Dossier Environnement

Tout le monde ne rêve pas d’aller sur la Lune

Martha Gilson

Depuis le début de la conquête spatiale, des résistances à ce déploiement délirant de technologies s’élèvent. Les critiques sont nombreuses : obscénité des milliards dépensés, désastre écologique, imaginaire de domination, etc.

Des résistances anciennes

Contrairement au récit dominant, le lancement de la mission Apollo 11, en 1969, n’a pas soulevé toutes les foules. Si un million de personnes se sont réunies au centre spatial Kennedy pour voir décoller les premiers hommes vers la Lune, il y avait parmi eux le pasteur Ralph Abernathy, ami de Martin Luther King, venu protester contre le coût de ce programme spatial : plus de 25 milliards de dollars (l’équivalent de 200 à 240 milliards de dollars actuels). Il dénonçait alors l’obscénité de cette somme au regard de la misère de certaines populations, notamment afro-américaines. La conquête spatiale est « blanche », et Irénée Régnault, essayiste, rappelle qu’« à New York, loin des représentations hollywoodiennes affichant une humanité rivée devant les écrans lors de l’événement, 50 000 personnes, majoritairement des Afro-américains et amateurs de musique, s’attroupent au Harlem Cultural Festival où l’annonce de l’alunissage sera faite sous leurs huées » (1). La critique émane aussi du corps scientifique : « À l’été 1969, alors qu’Armstrong et Aldrin reviennent sur Terre, d’éminents scientifiques de la Nasa démissionnent et expliquent au magazine Science qu’il subsiste ‘un désaccord profond sur le fait de savoir si la science est vraiment la première justification du vol habité dans l’espace’ » (2).
Cette critique est moins audible aujourd’hui, car la Nasa a su y répondre. « Depuis les années 1970, la Nasa a répondu par ses programmes d’exploration de la Terre, précise Arnaud Saint-Martin. Et, de fait, à partir de ce moment-là, les satellites servent à documenter les effets du changement climatique. Une bonne partie des données du rapport du Giec proviennent des missions spatiales. La différence aujourd’hui, c’est qu’il y a un début de critique sociale, du coût environnemental du spatial, très peu audible il y a encore quelques années. »

Dénoncer les dégâts environnementaux

Aux États-Unis, l’ONG Save RGV s’oppose depuis 2019 à SpaceX pour protéger la plage de Boca Chica. Les infrastructures spatiales détruisent l’environnement où elles s’installent. Elon Musk a installé une partie de SpaceX à Boca Chica, à l’extrême sud du Texas. Depuis, les habitant·es ont reçu des courriers les invitant à céder leur maison, pour la construction de Starbase, « port spatial du 21e siècle ». Peu importe la réserve naturelle, peu importe la biodiversité, le milliardaire organise et loupe plusieurs lancements de vaisseaux spatiaux par an. La lutte est cependant loin d’être gagnée, comme l’explique Arnaud Saint-Martin : « Les associations environnementales essaient de protéger cette zone, ses espèces protégées, notamment des tortues qui viennent pondre. SpaceX est en train d’installer une énorme usine de méthane qui empiète sur la réserve. Tout ça se fait en piétinant littéralement les activistes. Il y a des effets très préjudiciables sur les écosystèmes, mais c’est l’économie qui l’emporte. » Les collectifs se multiplient, comme le comité Fuera SpaceX (« SpaceX dehors ») dans la ville voisine de Brownville, sans victoire pour l’instant face à des pouvoirs publics qui appuient l’installation spatiale, qu’ils voient comme une incarnation de l’excellence, bénéfique pour le développement économique du territoire.
SpaceX ne se déploie pas qu’aux États-Unis : en France aussi, des collectifs se mobilisent contre l’installation de stations terrestres liées à Starlink, son projet d’Internet par satellites. À Saint-Senier-de-Beuvron (Manche), le maire et ses habitant·es s’opposent à l’installation de neuf antennes-relais terrestres. Le 7 décembre 2020, les élu·es de la commune se sont officiellement opposé·es au projet d’Elon Musk.

Martha Gilson
(1) « Apollo, la Lune et l’Espace face aux contestations sociales », Irénée Régnauld, 20 septembre 2021, https://humanites-spatiales.fr
(2) « Soixante ans de ‘spatio-critiques’ », Irénée Régnauld, Socialter no 49, décembre 2021-janvier 2022

Contacts
ANPCEN, 3 rue Beethoven, 75016 Paris, www.anpcen.fr
• International Dark Sky Association, 5049 East Broadway Boulevard, #105, Tucson, AZ 85711, États-Unis, www.darksky.org

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