Article Agriculture

L’Espace-Test Agricole, pour apprendre à être paysan·ne

Timothée Vernier

Pour renouveler les populations agricoles, les Espaces-Test Agricoles (ETA) facilitent l’installation paysanne grâce à un test d’activité en conditions réelles. Enquête au sein de l’ETA du Perche dans l’Orne, opérationnel depuis 2015. 

Midi sonne, Fabien invite Julien et Laëtitia à déjeuner chez lui, à la ferme de Tanga (1). Interrogé∙es sur leur récente installation en agriculture paysanne, Julien et Laëtitia évoquent avec gratitude l’accueil chaleureux de leur voisin, maraîcher et paysan-tuteur, alors qu’il et elles faisaient leurs premiers pas dans le Parc Naturel Régional (PNR) du Perche : « C’est pas dans tous les métiers que tu débarques non pas en tant que concurrent mais en tant que collègue. Ça donne un coup de boost et de confiance dans ton projet. »
Cette confiance si précieuse, le couple maraîcher la doit à l’Espace-Test Agricole du Perche (ETAP) et ses sept ans d’expérience dans l’accompagnement à l’installation de paysan∙nes qui, comme elle et lui, ont décidé de renouer avec le vivant. Avec seulement 7 % de fermes en circuits-courts et plus de 90 % de la production vendue hors du Perche, difficile de ne pas voir venir la pénurie de produits frais, bio et locaux alors que la demande va croissant, notamment dans la restauration collective. Plusieurs act·rices des collectivités et du monde agricole se sont donc réuni∙es pour tenter de résoudre le problème à sa racine. 
Transportées par un vent nouveau, des graines venues d’ailleurs germent de toutes parts depuis quelques années. On les appelle « néo-paysan∙nes » ou « hors-cadres familiaux » : il∙elles représentent aujourd’hui 30 % des installations des moins de 40 ans et sont majoritaires dans celles des plus de 40 ans. Un contre-courant inédit et une opportunité pour renouveler les générations agricoles. 
Les premiers ETA ont vu le jour en 2009. Depuis, se sont plus de 700 néo-paysan·nes qui sont ainsi « testé∙es » en France, dont deux tiers ont concrétisé leur installation. 

Un test d’activité avant tout pour se tester

Le concept d’un ETA repose sur une mise en conditions réelles, appelée « test d’activité », encadrée par une coopération multi-act∙rices assurant quatre fonctions essentielles : couveuse, pépinière, accompagnement et animation-coordination.
La fonction « couveuse » apporte un cadre légal d’exercice de l’activité par un hébergement juridique, fiscal et financier, en général formalisé par un contrat d’appui au projet d’entreprise (CAPE) d’un an, renouvelable trois fois, permettant à l’entrepreneur de conserver ses droits sociaux (allocations, RSA…). Créée en 2016 suite à deux années d’expérimentation au sein du PNR du Perche, la coopérative d’activité et d’emploi (CAE) Rhizome assure ce portage (2). En échange, les « couvé·es » contribuent financièrement à la CAE, à hauteur de 10 % de leur chiffre d’affaires. À l’issue de la phase de test, ils et elles peuvent poursuivre l’activité agricole avec le statut de salarié∙e au sein de la CAE
En parallèle, la fonction « pépinière », souvent assurée par la collectivité locale, permet une mutualisation et un portage financier des moyens de production (foncier, matériel, bâtiments…), afin d’éviter le poids d’un emprunt bancaire au démarrage de l’activité. Dans le Perche, certaines communautés de communes se sont portées acquéreuses de 30 000 € à 80 000 € de matériel selon les projets, moyennant un crédit-bail pour les paysan·nes qui disposent d’une option de rachat du matériel (loyer déduit), à l’issue du test d’activité. Une opération blanche pour la collectivité, mais une formule optimale pour Julien et Laëtitia dont « l’intention initiale était de ne pas être tributaires des banques ».
La fonction « accompagnement » est supportée par un groupe d’appui local, composé notamment de paysannes et paysans-tuteurs, qui assure un suivi technique, entrepreneurial et humain, afin d’apporter conseils et confiance aux « couvé·es ». En prime, le PNR du Perche finance une indemnité aux paysan∙nes-tu·trices comme Fabien, ainsi que des formations professionnelles pour répondre aux besoins du parc, comme la transformation de légumes. Dans certains cas, le tutorat peut même faciliter l’accès à un terrain cultivable – appelé « lieu-test » – comme l’illustre Christophe Lecuyer, agriculteur percheron chez qui s’est testé le premier maraîcher de l’ETAP : « Ce qui m’a motivé à mettre à disposition du foncier, c’est aussi de transmettre du savoir. On a souvent échangé ensemble, il était demandeur d’éléments techniques. »
Enfin, la fonction « animation-coordination » répond à une logique d’ouverture et d’ancrage territorial et partenarial. Elle facilite ainsi l’essaimage du dispositif d’une collectivité à l’autre, comme en atteste l’expérience de Fabien à ses débuts, en 2015 : « Je ne suis pas allé voir ma collectivité tout seul avec mes petits bras pour leur demander de me financer une serre à 14 000€, j’étais entouré de gens qui pèsent dans la collectivité voisine qui soutenait déjà l’Espace-Test. » Cet effet ricochet a permis la création de cinq emplois agricoles dans le PNR du Perche depuis 2017, et sept autres personnes se testent actuellement au sein de l’ETAP.

