Dossier Paix et non-violence

Le service national universel militarise la jeunesse

Guillaume Gamblin

Le service national universel (SNU) est dénoncé par de nombreuses organisations, dont Silence, comme un dispositif d’enrôlement militariste de la jeunesse. Le gouvernement veut rendre celui-ci obligatoire pour tous les jeunes de 16 ans, et il coûtera, à terme, plusieurs milliards d’euros par an.

Le 17 mars 2022, à la télévision, le candidat à sa réélection Emmanuel Macron réaffirmait sa volonté de généraliser le SNU en expliquant : « C’est un des éléments de la refondation du pacte si essentiel entre nos armées et la nation. » Comment être plus clair ? Le SNU s’inscrit par ailleurs dans toute une série d’interventions et d’initiatives de l’armée vis-à-vis de la jeunesse (1).

Les volontaires ne se bousculent pas

Le SNU a débuté en 2019 avec un premier contingent de 2 000 jeunes, puis une montée en puissance jusqu’à un passage obligatoire pour tous les jeunes de 16 ans annoncé d’abord en 2023, puis 2024, et aujourd’hui en 2026. Mais les volontaires ne se bousculent pas au portillon des casernes… En 2021, le gouvernement tablait sur 25 000 jeunes volontaires, or il n’y en a eu finalement que 14 653. La première session de février 2022 devait embrigader 4 000 jeunes, seuls 3 000 se sont inscrits, malgré une intense propagande (2).
Rappelons que le SNU comprend une première phase « de cohésion et de mixité sociale » avec un séjour en internat de deux semaines (avec encadrement en partie militaire, uniforme, lever du drapeau et Marseillaise obligatoire). « Comment le SNU parviendrait-il à réaliser en un mois ce que l’Éducation nationale ne parvient pas à réaliser entre la maternelle et la classe de troisième ? », interroge le Mouvement pour une alternative non-violente. Une seconde phase « d’engagement » comprend des missions d’intérêt général de 12 jours et des missions volontaires de 3 mois. Mais la jeunesse n’a pas attendu des encadrants militaires pour s’engager pour le climat et la justice sociale, contre le sexisme et le racisme… et contre les guerres et le militarisme, parfois !

Pas si universel que ça

La dimension « universelle » du SNU fait pour le moment défaut. Une étude d’envergure réalisée par l’INJEP (3) et datée de janvier 2022 sur le déploiement du SNU en 2021 nuance fortement le caractère universel qu’il prétend avoir. Le SNU est présenté comme un outil du « renforcement de la cohésion nationale par l’expérience de la mixité sociale et territoriale au sein d’une même classe d’âge ». Cependant, dans les faits, parmi les participant·es, les filières professionnelles sont très peu représentées (11 % contre 33 % en France) tout comme que les enfants d’ouvriers et ceux issus de quartiers populaires classés « politique de la ville ». Parmi les participants, 37 % ont des parents qui ont travaillé dans un corps en uniforme, 10 % se sont vu imposer leur participation par leur famille !

Difficulté à recruter… des encadrant·es

Un problème pour la tenue des sessions du SNU est la difficulté de recruter des encadrant·es, signalait Europe 1 le 13 février 2022. « Le SNU peine, en effet, à recruter des animateurs qualifiés. Les diplômés du Bafa (Brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur) ne courent pas les rues, beaucoup de formations ayant été supprimées depuis le début de la pandémie. La loi exige pourtant, pour chaque séjour de mineurs, un nombre minimum d’encadrants qualifiés dans l’animation. » Ainsi, l’une des régions d’accueil est contrainte de n’accueillir que 220 jeunes au lieu des 700 prévus, par pénurie d’encadrement. De plus, signale la radio, de nombreu·ses encadrant·es ne veulent plus recommencer : le SNU a mauvaise presse dans leur milieu. Leur rémunération, minime, est de l’ordre de 1, 50 euros de l’heure. Certain·es n’ont été payé·es que cinq mois plus tard. Et, dans certains centres, 60 % des animat·rices ne sont pas diplômé·es, ce qui n’est pas légal.

