Dossier Environnement Nucléaire

Des victoires dans le domaine du nucléaire ?

Michel Bernard

Le programme nucléaire étant une décision de l’État, la lutte a tout aussi bien été menée par des organisations nationales (Amis de la Terre, Greenpeace, Les Verts,...) contre le principe même du nucléaire que par des comités locaux, directement concernés par l’implantation d’une centrale ou d’un centre d’enfouissement de déchets.
Les comités locaux ont réuni des personnes qui n’allaient pas plus loin que « Pas de ça chez moi » et d’autres, plus politiques, pour qui une société nucléaire est une société policière. Les premières ont souvent permis de développer les réseaux locaux, d’être présent·es grâce à des stands, des banderoles, des actions locales, l’interpellation des élu·es loca·les. Les secondes ont apporté les arguments scientifiques et politiques, invité les conférenci·ères, etc.
À plusieurs reprises, le mouvement antinucléaire a tenté de se fédérer à différents niveaux : régional (CRIN en Bretagne), national (notamment sous le nom de Coordination nationale antinucléaire (CNAN) ou par le Réseau Sortir du nucléaire), et international (Européens contre Superphénix rassemblait des groupes suisses, italiens et allemands).
Les dynamiques ont été différentes selon les lieux : la construction de centrales en région Centre n’a pas soulevé beaucoup d’opposition.

Campagnes nationales et abandon de certains projets

Concrètement, le programme initial annoncé par le Premier ministre Pierre Messmer en 1973 prévoyait une croissance de la consommation électrique de 7 % par an (donc un doublement en dix ans) et la présence de 200 réacteurs sur 43 sites en 2000. Il ne s’en est construit que 58, sur 19 sites. Il devait également y avoir neuf surgénérateurs mais seul Superphénix, à Creys-Malville (Isère), sera mis en service en 1985 puis arrêté en 1997.
Les luttes locales ont été relayées, au niveau national, par des campagnes en faveur des économies d’énergie qui ont permis de ralentir la croissance de la consommation électrique.
Le 28 juin 1979, 22 partis (Parti socialiste, Parti socialiste unifié, Parti des radicaux de gauche), syndicats (CFDT) et associations (Amis de la Terre, GSIEN...) (1) lancent la « Pétition nationale énergie », qui demande un moratoire sur le programme nucléaire et un débat sur l’énergie. Elle est signée par près de un million de personnes… dont François Mitterrand.
En 1981, celui-ci étant devenu président de la République, le gouvernement annonce l’abandon des projets de Plogoff (Finistère) et du Pellerin (Loire-Atlantique), tout en maintenant la construction de six centrales. Pour les surgénérateurs, seul Superphénix 1, à Creys-Malville, sera maintenu. Sont supprimés les projets de le second réacteur de Creys-Malville, de Sennecey-le-Grand (Saône-et-Loire), de Saint-Etienne-des-Sorts (Gard) et de Port-la-Nouvelle (Aude).
D’une part, devant une forte opposition dans la population, le PS comprend son intérêt électoral : d’autre part, le plan initial s’appuyait sur une forte hausse de la consommation électrique. Mais celle-ci ralentit progressivement et, à la fin de la mise en route du dernier réacteur de cette époque — en 1997 à Civaux, près de Poitiers —, EDF se retrouve en surproduction, avec à peu près dix réacteurs superflus. Depuis 2000, la consommation d’électricité est stable.

Est-ce une victoire ?

Les acteurs de la « Pétition énergie » obtiennent également, en 1981, la mise en place de l’Agence française pour la maîtrise de l’énergie (AFME), devenue en 1991 Ademe (2). De fait, entre 1981 et 2007, date du lancement du chantier de l’EPR, plus aucun réacteur n’est mis en construction. Progressivement, les énergies renouvelables se développent pour atteindre aujourd’hui un prix de revient nettement moins cher que le nucléaire, sans produire de déchets ni risquer un accident majeur.
La France reste le pays le plus nucléarisé du monde et les luttes se poursuivent : pour la fermeture des réacteurs existants, contre l’enfouissement des déchets, contre la mise en route de l’EPR, contre les nouveaux projets de réacteurs. Mais il faut se souvenir que, sans les fortes mobilisations des années 1970, cela aurait été bien pire !

(1) Groupement des scientifiques pour l’information sur l’énergie nucléaire
(2) Si sa création était à l’époque une réussite, la portée réelle de cette agence pour transformer les scénarios énergétiques reste aujourd’hui limitée.

Pour aller plus loin :
Association contre le nucléaire et son monde, Histoire lacunaire de l’opposition à l’énergie nucléaire en France, La Lenteur, 2007
Laure Dominique Agniel, Plogoff mon amour, mémoire d’une lutte, film documentaire, 2018
Félix Le Garrec, Nicole Le Garrec, Plogoff, des pierres contre des fusils, film documentaire, 2020
Gaspard d’ Allens, Andrea Fuori, Bure, la bataille du nucléaire, Le Seuil, 2017

Contacts :
Parmi les collectifs et associations des luttes actuelles contre le nucléaire, on peut citer : la coordination régionale Stop Bugey (www.stop-bugey.org), le collectif Stop EPR (stop-epr.org), le Réseau Sortir du nucléaire (www.sortirdunucleaire.org), le collectif Bure Stop 55, Maison de la résistance (2 rue de l’Église, 55290 Bure), le collectif Bure zone libre (burezoneblog.over-blog.com), Les Bombes atomiques (bombesatomiques@riseup.net), Sortir du nucléaire, Pays nantais contre les SMR (Small Modular Reactor, les petites centrales nucléaires promues depuis 2022), etc.

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