Article Alternatives

Floraison d’initiatives à Terre vivante

Michel Bernard

En 1994, s’est ouvert à Mens, dans le Trièves, entre Grenoble et Sisteron, le Centre écologique européen Terre Vivante. Créé par la structure du même nom, il publie la revue Les Quatre saisons et édite de nombreux livres depuis 1980.

Jusqu’en 1993, la revue qui a alors pour nom Les Quatre saisons du jardinage est domiciliée à Paris. C’est la revue de référence du jardinage biologique. Elle était dirigée initialement par Karin Mundt, Claude Aubert et Jean-Paul Thorez. Elle se développe autour d’une maison d’édition, Terre Vivante, qui propose des ouvrages dans les domaines du jardinage, de l’agriculture biologique, de la santé, de la cuisine saine, de l’habitat... et qui traduit de nombreux ouvrages sur des expériences positives à l’étranger.
Karin Mundt, multilingue, a une bonne expérience de la démarche commerciale à suivre, ayant eu la responsabilité d’un service publicité au sein de l’Express. Intéressée depuis longtemps par l’écologie, elle a connaissance de nombreux réseaux à l’étranger. Claude Aubert est, lui, ingénieur agronome et ses ouvrages de vulgarisation de l’agriculture biologique sont une référence (1).

La recherche d’un site

Pendant plusieurs années, la revue annonce son intention de se délocaliser à la campagne pour compléter son travail d’information par un centre écologique. Le projet s’inspire de l’expérience de centres écologiques européens (2) et il est ambitieux : il recouvre des activités non publiques (réalisation de la revue, quelques programmes de recherche), mais également une importante activité d’accueil (formations, informations, expérimentations concrètes, classes vertes...)
Philippe Richard, maire de Mens, abonné à la revue, leur propose les terrains où finalement Terre Vivante déménage. Sur cette petite commune du sud de l’Isère, placée dans un site magnifique, de nombreuses alternatives se développent (3).
Le site est une ancienne exploitation agricole abandonnée entre les deux guerres. Il ne reste plus que les ruines des bâtiments et les parcelles cultivées ont été envahies par la forêt voisine. Les anciennes terres font une cinquantaine d’hectares, dont huit sont aujourd’hui défrichés et le reste en forêt. Une grosse surprise attend toutefois l’équipe de Terre Vivante : le terrain est fait de marnes instables, ce qui restreint les possibilités de construction. Les autorisations limitent le domaine bâti aux seuls espaces occupés par l’ancienne ferme et les normes de sécurité pour les lieux ouverts au public obligent à réaliser des fondations importantes... Cette contrainte imprévue a une conséquence importante : seuls les locaux de la maison d’édition Terre Vivante et un espace restauration ont pu prendre place sur le site... et aucun logement n’a pu être installé, ce qui nécessite de retourner aux villages voisins... et rend l’usage de la voiture pratiquement indispensable (4).

Un vaste espace d’exposition de techniques alternatives

Sur des dalles en béton, la construction des bâtiments permet de rendre visible le maximum de techniques utilisées par l’habitat sain : bois, terre crue, enduits et peintures naturelles... (5). Certaines techniques n’ont pu être utilisées : un toit végétal doit être en une faible pente, ce qui a été jugé incompatible avec les normes locales prévues pour résister au poids de la neige. Un toit végétal a été réalisé en démonstration sur une petite cabane de moins de 20 m².
À l’extérieur, sur 5 hectares, de multiples expériences de jardinage sont présentées en démonstration : cultures associées, plantations fruitières, verger conservatoire pour assurer un maintien de la diversité génétique des espèces rustiques, zone de compostage, zone de séchage du bois, étang anti-incendie mais également lieu d’accueil pour les grenouilles qui remplacent l’usage des insecticides... Un effort particulier a été fait pour rechercher la beauté du paysage. Des paysagistes écolos comme Gilles Clément ont participé à la réalisation des jardins. Une importante installation d’épuration des eaux par un système de filtrage par les plantes permet au centre de rejeter dans un ruisseau voisin une eau aussi propre qu’elle l’était avant son pompage. Cette installation est prévue pour le passage de plus de 100 000 personnes par an.
Le centre devait être autonome en énergie et servir de lieu d’expérimentation et de démonstration dans ce domaine. Cela n’a pas été possible par manque de financements. Dès le départ, une chaufferie au bois a fourni l’eau chaude... en complément de panneaux solaires thermiques. Par la suite, 220 m² de panneaux photovoltaïques ont été installés et permettent aujourd’hui de couvrir 70 % des besoins en électricité.

Un pari financier ambitieux

L’investissement initial devait être de 1,5 millions d’euros. Alors qu’il y avait 11 personnes salariées à Paris, le centre a ouvert avec 24 personnes. Fin 2021, il en compte 32... Des subventions, environ 800 000 euros, ont été accordées par la commune, le département, la région, l’État et la Communauté européenne. Il a manqué une somme importante, et plutôt que de faire un emprunt, certains projets, en particulier dans le domaine des énergies renouvelables, ont été limités. Il a également été fait appel au bénévolat : une quinzaine de personnes se sont relayées en permanence dans un chantier participatif pour participer à la construction du centre avant son ouverture au public.

