.es sont encore présent.es dans le conseil d’administration de l’association initiale Le Mat, les permanent.es actuel.les sont beaucoup plus jeunes (moins de 40 ans).
Alors que les activités se sont multipliées, à un moment, cela a provoqué un énorme travail administratif. Plutôt que de grossir sans cesse, en 2010, il a été décidé de démultiplier les structures présentes sur le lieu.
L’association Le Mat a conservé le pôle formation en lien avec REPAS, a ouvert de nouvelles formations en fonction des nouvelles expérimentations (permaculture, hygiène, découverte de la nature, etc.). L’association emploie actuellement 5 personnes.
Une structure a été mise en place pour l’activité agricole sous forme de SCEA. Société civile d’exploitation agricoles. Jean que nous avons rencontré est en l’actuel gérant. Une SCEA regroupe des associé.es. On y retrouve actuellement, outre la plupart des salarié.es, quelques bénévoles comme Gérard Barras, 77 ans, l’un des fondateurs, Yann Sourbier, proche de la retraite, qui a longtemps été le seul permanent des lieux. La ferme emploie 6 personnes en contrat à durée indéterminée (pour 5 équivalents temps plein) auxquelles s’ajoutent deux personnes saisonnières au printemps et en automne, une en été. Outre les quelques terres au pied des falaises, avec le temps, la ferme a réussi à acheter ou louer une soixantaine d’hectares sur le plateau où les chèvres sont déplacées pendant la belle saison.
L’association Cultures ! est structurée autour de la boutique (alimentaire et librairie), de la buvette, de la restauration. Elle organise différents événements culturels en lien avec la commune, notamment pendant Balazuc’Art en septembre. Elle fait venir des artistes en résidence sur place ou pour des spectacles ponctuels. Elle emploie deux personnes.
Enfin, l’association AJC, Association des jeunes de chantier, organise entièrement bénévolement les chantiers sur place (jusqu’à 50 personnes en même temps, logées en camping). Le conseil d’administration composé d’une douzaine de personnes, se renouvelle en proposant à des jeunes venu.es pour un chantier de s’engager plus dans la durée. Un système de transmission à tous les niveaux, entre les personnes plus anciennes et les nouvelles permet de maintenir un degré de connaissance suffisant pour organiser les chantiers. L’équipe d’organisation fait également un travail d’inclusion pour varier les jeunes qui viennent en mixant les origines sociales, en favorisant la venue de jeunes de l’étranger, de jeunes en rupture, d’handicapé.es et en organisant des actions pour lutter contre le sexisme, le racisme...
Une fois par trimestre se tient le Conseil du hameau qui réunit tout le monde et qui permet de débattre des projets structurant qui concerne l’ensemble du hameau. Ce conseil est complété par un repas collectif par semaine où sont abordés plutôt les questions relationnelles entre les personnes, les ressentis. Enfin, en janvier, chaque année, un séminaire est organisé pour débattre des grandes orientations.
Au total, ce sont donc entre 15 et 20 personnes qui vivent en permanence sur place. Il y a une majorité de femmes (seulement 6 hommes). Ce n’est pas un choix. Cela vient des candidatures où les femmes sont très majoritaires. Il semble que les questions de recherche d’autonomie et de travail en harmonie avec la nature provoquent un engagement plus fort chez les jeunes femmes que chez les jeunes hommes.

