Les six entreprises membres du Grenade et leurs dates de naissance :
2010 : Le Court-circuit, bar-restaurant (Lyon)
2015 : Bieristan, bar-restaurant spécialisé dans la bière artisanale et locale (Villeurbanne)
2019 : La Goupille, menuiserie (Romans-sur-Isère, Isère)
2020 : La Machine, brasserie artisanale (Saint-Laurent-en-Royans, Drôme)
2021 : Magma Terra, bar-restaurant (Romans-sur-Isère, Isère)
2021 : L’Auberge de Boffres, bar-restaurant, épicerie et lieu collaboratif (Ardèche)
Les différentes entreprises qui constituent le réseau du Grenade ont été montées suivant le modèle de la Société coopérative de production (Scop) : elles appartiennent à leurs salarié·es et sont autogérées. En 2016, les salarié·es du Court-circuit et du Bieristan s’organisent en association pour mutualiser les prestations d’accompagnement (comptabilité, suivi financier, formations, etc.) : c’est la naissance du Groupement d’entreprises alternatives en développement (Grenade). En 2018, l’association se transforme en Société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) pour mieux correspondre au projet. Aujourd’hui, le collectif compte plus d’une cinquantaine de salarié·es dans les différentes entreprises membres, une trentaine d’« ancien·nes » (ancien·nes associé·es des Scop), ainsi que cinq « facilitat·rices » (salarié·es du Grenade), ainsi que des entreprises partenaires comme l’épicerie De l’autre côté de la rue (1), à Lyon.
L’artisanat, valoriser les savoir-faire
Toutes les structures mettent en pratique un savoir-faire artisanal particulier (cuisine, menuiserie, brasserie, etc.). Les échanges de savoir-faire sont encouragés au sein du réseau. Ainsi, la menuiserie La Goupille a participé à l’agencement de l’Auberge de Boffres en réutilisant des anciennes portes du bâtiment pour construire le comptoir du bar. Les artisanats extérieurs au réseau ne sont pas en reste. Les différents lieux organisent aussi des concerts et proposent à des artistes qui partagent leurs valeurs d’exposer leurs œuvres.
En cuisine, l’accent est mis sur le respect des produits, la saisonnalité et l’approvisionnement en agriculture biologique ou paysanne. Au Court-circuit, la carte change toutes les deux semaines. Pour Laurie, cuisinière et responsable des ressources humaines, c’est un plaisir de « regarder les mercuriales (2) des producteurs et de faire les menus en fonction de ce qu’ils ont dans leurs champs ! »
Des démarches écologiques
L’écologie dans les structures semble évidente : « On ne se pose même plus la question, c’est ancré dans le quotidien », affirme Diane, serveuse et responsable de la comptabilité au Court-circuit. Les structures souscrivent à Énercoop et sont soutenues par La Nef. Les bars restaurants limitent le gaspillage alimentaire en produisant du compost et en valorisant les restes, entre autres (3). Ceux de la région lyonnaise s’appuient beaucoup sur l’épicerie De l’autre côté de la rue, qui propose de les fournir en demi-gros, mais ils s’approvisionnent aussi directement auprès des product·rices. « Il y a tellement de brasseries artisanales autour de Lyon que ce n’est pas compliqué de se fournir localement » explique Clotilde, ancienne du Bieristan et aujourd’hui facilitatrice. A contrario, le vin servi dans les différentes structures n’est pas nécessairement local, car c’est « un produit attaché à un terroir » reconnaît-elle.
La démocratie au travail, être « maître de son outil de travail »
Pour mettre en œuvre la « gouvernance démocratique » de la SCIC, toutes les six semaines, un·e représentant·e de chaque Scop, des ancien·nes et de l’épicerie ainsi que les facilitat·rices se retrouvent lors d’un comité d’appui et d’orientation. Ces réunions ont pour objectif de recueillir l’avis de chaque structure sur l’avancée du Grenade mais, selon Clotilde, c’est aussi le moment « de prendre des nouvelles de chaque Scop, de savoir comment ça va moralement et économiquement ». L’ensemble des associé·es se retrouve également pendant l’assemblée général annuelle, au cours de laquelle a lieu l’élection des co-gérant·es du Grenade, tous les deux ans. Le Grenade favorise l’élection sans candidat afin « d’élire des personnes qui n’ont pas fait de promotion pour elles-mêmes ». Cependant, cette volonté est rendue plus difficile par la croissance du réseau et l’espacement géographique des projets portés.
