Dossier Aménagement du territoire Environnement

Stratégies et tactiques pour gagner : l’exemple d’un surf park

François Verdet

Quand j’apprends l’existence de ce parc d’attractions qui doit se construire à 1, 5 km de l’océan (!), je suis véritablement en colère, voire déprimé sur le moment. Passé la stupeur, je sais qu’il va falloir se retrousser les manches et passer à l’action. Certes, s’opposer c’est s’exposer, c’est prendre le risque d’être dénigré et malmené. Mais ne rien faire, c’est une plus grande défaite, celle de renoncer à ses convictions, que ce soit par flegme ou par couardise. Attendre que d’autres se lancent dans la bataille, publient une pétition ou organisent une manifestation, ce n’est pas suffisant. C’est se contenter de ce que le sociologue Geoffroy de Lagasnerie appelle des « rituels » peu efficaces. On va en manif, on est content·e de retrouver des militant·es, on se photographie pour dire « j’y étais ». Mais agissons-nous réellement ? Dans son livre Sortir de notre impuissance politique, ce sociologue explique qu’« il ne faut jamais juger une mobilisation du point de vue du plaisir que nous y avons éprouvé et des souvenirs que nous y avons forgés ». La seule chose qui compte, c’est « Est-ce efficace ? », « Avons-nous gagné du terrain ? » (1).

Une stratégie pour lutter efficacement

Pour lutter contre le Surf Park, le schéma d’organisation a pris la forme d’une pyramide à cinq étages et d’un acronyme : Vosta, pour vision, objectif(s), stratégie(s), tactiques et actions.
Expliquons : la vision est un idéal qui pousse à militer et à agir (freiner le changement climatique et la perte de la biodiversité). Une fois l’objectif défini (faire annuler ce projet néfaste et proposer une alternative maraîchère), la stratégie suivante s’élabore. Il s’agit de construire une large communauté d’opposition autour de trois types de populations : les citoyen·nes (pour dépasser le cadre militant souvent critiqué sur le mode, « vous, les écolos jamais content·es… »), les surfeu·ses (pour faire émerger un paradoxe facilement médiatisable : ils veulent construire un parc d’attraction pour les surfeu·ses… qui n’en veulent pas !) et les associations environnementales (fortes de milliers de sympathisant·es).
Cinq tactiques viennent donner vie à cette stratégie. Il faut tout d’abord coordonner des publics très différents qui n’ont ni les mêmes intérêts, ni probablement les mêmes opinions politiques ou philosophiques : les riverain·es ne veulent pas d’un parc d’attraction qui va attirer des centaines de milliers de personnes quasiment dans leur jardin ; les mouvements associatifs se battent pour la nature ; les groupes politiques bataillent pour un meilleur usage de l’argent public ou pour asseoir leur position d’opposant·es à l’équipe élue en place, etc.
Il importe ensuite de former les personnes qui vont exprimer leur opposition, parce que dire que l’on est « contre » tient en une phrase, dire pourquoi est plus long et nécessite de pouvoir expliquer sa position. Pour cela, nous publions nos 24 bonnes raisons de s’opposer à la construction d’une piscine à vagues artificielles sur un site internet spécialement créé pour l’occasion.
Une communauté se construisant par le bouche à oreille mais aussi par la publicité que lui font les médias, notre troisième tactique mise en œuvre est la médiatisation de notre combat.
Un combat est un rapport de forces, qu’elles soient réelles ou apparentes. Si l’on s’en tient au réel, soyons honnêtes, les citoyen·nes ont rarement l’avantage, au moins au début, face à des collectivités ou à des entreprises multinationales. C’est donc un rapport de forces d’une autre nature qu’il faut créer, par exemple en arrivant à installer l’idée que nous sommes les gentil·les (les raisonnables) et qu’en face ce sont les méchant·es (les insensé·es). Pour quatrième tactique, nous choisissons donc de décrédibiliser le projet auprès de nos sympathisant·es, du public que nous souhaitons rallier à notre cause, des parties prenantes indirectes qui peuvent avoir une influence sur la bonne réalisation du Surf Park (2).
Enfin, un projet d’une telle envergure est heureusement soumis à des obligations règlementaires. Le millefeuille législatif français est suffisamment complexe pour qu’il existe de bonnes raisons à faire valoir auprès des tribunaux pour freiner ou annuler l’initiative.

