Dossier Politique

À quels pouvoirs arrachons-nous la victoire ?

Gabrielle Rey, Juliette Piketty-Moine

Pour démêler ces rapports de pouvoirs imbriqués, il faut revenir sur ces instances qui actent l’annulation des projets écocides et qui entérinent ainsi la victoire des mobilisations. Le succès des luttes n’est pas le fruit du hasard mais relève de contextes politiques spécifiques.

À chaque type d’aménagement, son institution de référence

Sans surprise, les gouvernements nationaux sont à l’origine de grands projets liés à l’énergie et au transport (nucléaire, extractivisme, barrages et autoroutes) sous couvert d’intérêt général. C’est à l’État central que les militant·es arrachent la victoire sur ce type de projet. Se lancent alors des mobilisations qui sont particulièrement longues : près de 20 ans en moyenne pour les luttes anti-nucléaires et près de vingt-cinq ans pour celles liées au transport ! Alors que les autres victoires sont en moyenne actées après douze ans de combat. Les luttes anti-nucléaires sont en particulier perçues comme une menace pour l’autorité publique : sur les 38 victoires liées au nucléaire 35 ont été ratifiées par le gouvernement.
De leur côté, les municipalités interviennent principalement pour mettre fin à des luttes portant sur des projets d’urbanisme, de commerce et de loisir (bases nautiques, de ski, parcs d’attraction). La moitié des conflits sur l’urbanisme sont réglés après une décision de la mairie, c’est aussi le cas d’un tiers des projets liés aux loisirs. Les préfectures sont rarement des faiseuses de victoires : elles soutiennent les projets jusqu’au bout, souvent contre la volonté des élus locaux. Elles interviennent presque uniquement dans les secteurs industriels, notamment énergétiques ; deux tiers des luttes autour de projets industriels se soldent par des décisions préfectorales, et défendent leurs intérêts économiques.
Enfin, les tribunaux ont un pouvoir qui porte indifféremment sur tous les secteurs (excepté le nucléaire, qui constitue une prérogative exclusive du gouvernement). L’intervention fréquente de la justice renvoie aussi à l’incapacité des administrations du ministère de l’Environnement à faire respecter leurs propres réglementations. À ces politiques déjà peu ambitieuses, s’ajoutent des moyens très limités qui amènent le ministère à déléguer aux associations le soin d’identifier les problèmes, de rassembler des connaissances et de monter des argumentaires dans les procédures de concertation. L’échec de ces concertations aboutit en général à ce que les associations dénoncent le projet et recourent aux tribunaux, se substituant à une autorité publique incapable de défendre ses propres lois sur l’environnement.

Des rapports de force en évolution

Ces rapports de force entre instances de décision ne sont pas statiques : ils évoluent en fonction de nouvelles prérogatives que certaines acquièrent et des conflits entre administrations. Le mouvement de décentralisation a par exemple donné plus de pouvoir aux municipalités dans le domaine de l’urbanisme et de l’aménagement, ce qui les rend arbitres de davantage de conflits écologiques : présents dans moins de 10 % des victoires des années 1980, les acteurs politiques locaux soldent, dans la décennie 2010-2020, près de 40 % des conflits. En outre, les changements de majorité peuvent débloquer certains conflits : dans les années 1980, plusieurs victoires – notamment sur des luttes anti-barrage – ont été remportées à l’arrivée au pouvoir des socialistes.

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