« La seule arme que nous ayons, c’est notre corps », écrit Bayard Rustin, activiste africain-américain, en 1947. Derrière ces mots, on lit une réalité que la plupart des personnes engagées dans une lutte connaissent bien : face au pouvoir de l’État ou des grandes entreprises, ou encore face à l’échec du recours à l’outil juridique, il reste encore le corps, ou les corps, et l’espace qu’ils occupent.
Habiter la lutte
Prenons l’exemple de la mobilisation citoyenne victorieuse la plus emblématique de ces dernières années : la zone à défendre de Notre-Dame-des-Landes, en Loire-Atlantique. Le projet d’aéroport naît en 1963, est relancé en 2000, et son abandon est annoncé le 17 janvier 2018. L’opposition au projet remonte à des mobilisations paysannes datant de 1972. Son occupation débute en 2008 et fait converger plusieurs rêves : « Habiter sur un territoire en lutte, ce qui permet d’être proches des personnes qui s’y opposent depuis quarante ans et de pouvoir agir en temps de travaux ; profiter d’espaces laissés à l’abandon pour apprendre à vivre ensemble, à cultiver la terre, à être plus autonomes vis-à-vis du système capitaliste » (1).
L’occupation, une résistance pour construire des alternatives
On le voit, l’occupation comme acte de résistance n’est pas univoque mais peut au contraire être vue comme un ensemble d’actes et de significations. D’abord, les luttes environnementales sont, pour beaucoup, territoriales. Premier objectif : « habiter sur un territoire en lutte ». Celui de pouvoir être physiquement présent·e et d’agir et de réagir sur le coup, donc d’empêcher matériellement ce à quoi on s’oppose. Deuxième objectif : occuper l’espace pour en faire quelque chose de nouveau, apprendre à l’habiter différemment, penser et construire l’alternative.
Mobiliser nos corps pour penser d’autres mondes
L’occupation, fondamentalement, est le fait de mettre des corps dans un espace où ils ne sont pas censés se trouver. Le corps est quelque chose qui va en deçà et au-delà de la parole. Avant même qu’un quelconque discours soit formulé, la présence de corps dans un espace donné dit déjà : « nous sommes là et vous ne pouvez pas ignorer ce fait comme vous ignorez ce que nous vous disons ».
Et puis un corps, ça donne du sens à l’espace : les géographes diront qu’un territoire, c’est une portion d’espace appropriée. C’est très clair quand on se penche sur le cas de Notre-Dame-des-Landes : l’espace de bocage désigné pour l’accueil de l’aéroport est considéré par l’État comme une portion du territoire français à sa disposition. La résistance à partir de 1972 et, surtout, l’occupation de la ZAD à partir de 2008 resignifient cet espace, en font un territoire qui échappe au contrôle étatique et aux formes de pouvoir qui l’accompagnent — et qui cherchent toujours à s’y exercer, souvent par la violence. En bref, c’est la matérialisation spatiale de l’opposition entre l’illégalité déclarée par l’État et la légitimité revendiquée par les occupant·es. Et c’est parce qu’elle construit ce territoire et ces significations que l’occupation en résistance d’un espace, dans le cas de luttes comme celle de Notre-Dame-des-Landes, crée aussi les conditions de possibilité de l’alternative, permettant de penser ce monde où d’autres mondes sont possibles.
Notes :
(1) Source : https://zad.nadir.org.