Des actions tous azimuts pour gagner

On va maintenant pouvoir agir concrètement ! Certaines actions ont un résultat immédiat, d’autres révèleront leur portée à long terme. Toutes ont leurs avantages et leurs limites. Donc tout se réfléchit en fonction du contexte, sans jamais oublier que chaque action, même courte ou réalisée par une seule personne, doit servir le schéma d’organisation global (3).
On a imprimé des autocollants que les gens ont mis sur leurs pare-brise, on a sollicité une surfeuse charismatique qui a convaincu d’autres champion·nes de surf de faire passer le message auprès de leur communauté, on a fait fabriquer des T-shirts, on a eu plein d’articles dans la presse, on a eu le soutien bénévole d’avocates, on a proposé un projet alternatif, on a fait signer une pétition, on a travaillé avec une association de riverain·es, on a animé des comptes de réseaux sociaux, on a tenu tête au maire en démontant systématiquement ses arguments, (4) et on a gagné !

Qu’est ce qui a marché ?

Avec du recul, cette victoire tient à plusieurs choses. S’être lancé très vite dans la bataille : attendre les premiers coups de pioches réduit la possibilité d’action à une interposition physique sur le terrain pour stopper les machines, avec le risque d’une confrontation violente qui limite le nombre de volontaires prêt·es à mettre leur intégrité physique en jeu. Avoir harcelé nos adversaires pour montrer une détermination sans faille : il ne s’est pas passé une semaine sans action, même modeste ou limitée à des publications sur les réseaux sociaux. Avoir réussi à donner l’image que c’était nous les « bons » (ceux qui veulent protéger leur territoire pour le bien de tous) et nos adversaires les « méchants » (ceux qui veulent s’accaparer le territoire pour leurs profits personnels). Enfin, avoir réussi à trouver crédit d’abord auprès de la presse locale, puis de la presse nationale pour que notre parole soit entendue.

Pour aller plus loin : François Verdet, Guide pour faire échouer les projets contre-(la)-nature, La Relève et la Peste, 2021

Notes :
(1) Le militant et auteur Xavier Renou appelle à constituer une « véritable pensée stratégique qui remet la question du résultat, donc de l’efficacité, au cœur de la réflexion ». Xavier Renou est l’un des membres fondateurs du collectif Les Désobéissants et l’auteur notamment de Désobéir : le petit manuel (Le Passager clandestin, 2012).
(2) On pense en particulier aux investisseurs financiers attendus pour boucler le budget de réalisation de près de 40 millions d’euros.
(3) Prenons un exemple. Pourquoi vouloir réaliser un site internet ? Parce que nous faisons campagne pour faire annuler un projet de Surf Park (objectif) en créant une large communauté (stratégie) qui va dire son opposition au projet avec des arguments imparables (l’une des tactiques) qu’elle aura lus sur un site internet créé pour l’occasion (action).
(4) On a même bénéficié d’une « taupe » qui nous informait des décisions secrètes de l’entreprise !

Contacts
Collectif Rame pour ta planète : mouvement écolo et local de surfers, rptpbiarritz@gmail.com
Antenne de Surfrider Foundation Europe sur la côte basque : antennecotebasque@surfrider.eu

Le projet de Surf Park de Saint-Jean-de-Luz
L’entreprise australienne Boardriders, avec l’appui de la mairie de Saint-Jean-de-Luz, projette depuis 2020 la construction d’un Surf Park avec piscine à vagues, commerces et hôtels. Le complexe s’étendrait sur 8 ha d’une colline à vocation naturelle et agricole avec des pâturages et une forêt. À l’automne 2019, les conseillers municipaux votent le changement du plan local d’urbanisme : ces zones inconstructibles deviennent des zones à urbaniser en priorité. Une mobilisation voit le jour avec la signature d’une pétition lancée par l’opposition municipale (68 000 signatures) et la mobilisation d’associations environnementales et de surfers. Surfrider Fondation Europe publie une prise de position remarquée contre la vague artificielle. L’entreprise renonce rapidement au projet fin 2020.

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