Pour toutes celles et ceux qui plaident pour une décroissance désirable, le prisme de la santé est peut-être la meilleure des portes d’entrée.
En effet, en quoi le PIB, que la communauté des économistes depuis les travaux de la Commission Stiglitz (2008-2009) ne reconnait pas comme un indicateur satisfaisant du bien-être, serait-il pertinent pour traiter de la santé (1) ?
D’autant que la Covid-19 nous a enseigné qu’une volonté politique, au niveau mondial, peut éclipser la priorité donnée à l’économie pour se focaliser sur la… santé. « Le politique peut prendre la décision de donner un coup de frein à l’économie. Nous en aurons vécu l’expérience dans notre chair. » (2)
Et nombreux sont les problèmes : nouvelles maladies infectieuses, impact du changement climatique sur la santé et les écosystèmes, pollution environnementale, perte de biodiversité, état de l’habitat, sécurité alimentaire, résistance aux antibiotiques…
Éradiquer les activités toxiques
Le bon sens populaire le dit bien : « Mieux vaut prévenir que guérir ». Or tant que nos politiques publiques seront cornaquées par l’impératif de croissance, elles préféreront le développement des approches curatives (3) où prédomine le secteur techno-biomédical. La santé sera réduite au médical.
En France, seul 1,9% du budget global consacré à la santé est dédié à la prévention. Et dans ce pourcentage est intégrée la prévention de type biomédical (dépistages, vaccins).
Pour l’Institut National du Cancer, 40% des cancers sont pourtant liés à des facteurs de risques évitables. Parmi les principaux : l’alimentation industrielle, le tabac (75 000 décès par an), l’alcool et le manque d’activité physique ainsi que les facteurs environnementaux et professionnels.
Seulement les mensonges des industriels du tabac, des énergies fossiles, de l’agro-alimentaire (nitrites, sucre, sel, etc.) ou des pesticides et leurs études commanditées dissimulant la dangerosité de leurs produits contribuent à la fabrique du doute (4). Notre démocratie est malade de ces compromissions. Contre la malfaisance des lobbies, accorder plus de moyens à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique serait-il suffisant ? Envisager la santé dans une perspective décroissante, c’est parvenir à penser ensemble l’éradication de ces activités toxiques et la mise en place d’un fonctionnement sain qui soit faisable, acceptable et désirable par le plus grand nombre.
Autre outil politique de prévention, lutter contre cette arme des capitalistes qu’est la publicité. Il ne serait pas difficile de légiférer pour interdire toute publicité de produits impliqués dans des problématiques sanitaires (produits sucrés, smartphones, jeux électroniques) à destination des enfants.
Le numérique, faux allié de notre santé
Le numérique prétend devenir le meilleur allié de notre santé alors que la prévention devient objet de convoitises : les GAFAM n’ont pas attendu le grand bond en avant numérique permis par la pandémie. La médecine 4P (Prédictive, Personnalisée, Préventive et Participative) est une nouvelle source de profits : décrypter le génome, prévenir les maladies, personnaliser les traitements, impliquer les patients.
Dès 1995 Lucien Sfez avait identifié les germes de cette utopie de « la santé parfaite »(5). Sous prétexte de prévention, « traçage épidémiologique, dossier médical partagé, capteurs et applis capables de suivre nos rythmes biologiques en temps réel… […] : nos données de santé sont devenues un business juteux que s’arrachent les Big techs et les Big pharma, ainsi qu’une nébuleuse d’entreprises privées ou de cyberpirates » (6).
Le plan France 2030 (7) fait le choix de la fuite en avant technosolutionniste, avec des investissements considérables dans les trois dernières révolutions technologiques : numérique, robotique et génétique. « Oui à la e-santé. Maintenant on peut voir son médecin même quand on ne peut pas aller le voir » (8). Face à la dystopie d’un monde de plus en plus virtuel, la décroissance choisit le ralentissement, par la réévaluation et la revalorisation des métiers de la relation, du soin, du care.
Cette « fuite en aval » technologique sera également économique : au regard des coûts induits par le vieillissement de la population (transition démographique) et le développement des maladies chroniques (transition épidémiologique), « notre système de santé risque d’exploser » (9).
Pour une approche participative et écosystémique
Choisir la décroissance, c’est opter pour des solutions en amont des maladies. À condition d’une implication des usag·ères dans le système de santé, nous serons collectivement à même de relever les défis sanitaires liés à notre environnement social, économique et écologique. Agir sur les déterminants de santé générateurs de tant d’inégalités sociales et territoriales de santé exigera une approche collaborative (10), multisectorielle et transdisciplinaire.
Une voie prometteuse est celle de l’initiative One Health (11) parce qu’elle est écosystémique et holistique. Une seule santé, pour les humains, pour les animaux, pour l’environnement : 60 % des maladies humaines infectieuses connues sont d’origine animale, et nous savons que ces maladies zoonotiques sont favorisées par des déséquilibres écologiques et / ou climatiques.
Les titres et intertitres de cet article sont de la rédaction de Silence.
La Maison de la décroissance, La décroissance et ses déclinaisons. Pour sortir des clichés et des généralités, préface de Timothée Parrique, dessins de Jean-Luc Coudray, éditions Utopia, 2022, 144 p., 10 €
Pour aller plus loin :
• Maison commune de la décroissance, https://ladecroissance.xyz.
• Voir aussi l’article « La Maison commune de la décroissance », Silence n° 468, juillet 2018.
• Réseau Environnement Santé, mettre la santé environnementale au coeur des politiques publiques, 206, quai de Valmy (Maison des Associations) 75010 Paris, www.reseau-environnement-sante.fr.
(1) L’OMS définit la santé comme "état de complet bien-être physique, mental et social, et [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou
