Dossier Aménagement du territoire Environnement Politique

Le poids des élections dans les victoires écolos

Gabrielle Rey, Juliette Piketty-Moine

Les décisions des aménageu·ses se prennent généralement à huit-clos, dans les tortueux couloirs de la bureaucratie préfectorale ou ministérielle. Celles et ceux qui luttent contre les aménagements écocides peinent à faire entendre aux décideu·ses que ces projets, loin d’être une question d’expert·es, devraient être débattus par le plus grand nombre. Les pouvoirs publics cantonnent souvent ces luttes au terrain juridique sans les laisser s’immiscer dans le débat politique.
Au niveau national d’abord, comme lorsque la victoire de la gauche à l’élection présidentielle de 1981 s’accompagne de plusieurs victoires écologistes entérinées par le gouvernement (1) : l’abandon définitif des projets militaires au Larzac, la suspension de projets de centrales nucléaires et de constructions de barrages… Les périodes électorales ouvrent des phases d’instabilité politique pendant lesquelles les mouvements écologistes peuvent propulser leurs causes comme enjeu électoral et obliger les candidat·es à prendre position.

Quand les luttes écolos deviennent un enjeu de campagnes électorales

Ainsi en 2012, la lutte de Notre-Dame-des-Landes devient un enjeu de la campagne présidentielle et tou·tes les candidat·es sont contraint·es de s’exprimer sur le sujet. Le désaccord entre les socialistes pro-béton et les verts pro-ZAD devient un enjeu politique majeur. Qu’est-ce qui pousse les candidat·es à prendre parti ?
Prenons un exemple parmi tant d’autres. Dans la petite ville de Verneuil-sur-Seine, une association locale, l’Association de défense de l’environnement des Yvelines, se bat depuis des années pour annuler deux projets : une construction de marina, qui viendrait étouffer sous le béton les berges de la Seine, et une déviation de route qui tailladerait la forêt communale. Lors des élections municipales de 2020, cette association est parvenue à propulser ces sujets dans le débat électoral, alors qu’ils étaient jusque-là discutés seulement entre décideu·ses. Réunions publiques, manifestations, balade pédagogique en forêt : tou·tes les candidat·es ont dû se positionner pour ou contre ces deux projets. Finalement, un élu de droite siège désormais au conseil municipal : s’il ne se revendique pas écolo, il a été poussé, pendant la campagne électorale, à s’engager contre ces aménagements et défend à présent les positions de l’association environnementale.

Les élections : une opportunité pour se faire entendre, un risque de se faire récupérer

Comme pour toutes les mobilisations, tout n’est pas gagné par une élection et, souvent, les aménageurs n’acceptent pas facilement leur défaite. Se rejouent alors des compétitions pour le pouvoir à l’échelle d’un territoire entre la préfecture, le conseil général du département et la mairie. Pour le barrage de La Borie, dans les Cévennes, alors que les habitant·es des communes alentour avaient clairement élu en 1989 des équipes municipales anti-barrage, ces dernières ont tenu un bras de fer de longue haleine avec le Conseil général avant d’obtenir gain de cause (voir p. 39). Plus récemment, à Verneuil-sur-Seine, si le projet de marina de Bouygues s’est vite évanoui devant l’opposition manifeste du conseil municipal, celui-ci se heurte au pouvoir préfectoral sur l’aménagement de la route. Alors plusieurs initiatives sont prises pour qu’enfin la voix des habitant·es soit écoutée : un référendum local, un conseil municipal sous les arbres de la forêt, etc.

Les élections sont des phases d’opportunités pour obtenir des allié·es et peser dans les décisions politiques mais elles confrontent aussi les militant·es au risque inhérent à l’institutionnalisation : perdre la main sur la formulation politique de leur cause. Se pose le risque de voir sa cause réappropriée et dévoyée : la charge contestataire s’émiette parmi d’autres revendications consensuelles.

(1) Ainsi, dès le deuxième conseil des ministres du nouveau gouvernement socialiste, le 3 juin, la fin des projets militaire au Larzac et nucléaire à Plogoff est votée. S’ensuivent, tout au long de l’année 1981, plusieurs annulations de projets destructeurs comme une exploitation forestière en Guyane, un barrage sur le Verdon ou encore des courses de moto destructrices pour le littoral, dans le Nord.


L’argent, nerf de la lutte ?

Difficile de mener combat sans engager un budget. Et, parce que cet aspect n’est pas toujours pris en compte dès le début, l’opposition peut tourner court faute de munitions. Si des associations disposent de fonds, un nouveau comité doit souvent débuter avec seulement quelques cotisations et dons. D’où l’importance de très vite réfléchir à un investissement qui permet de dégager des bénéfices : autocollants, badges, cuvée spéciale de bière artisanale, posters, voire revue papier vendue lors des actions.
Cela demande d’ouvrir un compte en banque, de connaître des imprimeurs, etc. Et si cela fonctionne correctement, il devient possible d’envisager l’embauche d’une personne (au minimum 20 000 euros pour une année)… ce qui change d’un seul coup l’ampleur de la lutte.
Les budgets peuvent être imposants. Pour donner un exemple, la marche contre Superphénix, qui a sillonné la France pendant cinq semaines au printemps 1994, avait un budget équivalent à plusieurs centaines de milliers d’euros. Mais la marche s’est autofinancée avec du matériel de soutien diffusé un an avant, des relais dans chaque ville-étape, un quotidien de quatre pages vendu sur le bord de la route à prix libre (500 exemplaires chaque jour)…
L’argent est une sorte de baromètre : plus la lutte est menée correctement, plus il en arrive ! Car plus il y a de relais pour diffuser le matériel et plus il y a de dons. Nombre de victoires ont laissé des caisses pleines, parfois source de conflits sur ce que l’on peut en faire. La meilleure utilisation est alors d’aider d’autres luttes similaires encore en cours. Après la victoire contre Superphénix en 1997, l’argent restant a servi à lancer le Réseau Sortir du nucléaire.
Michel Bernard
(ancien trésorier des Européens contre Superphénix, des Verts-Rhône, du salon Primevère…)

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