Depuis plusieurs années, les pouvoirs publics peinent à justifier leurs programmes spatiaux, de plus en plus décriés à cause des sommes colossales investies et de l’intérêt scientifique pas toujours au rendez-vous. Mais ce ne sont plus les seuls acteurs de la conquête spatiale, et le potentiel lucratif des étoiles semble aujourd’hui justifier un investissement de quelques milliardaires.
Quand les intérêts publics et privés s’emmêlent
Arnaud Saint-Martin, sociologue, rappelle que le programme spatial européen Copernicus, qui brasse des milliards d’euros, mélange des intérêts scientifiques mais aussi technologiques et commerciaux, avec, en lame de fond, une vision de croissance économique. Le programme a été créé en 1998 "à l’unisson par la Commission européenne, l’Agence spatiale européenne, les agences spatiales nationales et les industriels, pour mettre en place un programme d’observation de la terre qui visait au départ à faire converger l’observation de la terre classique (climat, mer, déforestation, gestion des ressources) et le sécuritaire". Selon Arnaud Saint-Martin, "très vite aussi s’est insinuée une certaine vision des politiques spatiales : il faut vendre la science à Bruxelles, donc valoriser les données générées par la recherche par satellites qui pourraient engendrer des applications commerciales. Très vite, on a eu cette alliance de la science et du marché". Présenté au départ comme un outil de recherche scientifique, Copernicus a vocation à stimuler la croissance, notamment celle des start-up qui font de la valeur ajoutée sur les applications d’observation de la terre, comme la géolocalisation. "C’est un programme qu’on imagine purement scientifique, des satellites d’observations de la Terre conçus et façonnés par des industriels qui travaillent avec l’Agence spatiale européenne mais, en fait, il y a aussi une vision très entêtante de la croissance". L’intérêt économique explique les énormes sommes injectées dans les programmes spatiaux au bénéfice des industriels, qui s’enrichissent grâce à la maintenance du matériel.
L’assujettissement au marché
Si l’espace reste encore aujourd’hui un lieu de compétition entre États, un autre acteur s’est imposé : le secteur privé. Ces acteurs peuvent émerger aujourd’hui grâce aux liens anciens entre l’industrie et les politiques publiques. Les programmes actuels portés par des industriels, comme SpaceX ou Blue Origin, dépendent en partie des investissements publics et ont des contrats avec la Nasa ou l’armée américaine. "La Nasa a accepté d’être subalternisée en tant que cliente d’une prestation, explique Arnaud Saint-Martin, elle est dépendante de SpaceX, et doit donc aller dans son sens". Des ingénieurs qui travaillaient sur des fonds publics ont été débauchés par SpaceX. "Pour vous donner un exemple, raconte Arnaud Saint-Martin, le moteur Merlin, dont l’ancêtre a permis d’atterrir sur la lune, a été développé chez TRW avec des subventions de la Nasa dans les années 1980-1990. Des ingénieurs de l’entreprise ont ensuite été débauchés par SpaceX pour le développer. Aujourd’hui, quand on dit “conquête” dans le spatial, on ne pense plus à une conquête de nouveaux territoires extra-atmosphériques : on pense plutôt conquête de parts de marché. Dans cette stratégie prédatrice, il y a les capitalistes de l’espace, les entreprises qui sont là pour faire beaucoup d’argent."
Martha Gilson
(1) "Mars, vieille lune de l’astro-capitalisme", Arnaud Saint-Martin, Socialter, no 49, décembre 2021-janvier 2022
(2) Starlink est une mégaconstellation de satellites de la société SpaceX. Elle est destinée à fournir un accès Internet bon marché à n’importe quelle région de la Terre, jusque dans les coins les plus reculés de la planète.
