Chronique L’actu des oublié·es Nord-Sud

L’avenir est un territoire à défendre

Melaine Fanouillère

Au Paraguay, un mouvement indigène d’ampleur se soulève pour défendre le droit à la terre.

Depuis la fin des restrictions dues à la pandémie de Covid, les luttes indigènes ont repris de plus belle en Amérique latine. Au Paraguay, déjà à l’automne 2021, le pays s’était soulevé contre la loi Zabala - Riera qui prévoit jusqu’à dix ans de prison pour l’occupation illégale de terres, mode d’action par excellence des paysan·nes sans terre, notamment indigènes, pour subvenir à leurs besoins. Cette loi est depuis un axe majeur de la répression des luttes et de la criminalisation des organisations indigènes dans le pays.

Inégalités foncières et campagnes d’occupation

La révolution agraire n’a pas eu lieu au Paraguay. Depuis le milieu du 19e siècle, les terres appartenant aux indigènes, qui nourrissaient jusque-là le pays, ont été octroyées à de grands propriétaires. La tendance n’a fait que s’amplifier, complétée par la domination sans partage, plus récente, des multinationales productrices de soja. En 2008, seulement 2 % de la population était propriétaire de 89 % des terres, et la culture de soja occupe en 2021 80 % des terres cultivables du Paraguay (1). Les terres autrefois couvertes de jungle ou de zones humides sont désormais utilisées au maximum et perdent en résilience face aux phénomènes climatiques de sécheresse et d’inondation.
Les communautés ont mené de grandes campagnes d’occupation. Des milliers de familles ont trouvé un refuge grâce à ce mode d’action – plus de 800 occupations illégales sont encore en cours dans le pays.
La coordination nationale de femmes paysannes et indigènes lutte au jour le jour pour la reconnaissance des droits des peuples à la terre, participe activement à l’occupation des terres via des assemblées non mixtes, et à leur défense physique et juridique.
Ces dernières années, de nombreuses occupations ont donné lieu à des réattributions de terres, qui sont devenues des territoires de plein droit pour la culture indigène et l’agriculture ancestrale. Voilà pourquoi les lobbys ont tant souhaité la mise en place de la loi Zabala - Riera, votée en août 2021 pour criminaliser ce mode d’action.

Le pays bloqué par des marches indigènes et paysannes

Tout au long du mois de mars 2022, les grandes villes du pays ont été le théâtre de marches, de conférences publiques et certaines places ont été occupées jour et nuit. Le 24 mars, indigènes et paysannes convergeaient à Asuncion, la capitale. Depuis des jours, les routes du pays étaient bloquées par les cortèges qui convergeaient sur la capitale. Les paysans et les paysannes étaient mobilisé·es pour réclamer des mesures d’urgence face aux sécheresses qui les frappent, tandis que dans le même temps les transporteurs menaient grèves et blocages pour réclamer des mesures contre l’inflation. Ces luttes se sont unies aux quatre coins du pays dès la mi-mars, le paralysant durant une semaine. La police a tenté de déloger les barrages, mais le 24, ce sont plus de 20 000 personnes qui ont défilé dans les rues de la capitale. Comme l’écrit le réseau latino-américain Futurs indigènes (2), « Nous sommes les alternatives vivantes à la crise climatique. L’avenir est un territoire à défendre ».

Melaine Fanouillère

(1) Base investigaciones sociales, www.baseis.org.py.
(2) https://futurosindigenas.org. Voir aussi https://desinformemonos.org.

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