À l’échelle des entreprises, c’est l’autogestion qui est le cœur du projet du Grenade. Ainsi, chaque structure de la SCIC est gérée par ses associé·es, qui sont synonymes au Grenade de salarié·es. Dès son arrivée, chaque salarié·e participe aux prises de décision de l’entreprise. Au bout d’un an, il lui est proposé de devenir associé·e : au Bieristan, il est possible soit d’investir 3 000 euros, soit d’être prélevé·e d’environ 50 euros par mois sur son salaire jusqu’à atteindre cette somme (4). Chaque associé·e d’une Scop peut devenir associé·e du Grenade et donc participer aux prises de décision à cette échelle.
La solidarité au travail, « remettre l’humain au centre »
Le fonctionnement du Grenade vise à réhumaniser le secteur de la restauration, qui est un milieu jugé violent. La plupart des bars restaurants du réseau ne pratiquent pas la coupure en journée pour les cuisinier·ères (5), l’idée étant que le « travail salarié ne soit pas trop impactant sur la vie personnelle ». Les associé·es du Bieristan ont aussi décidé de mettre en place des congés menstruels (6), et les congés paternité sont pensés de la même manière que les congés maternité.
Le Court-circuit a développé une réelle attention à l’aspect social de sa structure du fait de sa situation géographique. Le bar-restaurant est implanté dans un quartier avec beaucoup de brassage social : universités à proximité, populations issues de l’immigration, gentrification. Pour Sarah, cuisinière au Court-circuit et chargée des ressources humaines, le lieu est fort de « son rapport au quartier, aux habitués ». Il y a, à ses yeux, une volonté de « parler à tout le monde » en maintenant au menu un plat carné, à côté du plat végétarien et du plat végétalien, toujours le moins cher.
En dix ans d’existence, les prix ont peu augmenté et, s’il faut procéder à une augmentation, c’est l’équipe entière qui en fait le choix. Sarah explique qu’ils et elles se demandent toujours : « Est-ce que nous, on serait prêts à mettre ce prix ? » Le restaurant est à peine rentable (7) parce qu’il y a une vraie volonté de proposer des produits de qualité à des prix décents. Pour les associé·es, « la rentabilité sociale est plus importante que la rentabilité financière » : ce qui importe, c’est de créer du lien avec le quartier, de proposer du travail et d’apprendre ensemble. Enfin, le Court-circuit fait partie des lieux adhérant au réseau Le Carillon, qui propose à des personnes précaires d’avoir accès des services de première nécessité (8). Le lieu met à disposition ses toilettes et encourage les consommations suspendues (on peut prépayer une consommation qui sera servie plus tard à une personne dans le besoin). Il offre également deux tickets-repas par mois à l’association, qui les redistribue ensuite à ses bénéficiaires. Pour Clément, serveur et chargé de la comptabilité au Court-circuit, « c’est de la responsabilité de chacun de savoir ce qui se vit et se passe dans le quartier, de savoir qui dort dehors ».
Se former, former, travailler en réseau
Dans les entreprises du Grenade, tout le monde est polyvalent : gestion, commandes, ressources humaines, programmation culturelle ou encore communication sont réparties entre les associé·es. Dans chaque structure se tient une réunion hebdomadaire pour prendre les décisions de manière collective, mais des sous-commissions, appelées « vies » (9), sont également mises en place pour alléger ces réunions. Ainsi, dès son arrivée dans une Scop, l’associé·e rejoint une « vie » où il ou elle développe d’autres compétences. Pour Clotilde, « c’est parfois difficile d’accepter de ne pas tout gérer mais c’est ça aussi, le collectif : faire confiance aux collègues ». Beaucoup ne viennent pas de la restauration, « on apprend sur le tas, on s’autoforme et on forme les autres » explique Laurie.