En Charente-Maritime, des voix discordantes se font entendre

Le 14 février 2022, une dizaine de personnes ont distribué des tracts pour dénoncer le SNU devant le lycée Merleau-Ponty de Rochefort, qui accueillait ce dispositif. Membres du Mouvement de la paix, de la Libre pensée, du Snes-FSU, de Sud-éducation et des Amis des monuments pacifistes, elles dénonçaient un embrigadement, un formatage de la jeunesse et un renforcement de la militarisation. « Alors que l’Éducation nationale est à l’os, c’est elle qui finance le SNU. » Le 26 février, un rassemblement avait lieu à La Rochelle, devant la cité administrative, pour demander l’abrogation du SNU à l’appel d’une intersyndicale. D’autres rassemblements publics anti-SNU ont eu lieu ces derniers mois à Nantes, Rouen, etc.

Comment résister ?

On peut se rapprocher des collectifs et organisations qui militent pour l’abandon du SNU (4). Parmi les actions à réaliser, on peut créer un collectif régional, organiser des réunions d’information, concevoir des plaquettes à distribuer aux jeunes et à leurs familles, participer aux visioconférences sur le SNU organisées par les académies, publier des tribunes de presse, enquêter auprès des jeunes pour connaître leurs motivations et leurs réserves, etc. On peut relayer l’appel à boycotter le SNU auprès des associations de jeunesse et d’éducation populaire.
Lorsque le SNU sera obligatoire, l’État prévoit de sanctionner les réfractaires en leur interdisant de passer le code, donc d’obtenir le permis de conduire, de les exclure du baccalauréat et des concours administratifs (5). L’objection de conscience a été officiellement suspendue avec la fin du service militaire et de l’obligation de porter des armes, mais ce droit pourrait être réactivé. À l’époque du service militaire obligatoire, l’objection de conscience n’était jamais un droit à faire respecter : c’était un statut précaire acquis de haute lutte. Il pourrait en être de même pour le SNU. Enfin, reste à creuser la piste d’un refus parental concernant les enfants mineurs : ces derniers pourront-ils être pénalisés pour un refus dont ils ne sont pas les auteurs ni les responsables ?

Guillaume Gamblin

(1) Voir l’article « Quand l’armée distribue des bonbons à l’école », Silence, no 450, novembre 2016.
(2) 12 % des participant·es au SNU en 2021 sont venu·es suite à de la propagande sur les réseaux sociaux, détaille l’étude de l’INJEP citée plus bas. « J’ai d’abord vu une publicité sur Snapchat », « J’ai vu la vidéo sur YouTube », « Les vidéos sur Instagram, elles donnaient trop envie de faire le SNU », témoignent les jeunes.
(3) Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire
(4) Parmi lesquelles l’Union pacifiste, l’Union syndicale lycéenne, Solidaires, le Mouvement pour une alternative non-violente (MAN), les Jeunes écologistes, la Jeunesse ouvrière chrétienne, les Scouts et guides de France, l’UNEF, la FCPE, la FSU, etc. Certaines d’entre elles sont regroupées dans le collectif Non au SNU.
(5) Sanctions actuellement déjà prévues pour la journée « Défense et citoyenneté ».

Pour aller plus loin :
• Non au SNU, nonsnu@lists.riseup.net.
• Union pacifiste de France, BP 40 196, 75624 Paris Cedex 13, www.unionpacifiste.org.
• Mouvement pour une alternative non-violente, 47 avenue Pasteur, 93100 Montreuil,
tél. : 01 45 44 48 25, www.nonviolence.fr.
• Pour les jeunes adultes désireu·ses de s’engager sur le thème de la paix et de la non-violence comme alternatives à la voie militaire, le Comité pour l’intervention civile de paix informe et forme à l’intervention civile non-violente dans des zones de conflit.
Comité pour l’intervention civile de paix (Comité ICP), 187 Montée de Choulans, 69005 Lyon, https://interventioncivile.org. L’IUT de Seine-Saint-Denis, rattaché à l’Institut catholique de Paris, en lien avec le Comité ICP et Nonviolent Peaceforce, organise le premier cursus universitaire en France dédié à l’intervention civile de paix, dont la prochaine session se déroulera de janvier à juillet 2023. Aller sur la page « Diplôme universitaire intervention civile de paix » du site www.icp.fr.
• Lire aussi « Service national universel : boycott et objection de conscience », Silence no 483, novembre 2019.

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