Chronique Agriculture Chroniques Terriennes

Aux larmes, citoyen·nes

Stephen Kerckhove

Il y a 5 ans s’en est allé un petit paysan, cueilli dans la fleur de l’âge par un gendarme transformé pour l’occasion en cow-boy du dimanche. La rosée n’en finit plus de pleurer.

Un paysan, pas un exploitant agricole

Un paysan qui ne supportait plus ce monde kafkaïen d’une agriculture productiviste faite de normes, de paperasseries et de traçabilités. Bureaucratie édictée par un monde fou et standardisé, supposé rassurer un consommateur apeuré et répondre aux crises alimentaires co-produites par cette même bureaucratie.
Un paysan ivre de liberté qui ne pouvait concevoir son métier comme une accumulation de chiffres et de reporting, refusant avec l’énergie du désespoir de vivre son métier comme une addition de standards et protocoles.
Un paysan épris d’espaces et amoureux de la nature, s’étant promis de ne jamais renoncer à ce pourquoi il avait embrassé ce noble métier d’éleveur, de paysan, peut-être d’agriculteur, mais jamais d’exploitant agricole. Car on exploite la terre le jour où l’on est exploité soi-même, par une banque, une coopérative ou une grande surface !

Devenir un ennemi à abattre

Puis un jour, un service départemental vétérinaire, se cachant derrière un acronyme supposé lui donner force de loi, est entré, comme par effraction, sur sa ferme afin d’y faire régner l’ordre. Ou plutôt l’orthodoxie, l’hygiénisme. Se sont suivies les injonctions d’usage, puis le harcèlement rappelant à qui l’aurait oublié que le productivisme agricole peut être fort avec les faibles mais toujours laxiste avec les puissants.
Fermes-usines, pesticides, OGM, engrais, algues vertes, antibiotiques ou malbouffe se répandent mais l’ennemi à abattre, c’est le petit paysan, celui qui préfère consacrer son temps précieux à conduire son troupeau, préserver ses haies et zones humides. Le « céréale killer » peut dormir sur ses deux oreilles, l’administration sait ce qu’elle doit chercher et ce qu’elle ne doit surtout pas trouver.
Un exemple.

Cinq trous dans le dos

Ce petit paysan récalcitrant devait plier. Dans un mariage de déraison, l’ordre et l’arbitraire se sont unis pour le pire, mêlant harcèlement administratif et mise en scène grotesque. Gendarmes, pompiers, vétérinaires, déploiement hors de propos de moyens visant à impressionner le petit paysan. Qui n’a pas rompu. Et a préféré fuir, un jour de mai, lassé de tant de sollicitudes administratives.
S’est ensuivie une chasse à l’homme. Le petit paysan s’est caché. Dans sa voiture. Puis, au petit matin, dénoncé par des gens bien comme il faut, des hommes formés à la guerre ont plaidé la légitime défense. Un « gendrame » a mis fin à la vie d’un petit paysan. Le dormeur du val n’a plus deux trous rouges au côté droit mais cinq : dans le dos. Sans doute une légitime défense en marche arrière…
Il s’en est allé, assassiné. Cinq ans après ce drame, l’affaire est en passe d’être classée. Dans le silence honteux d’une administration qui a fait taire un empêcheur de polluer en rond, un petit paysan s’est fait broyer.
Jérôme Laronze était mon voisin. « Était », cet imparfait qui n’a pas voulu de ce monde putride et l’a payé de sa vie.
Stéphen Kerkchove
Association Justice et Vérité pour Jérôme Laronze, BP 10 229, 71 106 Chalon-sur-Saône Cedex, comite-jerome-laronze@riseup.net

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