Le Grenade centre son projet autour de l’idée de l’entraide afin de « faire bénéficier le réseau de toute l’expérience des structures ». Les facilitat·rices du collectif « ne sont pas au-dessus de nous, mais sont là pour nous aider » explique Sarah. Chacun·e est spécialisé·e dans un domaine et peut ainsi répondre aux problématiques des entreprises. Diane, chargée de comptabilité au Court-circuit, explique qu’elle a le Grenade au téléphone plusieurs fois par semaine pour obtenir des réponses à ses questions et continuer d’apprendre. Chaque structure est aussi personnellement accompagnée par un·e facilitateur·ice.
Les Scop sont très liées : mutualiser une livraison, valoriser le travail d’une autre entreprise, échanger ses compétences et réussites, c’est comme ça que « les projets se nourrissent entre eux », selon Clément.
La solidarité entre les entreprises s’illustre aussi lors de la création de nouveaux projets. Le Grenade encourage la création de projets, qui doivent être portés par un·e ancien·ne d’une Scop, pour assurer la pérennité des valeurs du Grenade et « essaimer l’autogestion ». Très souvent, le nouveau projet peut être accompagné par le Grenade grâce à la contribution financière des entreprises membres : « Sur le modèle de la sécurité sociale, chaque Scop cotise pour un objectif commun », explique Clotilde. Le Bieristan et le Court-circuit ont pu apporter des garanties auprès de la banque lors de la création du projet de l’Auberge de Boffres. Le réseau est cependant confronté à de nouvelles problématiques du fait de son développement. L’étalement géographique rend plus difficile les contacts humains entre associé·es. Or, pour Laurie, « le contact, c’est un peu notre force ».
Clémence Chan Tat Saw
(1) De l’autre côté de la rue, l’une des premières épiceries généralistes lyonnaises à s’approvisionner en circuit court, est elle-même née du bar autogéré De l’autre côté du pont, auquel nous avons dédié un reportage (Silence, no 356, avril 2008, p. 40).
(2) Liste des produits qui seront prêts au moment de la prochaine livraison, variable avec les saisons.
(3) Les associé·es du Bieristan ont également fait le choix de ne jamais servir d’avocat (produit importé dont la culture nécessite beaucoup d’eau) ni de poisson (afin de lutter contre la surpêche).
(4) Au Court-circuit, la part minimale est de 20 euros et il n’y a aucune somme minimum pour être associé·e.
(5) À Magma Terra, les associé·es ont décidé ensemble de pratiquer les coupures en journée car c’était plus simple pour elles et eux.
(6) Congés en raison de règles douloureuses ou d’endométriose.
(7) L’activité « bar » du lieu permet d’équilibrer ses recettes.
(8) Le Carillon, association La Cloche, réseau de commerçants solidaires, https://lacloche.org.
(9) Le Bieristan et le Court-circuit comptent trois vies principales. La « vie produit » s’occupe des commandes, de la carte, des prix. La « vie lieu » organise la programmation culturelle, anticipe les travaux ou les besoins d’ameublement. Enfin, la « vie salariale » gère les plannings, les congés et les recrutements. Au Bieristan, il existe aussi une « vie des bières » qui s’occupe spécifiquement des approvisionnements des bières et de l’offre de la tireuse.
- Le Grenade, www.le-grenade.fr
- Le Bieristan, 14 rue Paul-Lafargue, 69100 Villeurbanne, tél. : 09 83 69 11 05, www.bieristan.fr
- Le Court-circuit, 13 rue Jangot, 69007 Lyon, tél. : 09 54 36 61 29, www.le-court-circuit.fr
- Magma Terra, 10-12 place Maurice-Faure, 26100 Romans-sur-Isère, tél : 09 83 00 82 75
- La Goupille, 16 côte Jacquemart, 26100 Romans-sur-Isère, tél : 06 59 20 96 52, www.lagoupille.fr
- La Machine, 177 route de Saint-Jean, 26190 Saint-Laurent-en-Royans, tél : 04 75 24 88 98, https://la-machine-brasserie.fr
- L’Auberge de Boffres, 21 rue des Fontaines, 07440 Boffres, tél : 06 03 95 77 43, www.aubergedeboffres.fr
