Dossier Environnement

L’espace, nouveau Far West du web

Stephen Kerckhove

Un vieil aphorisme populaire nous rappelle que lorsque le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt. Désormais, il aura également loisir de jeter un œil sur un amas de satellites zébrant nuitamment le ciel étoilé avant d’admirer le ballet des étoiles et la valse des constellations.

Transformant l’espace en terrain de jeu pour milliardaires impénitents, les Musk, Bezos et autres Branson se vivent en nouveaux conquistadors, avides d’accaparer le bien commun de l’humanité qu’a toujours été le ciel étoilé. S’apprêtant à généraliser le tourisme spatial, ces milliardaires capricieux ne comptent pas s’arrêter en si bon chemin.
Le fondateur de Tesla et, à sa suite, ceux d’Amazon et de Microsoft, s’apprêtent à envoyer plusieurs dizaines de milliers de satellites en orbite basse pour développer un nouveau réseau d’internet mobile à très haut débit. Alors que l’espace compte à présent 2 218 satellites opérationnels, ce sont près de 100 000 satellites qui pourraient y être envoyés dans les années à venir. D’ici à 2025, Starlink devrait pouvoir compter sur près de 12 000 satellites couvrant entièrement la planète (1).
Premier arrivé, premier servi ?
Les milliardaires de la Silicon Valley, non contents d’avoir privatisé le web, sont en passe de s’approprier l’espace, profitant d’un no man’s land juridique. En effet, les seules conventions internationales réglementant l’accès à l’espace datent d’un traité signé en 1967, et elles ont été édictées pour éviter les accrochages entre satellites. Ce traité sur l’espace érige en principe fondamental la liberté d’exploration et d’utilisation de l’espace pour tous les États. L’espace n’est pas un espace souverain et n’appartient par conséquent à personne. Pour les tenants du « cyber espace », la principale règle ayant court devient donc la suivante : « Premier arrivé, premier servi » ! Et, à ce petit jeu-là, les acteurs du far web ont toujours un coup d’avance.
Face à cette nouvelle conquête de l’Ouest, les États sont comme tétanisés à l’idée d’apparaître comme anti-progrès, rejetés dans la catégorie honnie des Amish et de leur lampe à huile. Aucun n’est en mesure de tenir tête à Starlink, la société de droit américain créée par Elon Musk, et on assiste médusé à cette appropriation au grand jour. À l’instar de la 5 G, l’internet à très haut débit par satellite bénéficie d’une présomption d’innocence, perçu a priori comme un progrès pour l’humanité.
Il y a pourtant lieu de gratter le vernis progressiste pour évaluer honnêtement ce qui nous est toujours présenté comme une longue marche vers un bonheur 2. 0 hyper connecté. Car ceci n’a rien d’une évidence. Et comme de mauvaise coutume, aucun débat démocratique n’a été conduit pour évaluer sérieusement le bénéfice supposé et les nouvelles menaces, pourtant bien réelles.

Les dieux sont tombés sur la tête

Alors que l’évaluation environnementale et climatique est loin d’avoir été conduite, l’utilité de cet internet par satellite est quant à elle tout à fait discutable. Les débits offerts et le temps de latence sont largement inférieurs à ce que peut offrir la fibre. À l’évidence, l’objectif de ces constellations est sans doute à chercher ailleurs.
En couvrant l’espace de grappes de satellites, Elon Musk déploie une infrastructure qui lui permettra sans doute d’accompagner la généralisation de la voiture autonome dont il est l’un des acteurs majeurs avec Tesla. Cet agenda caché pose question car ce déploiement crée les conditions objectives permettant à un acteur privé de mettre en place une surveillance généralisée sans aucun contrôle.
Ce meilleur des « e-mondes » se met progressivement en place sans aucune réaction des États. Pire, l’Autorité de régulation des communications électronioques (Arcep) avait accordé, en France, une autorisation d’émettre à la société Starlink. Mais, par une décision datée du 5 avril 2022, le Conseil d’État, saisi par les associations Priartem et Agir pour l’environnement, a annulé la décision d’accorder à Starlink des fréquences pour le déploiement d’un réseau ouvert au public qui lui permettrait de fournir un accès à internet fixe par satellite. À l’instar de la 5 G, les pouvoirs publics estiment que l’évaluation environnementale et sanitaire est au mieux un passage obligé, au pire une concession procédurale dont on peut se passer. Il est temps que les pouvoirs publics cessent de jouer en force sur de tels sujets et acceptent enfin le nécessaire débat public.
Stéphen Kerkhove

(1) Les projets de mégaconstellations en orbite basse de SpaceX, Amazon et OneWeb prévoient d’envoyer respectivement 12 000, 3000 et 1000 satellites.