Les difficultés au fil du temps

Il arrive qu’il y ait des conflits entre les personnes. Un comité d’accompagnement, avec des bénévoles proches, fait des entretiens réguliers pour voir les problèmes que peuvent rencontrer les personnes permanentes et désamorcer d’éventuels conflits. De fait, il y a des conflits plutôt entre les personnes qu’entre les structures. Globalement, les activités sont bien déterminées et relativement indépendantes, ce qui fait que les problèmes entre structures sont rares. Un moyen de résoudre les conflits entre personnes est parfois de faire des glissements d’activité, des personnes passant d’une structure à l’autre. Pour certains conflits, il a été fait appel à des personnes médiatrices extérieures.
Jean, qui est sur place depuis une dizaine d’années, constate qu’il y a une évolution de ces conflits avec le temps. Les nouvelles générations lui semblent de plus en plus sensibles à leur bien-être personnel et avoir de plus en plus de mal à se donner des objectifs, à prendre des responsabilités.
L’expérience du Covid a été un révélateur : pour certaines personnes, l’arrêt des activités avec du public a d’abord été perçu comme des vacances sans penser aux conséquences économiques que cela pouvait avoir, alors que d’autres se sont tout de suite interrogées sur comment maintenir des activités pour avoir une source de revenus autonome autre que les aides de l’État.
La fin du confinement, à l’été 2020, avec un reprise rapide des activités, a été difficile car il y a eu un évident manque de préparation. Les restrictions sanitaires ont été des freins pendant les années suivantes.
Il y a eu plusieurs crises globales : en 2004, une bonne partie de l’équipe est partie et Yann Sourbier a alors arrêté le travail de la ferme pour ne plus gérer que la partie formation. La première équipe qui gérait la boutique et la restauration n’a tenu que deux ans (2011-2013), la deuxième équipe s’est arrêtée pendant la crise du Covid…
Une autre difficulté a été le Plan de prévention des risques mis en place par la Direction départementale de l’équipement en 2012. Considérant que le camping est en zone inondable, celui-ci a dû être déplacé. Du fait de la proximité des falaises, la DDE a interdit la délivrance de permis de construire, mais également la possibilité de recevoir du public sur place. Cela a provoqué d’intenses discussions au niveau de la commune. Les relations entre le Viel Audon et le conseil municipal étant bonnes, ce dernier a alors mis en place un système de sécurisation contre les chutes de pierres : purge des falaises menaçantes, mise en place d’un système de filets de protection au-dessus du village. Cela a permis d’obtenir une nouvelle autorisation de recevoir du public, mais toujours pas d’avoir des permis de construire. Les chantiers de jeunes, depuis 2012, ont donc pu continuer, mais plusieurs maisons ont été remontées… sans pose de charpente et de toit du fait de l’interdiction d’ouvrir de nouvelles surfaces habitables. D’autres chantiers portent sur l’entretien de l’existant ou la construction de nouvelles terrasses.
Le compagnonnage au sein du réseau REPAS a aussi connu des difficultés. Le passage de la région sous le contrôle d’un président très à droite s’est traduit par la suppression de financements qui ont mis en difficulté la formation. En 2020, la crise sanitaire a stoppé cette formation. Pour nous qui naviguons depuis longtemps dans les milieux alternatifs, celle-ci a prouvé son efficacité : elle a permis la naissance de très nombreuses initiatives. Heureusement, une nouvelle formation a vu le jour en 2022.

Organisation du travail

Tout le monde est payé au SMIC horaire auquel se rajoute l’ancienneté. Le temps de travail est variable selon les postes et selon les choix des personnes. Les postes sont clairement définis et chacun.e gère ensuite son temps de travail, ses responsabilités, de manière autonome. Une des difficultés est d’intégrer les engagements bénévoles où les responsabilités et l’engagement ne peuvent pas être aussi élevés. Les personnes qui arrivent n’ont souvent pas la formation nécessaire. Il faut donc que la professionnalisation se fasse par l’expérimentation, ce qui nécessite une certaine souplesse dans l’organisation. Au moment des chantiers, il faut bien articuler la présence de nombreuses personnes bénévoles (jusqu’à 80) avec le petit nombre de salarié·es (moins de 20).
Les horaires sont négociées pour peser le moins possible sur la personne tout en assurant le travail nécessaire. C’est parfois une source de conflit.
Il n’y a pas de règlement intérieur : les équilibres se mettent en place par la pratique. Aucune personne n’est salariée de deux structures. Chaque personne a une mission principale, une dominante dans son emploi, ce qui n’empêche par des formes de solidarité (comme aider à la boutique lorsque passe un groupe de randonnée).
Le remplacement de personnes sur le départ permet de rajeunir régulièrement les salarié.es.
Au bout de 50 ans, le hameau en ruine est devenu un village bien vivant, très agréable à vivre et à visiter, malgré son relatif isolement. Un véritable éco-village, qui peut être une porte d’entrée pour les jeunes et les moins jeunes qui cherchent à développer des activités alternatives.

MB.

Association Le Mat, Le Viel Audon, 07120 Balazuc, tél : 04 75 37 73 80.
AJC, Le Viel Audon, 07120 Balazuc, tél : 07 61 43 22 18, https://levielaudon.org
réseau REPAS, http://www.reseaurepas.free.fr/

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