Du pain bénit et des copains

Le succès de celui-ci ne se limite pas au PNR du Perche : comme son nom l’indique, la CAE Rhizome s’enracine aujourd’hui dans les cinq départements de la région Normandie. En 2020, elle hébergeait plus de 60 « entrepreneur∙es » à l’essai, dont les chiffres d’affaires cumulés s’élèvent à plus de 800 000€. Au-delà des recettes monétaires, « l’ETAP a créé une véritable émulation sur le territoire », expose Camille Henry, chargée de mission agriculture du PNR du Perche. Le premier couple maraîcher de l’ETAP a initié un magasin collectif de producteurs et productrices bio à Nogent-le-Rotrou et, depuis peu, nous avons du porc bio plein-air alors qu’il n’y en avait plus en circuit-court dans le Perche." 
Lorsqu’on lui demande l’intérêt de rester dans la CAE après la phase de test, Fabien répond sans hésitation : « Avec Rhizome, on a vu très peu de problèmes par rapport à un nombre incalculable de bénéfices. Tu as l’avantage d’être ton propre patron dans ton champ, avec la sécurité d’un salarié : tu cotises pour la retraite, pour le chômage… » Sa compagne, Lola, souligne l’apport constant de visibilité et de crédibilité pour leur activité, et Julien acquiesce en qualifiant de « pain bénit » un point-presse avec le PNR du Perche qui leur a fait « un super coup de pub avec zéro budget », dix jours avant leur première vente au marché. Laëtitia, quant à elle, apprécie l’intégration dans le tissu social local : « Pendant notre formation, on nous a beaucoup parlé de l’isolement des agriculteurs. A l’inverse, Rhizome nous apporte une vie sociale et des copains ! » En effet, les paysan·nes de Rhizome s’entraident souvent lors de travaux agricoles.

Des aides limitées et des statuts incompatibles

Néanmoins, les ETA se heurtent encore à des obstacles. À commencer par la dotation aux jeunes agriculteurs (DJA), aide réservée au statut de chef∙fe d’exploitation de moins de 40 ans, donc à ce jour inaccessible aux coopérateur∙ices salarié∙es de la CAE, comme Fabien, ou les paysan∙ne∙s quadragénaires, comme Julien. 
Autre frein : pendant la phase de test, les « couvé·es » ne cotisent pas pour le chômage et la retraite, ni pour les congés de maternité. Un poids pour Lola qui a vu naître ses deux enfants au cours de ses trois années de test. Enfin, de nombreux ETA sont en partie dépendants de subventions des collectivités territoriales. Pour cette raison, Julien Kieffer, gérant de la CAE, cherche du renfort, quitte à filer la métaphore : « On est en train de monter la structure Rhizobiomes – comme le nom des bactéries qui nourrissent le rhizome – un fonds de dotation qui pourra accueillir du don sans contrepartie, l’État s’engageant à une réduction fiscale ».

Des États aux ETA européens

En France, où le dispositif connaît un succès croissant, plus de 60 ETA se sont fédérés au sein du réseau national des espaces-test agricoles – le RENETA (3). En Europe, l’Espagne, la Belgique et la Suède entrent à leur tour dans la danse, notamment dans le cadre d’un projet Erasmus+ visant à créer un réseau européen des ETA. En parallèle, la Commission européenne finance le projet NEWBIE, un consortium de neuf pays qui travaille sur des dispositifs pour les nouveaux entrants en agriculture, comme les ETA. De quoi injecter du sang neuf dans l’agriculture du Vieux Continent.

Timothée Vernier

(1) La Ferme de T.A.N.G.A., Les Epasses, Moulicent, 61290 Longny-les-Villages, https://www.lafermedetanga.fr 

(2) En engageant son numéro SIRET sur tous les aspects de la création d’entreprise : le foncier, le matériel, la production, la commercialisation, la comptabilité, l’assurance…

(3) RENETA (Réseau National des Espaces-Test Agricoles), Maison des Agriculteurs, Mas de Saporta, Bât. B, 34875 Lattes, https://reneta.fr/


L’auteur
Dans la foulée de son master international en agroécologie, Timothée Vernier est parti voyager à vélo pendant plus d’un an, en France, pour s’inspirer de la permaculture et des éco-lieux. Il est aujourd’hui jardinier-maraîcher au Campus de la Transition, en Seine-et-Marne.

Son site Internet : https://timotheevernier.wordpress.com 

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