Les premiers pas

Fin 1993, la maison d’édition déménage de Paris à Mens. Cela entraîne un certain nombre de problèmes, certaines personnes ne voulant pas ou ne pouvant pas quitter Paris. Ainsi sept des onze salariés suivent, et Jean-Paul Thorez, rédacteur en chef de la revue depuis ses débuts, qui donne sa démission. Aux problèmes déjà énormes que posait la réalisation du centre, s’ajoute un problème de personnel. Il faut trouver des remplaçant·es, des personnes au moins bilingues, car la revue est en contact avec d’autres revues européennes et traduit pas mal d’articles et de livres. Rémy Bascher arrive en 1993 pour s’occuper de la revue et il est rejoint, à l’automne 1994, par Antoine Bosse-Platière, ancien rédacteur de la revue Nature et Progrès.
Le 1er juillet 1994, le centre est officiellement ouvert au public un espace restauration qui sert une alimentation saine, de tendance végétarienne... Au départ, c’était un vrai restaurant, aujourd’hui ce sont des bocaux salés et sucrés à emporter ou déguster sur place, mais les produits proposés restent excellents. Initialement, en 1995, une boutique commercialisait des produits sains, des outils, des graines, des produits alimentaires locaux, mais les ventes n’ont pas permis de pérenniser cette boutique et seule la vente des livres de la maison d’édition a été maintenue. Restauration et librairie sont maintenant confiés à une seule personne.
En 1998, une exposition Négawatt permet au public d’apprendre comment économiser l’énergie et de voir différents appareils, outils disponibles.
En 2007, Terre Vivante décide d’ouvrir la maison d’édition plus largement à l’ensemble des thèmes liés à l’écologie. De fait, elle a connu une forte expansion : passant de 6 à 7 livres par an à 50 livres par an aujourd’hui.
En 2007, la revue dont le nombre d’abonnements fluctue entre 20 000 et 30 000, fait le choix de passer de manière ciblée en kiosque. 8 000 points de vente permettent de vendre 10 000 exemplaires supplémentaires en moyenne.
Un laboratoire de recherche Biotope, installé dans un mobile-home, se met en place en 2016, pour y mener des études en lien avec la notion de biomimétisme (6).

Des activités diversifiées

En 2018, 220 m² de panneaux photovoltaïques, placés au sol au-dessus des bâtiments administratifs, couvrent les besoins des bureaux. La même année, une vigne est mise en place avec 11 variétés différentes de raisins de table et différentes méthodes de culture biologique, ceci en lien avec l’association Vignes et Vignerons du Trièves qui cherche à redévelopper cette filière.
Côté maraîchage, chaque culture est présentée sur de petites parcelles où sont utilisées des méthodes différentes. Ces potagers, extrêmement diversifiés, emploient deux jardiniers.
En 2020, le centre n’a pas pu être ouvert au printemps du fait de la pandémie. Il a fallu repenser les visites pour éviter les regroupements sur les lieux. Un jeu grandeur nature La visite dont vous êtes le héros est ainsi conçu pour les enfants.
Le centre est déficitaire depuis son ouverture… c’est la maison d’édition et la revue qui permettent d’assurer l’équilibre financier. Dans les activités du centre, les stages pratiques de 1 à 5 jours qui se tiennent de mars à septembre, avec des intervenant·es salarié·es et prestataires, sont équilibrés sur le plan financier (600 personnes par an). Il en est de même pour les séminaires et les locations de salle pour des entreprises. Mais les visites individuelles (9 € l’entrée, 7000 personnes par an) sont déficitaires, de même que l’accueil de groupes scolaires ou associatifs (environ 200 par an).
L’édition représente maintenant 60 % du chiffre d’affaires (300 titres au catalogue, 380 000 livres vendus en 2020), la revue 35 %, le centre seulement 5 %.