Contacts :

  • Agir pour l’environnement, 2 rue du Nord, 75018 Paris, tél. : 01 40 31 02 37
  • Priartem, BP 64, 206 quai de Valmy, 75010 Paris, tél. : 01 42 47 81 54

Le meilleur des e-mondes — Résister à la 5G et à ses conséquences
Stephen Kerckhove
Avec son style concis et ironique que nos lecteurs et lectrices connaissent bien, Stephen Kerckhove explique ce qu’est la technologie de la 5G, son rôle, ses conséquences sur la santé, sur l’environnement, sur le social et comment, devant ce qui est présenté comme un progrès, on fait un nouveau pas vers une société totalitaire, non plus contrôlée par l’État mais par les multinationales. Abrutissement par le temps passé sur notre deuxième cerveau (le smartphone), infantilisation avec des applications qui d’inutiles hier deviennent indispensables aujourd’hui, baisse généralisée de l’intelligence et de l’esprit critique et donc obéissance via un réseau qui consomme énormément d’énergies et de matériaux, marginalisation des zones rurales (qui disposent d’un débit déjà 500 fois plus faible que celui de Paris). Après une démonstration cinglante des mécanismes mis en œuvre par nos dirigeants (lobbying, conflit d’intérêts et mensonges à tous les étages), l’auteur dresse toute une liste de résistances possibles, à commencer par refuser d’acheter un téléphone qui utilise cette technologie. MB
Rue de l’Échiquier, 2021, 128 p. 15 euros

Désastres terrestres

Si la pollution liée à l’industrie spatiale ne concurrence pas encore celle du trafic automobile ou aérien, son développement rapide ne peut avoir que des conséquences désastreuses.
Les coûts de production des satellites ont drastiquement diminué ces dernières années du fait de leur miniaturisation. Leur fabrication est donc devenue possible pour quelques milliardaires qui investissent dans les innovations technologiques. Ces investissements sont néfastes pour le ciel étoilé mais aussi pour la terre ferme. « Tout aussi catastrophique est la mise en place d’infrastructures démesurées, impliquant une prédation des ressources en énergie et en matière de notre planète, tant pour construire les satellites que pour les lancer, les piloter ou les utiliser. Contrairement aux satellites géostationnaires habituellement utilisés dans les télécommunications, les satellites Starlink orbitent à basse altitude. Ils traversent le ciel visible d’un lieu donné en seulement quelques minutes. Pour les suivre, chaque utilisateur devra acheter une antenne spéciale (dite à commande de phase). Ces antennes au sol devront être fabriquées en masse pour rendre leur prix abordable. SpaceX a déjà demandé l’autorisation d’en installer un million… pour commencer » (1).
Et que dire des vols spatiaux ? « Pour un seul vol d’une dizaine de minutes, ce sont pas loin de 80 tonnes d’équivalents CO2 qui sont émises dans l’atmosphère. C’est plus de 6 fois la quantité de CO2 émise par un Français sur une année entière, ou autant qu’un Indien pendant 40 ans » (2). Cette phrase, a elle seule, révèle l’obscénité et la dangerosité de leur développement. Et c’est sans prendre en compte les pollutions générées par la construction des fusées, des infrastructures, des carburants, etc. « Propulser une masse de 750 tonnes à 8 000 km/h (comme la fusée Ariane 5) nécessite un concentré d’industries extractives et chimiques : 240 tonnes de polybutadiène, perchlorate d’ammonium et aluminium, 173 tonnes d’hydrogène et oxygène liquides obtenus à grand renfort d’énergie, plus de l’hydrazine et du tétraoxyde d’azote bien toxiques. À chaque lancement (un par mois à Kourou, une centaine par an dans le monde), un gigantesque nuage de combustion dissémine du gaz chlorhydrique et des particules d’alumine à des kilomètres alentour. Les particules acides du nuage sont diluées par un rideau d’eau de 9 m³ par seconde surnommé ‘le Déluge’, recueillies dans des fosses en béton de 18 m de long puis traitées à la soude avant d’être rejetées dans l’environnement » (3).
MG

(1) « Starlink : les dommages collatéraux de la flotte de satellites d’Elon Musk », Roland Lehoucq, François Graner, 10 mai 2020, https://theconversation.com
(2) « Écologie : la conquête spatiale a-t-elle un sens ? », Clément Fournier, 27 juillet 2021, https://youmatter.world/fr
(3) « Pour gagner l’Espace, nous perdons la Terre », Célia Izoard, 20 juillet 2021, https://reporterre.net


Thomas Pesquet, l’homme le plus radioactif de France
Plus on monte en altitude et plus la radioactivité dégagée par le Soleil est intense. Ceci fait que les voyages spatiaux sont forcément limités dans le temps. Actuellement, avec 437 jours, le russe Valeri Poliakov détient le record mondial, un record qui date de 1995. Depuis, on plafonne le temps passé dans l’espace. Il n’est donc pas question d’atteindre Mars car, avec les technologies actuelles, il faudrait au mieux 250 jours pour y aller et autant pour en revenir : le risque de contracter un cancer est élevé. MB (source : https://parlonssciences.ca/ressources-pedagogiques/les-stim-en-contexte/lexploration-spatiale-et-le-rayonnement)

Des dizaines de Tchernobyl au-dessus de nos têtes ?
Entre 1970 et 1988, les Russes ont expédié 34 satellites propulsés par un réacteur nucléaire. Cette technologie est envisagée pour les envois lointains. D’autres techniques nucléaires sont à l’étude pour assurer l’alimentation en énergie lors de voyages lointains. En cas d’explosion du satellite hors de l’atmosphère, en principe toute la matière se consume en pénétrant dans l’atmosphère terrestre. Mais la radioactivité ne se détruit pas et se dissipe alors dans l’air. Le plus gros risque, pour le moment, reste l’explosion du satellite lors de son décollage. MB (source : www.savoirs.essonne.fr/dossiers/lunivers/exploration-spatiale/la-propulsion-nucleaire-dans-lespace/complement/resources/)

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