Le passage d’association en SCOP

Un moment important de la vie de Terre Vivante est, en 2005, le passage de la forme associative à celle de société coopérative (SCOP). C’est le résultat d’une longue discussion lancée par le directeur de l’époque. L’association est gérée par des administrat·rices peu disponibles car vivant loin de Terre vivante, et le nombre d’adhérent·es est sans commune mesure avec la dimension prise par l’activité.
Un des intérêts de l’association est la possibilité d’avoir des subventions, mais hormis quelques demandes spécifiques d’investissements, Terre vivante n’a jamais cherché à bénéficier de subventions de fonctionnement.
De fait, Terre vivante fonctionne comme une entreprise classique. Le passage en coopérative permet de conserver l’objet et les valeurs de l’association, à savoir diffuser des moyens de mettre plus d’écologie dans la vie de tous les jours.
L’ensemble des salarié.es sont devenues associé·es au sein d’une SCOP, ce qui leur permet de participer aux assemblées générales selon le principe « une personne, une voix » quel que soit l’apport financier de chacun·e. La plupart des administrat·rices de l’époque ont acquis le statut d’associé extérieur qui permet à des personnes non salarié·es d’entrer dans le capital de la coopérative.
Pour Christine Corbet qui nous a reçus durant l’été 2021, « le changement de statut a eu comme effet de rendre les salarié·es plus intéressé·es par la gestion des activités ».
Concrètement, 7 personnes sont élues au Conseil d’administration. La durée d’un mandat est de six ans, renouvelable par tiers tous les deux ans. Ce conseil d’administration se réunit plusieurs fois dans l’année pour discuter du suivi financier des activités et proposer des changements d’orientation si nécessaire. Des réunions thématiques se tiennent selon les questions que traitent le conseil d’administration. Il y en a eu 7 en 2020 abordant les questions de budget, l’étude des projets et le financement dédié, les propositions de services auprès d’autres structures… Pour compléter, des « cafés Scop » sont mis en place pour discuter de points précis proposés par le conseil d’administration ou par les salarié·es.
En plus de cela, un séminaire spécifique s’est tenu en 2020, avec tous les salarié·es, pour définir la stratégie sur 5 ans (2021-2026). Chaque personne a exprimé ses points de vue concernant le court et moyen terme de la vie de Terre Vivante (7).
Le passage en coopérative a été l’occasion de discuter de l’échelle des salaires. Lors d’une assemblée générale en juin 2016, il a été décidé de réduire l’écart entre ceux-ci d’un facteur 7 à 4.
Pour Christine Corbet « cette transformation permettait aussi de diffuser le message implicite qu’économie et écologie n’étaient pas forcément antinomiques, que l’écologie n’était pas réservée au champ du bénévolat et que le champ économique était aussi une voie possible pour faire avancer la protection de l’environnement au niveau social ».

Michel Bernard

Adresse : SCOP Terre Vivante, chemin de Raud, 38710 Mens, tél : 04 76 34 80 80, https://www.terrevivante.org

(1) Son premier livre « L’assiette aux céréales », sorti en 1982, s’est vendu à plus de 45 000 exemplaires.
(2) notamment le Center for alternative technology, lywyngwerne Quarry, Pantperthog, Machynlleth, SY20 9AZ, Royaume-Uni, tél : 0044 1654 70 59 50, https://cat.org.uk. C’est le premier centre créé en Europe en 1973. Il emploie aujourd’hui une vingtaine de personnes et reçoit 100 000 visiteurs par an. Ökocentrum, Schwengiweg 12, CH-4438 Langenbruck, tél : 00 41 62 387 31 11, https://oekozentrum.ch, Genossenschaft Information Baubiologie, Gallerstrasse 28, CH-9230 Flawil / SG, tél : 0041 71 393 22 52, https://batirsain.org. (Voir article dans le n°183 de Silence). Il existe au Danemark, depuis 1983, le Nordic Folkecenter for renoweble energy, Kammersgaardsvej 16, Sdr. Ydby, DK-7760 Hurup Thy, rél : 0045 9795 6600, https://www.folkecenter.eu, que Silence a présenté dans son numéro 148.
(3) La société Sittelle, qui enregistre et commercialise des disques de chants d’oiseaux y a été présente de 1985 à 2009. Elle a été présentée dans le hors-série de Silence sur les Métiers de l’Ecologie, en 1993. Dans les années 2010, un important groupe de transition s’y est développé qui a organisé les premières rencontres de la transition. Voir « L’expérience du Trièves », Pierre Bertrand, Silence n°386, janvier 2011.
(4) C’est moins vrai aujourd’hui avec le développement du vélo électrique.
(5) De nombreux fournisseurs ont offert du matériel. À l’époque, la plupart étaient étrangers : les produits équivalents français n’existaient pas encore.
(6) Le biomimétisme consiste à développer des techniques qui reproduisent celles mises en œuvre par la nature.
(7) Cela a permis de faire ressortir des thèmes qui ont ensuite été traités par 5 groupes distincts avant un compte-rendu devant tout le monde, cette restitution a ensuite été consignée pour que le conseil d’administration puisse travailler sur une proposition de budget, laquelle est de nouveau discutée collectivement.

- Le Centre ouvre dès le dimanche 1er mai : Entrée gratuite pour tou⋅tes ce jour
- Le Centre est ouvert les week-ends et jours en fériés en mai – juin – septembre et tous les jours en juillet et août de 11h à 18h
Petite restauration bio sur place
- Tous les mercredis en juillet et août : les mercredis des enfants : ateliers de création artistique et jeux pour s’initier à la biodiversité et exercer ses sens. De 11h à 18h.
- Festival de contes du 15 au 17 juillet. Animations autour des contes : balades contes, contes en musique, siestes contées, etc. Festival organisé par l’association Les Trois Pommes.
- La Grande Lézarde, journée détente à Terre vivante le dimanche 21 août. Au programme : yoga, massages, coins lecture, chaises longues, contes nature et surtout… le grand concours de sieste ! De 10h à 18h.

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