Dossier Transports

Trains contre voitures

Michel Bernard

La volonté de remplacer l’avion par le train ne doit pas provoquer une ruée vers les seules lignes à grande vitesse. Car d’autres enjeux sont liés au train. En particulier la nécessité que le train puisse aussi remplacer la voiture en dehors des villes… en complément du vélo pour les derniers kilomètres.

Le train n’est pas un moyen de transport sans pollution. Si un avion émet entre 9 et 13 fois plus qu’un train, celui-ci n’est pas neutre. Mais contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce n’est pas parce qu’il va vite qu’un train consomme plus d’énergie ou émet plus de gaz à effet de serre. Selon la SNCF (1), une personne qui parcourt un kilomètre dans un train émet (en g d’équivalent CO2) :
* TGV Inoui (510 passagers par rame simple) 1,90
* TGV Ouigo (634 passagers par rame simple) 0,73
* TGV Lyria (train allant en Suisse) 2,05
* Intercités (grandes lignes hors TGV) 5,29
* TER (Trains express régionaux) 24,81
* Transilien (TER d’Île-de-France) 4,75
* Thalys (trains desservant Belgique et Pays-Bas) 6,68
* Eurostar (trains desservant la Grande-Bretagne) 6,64
* Alleo (trains desservant l’Allemagne) 7,20
Les différences s’expliquent pour les trains Intercités par la présence de locomotives diesel très polluantes (2). Un autre critère est le nombre d’arrêts sur une ligne : plus le train doit ralentir, s’arrêter, redémarrer, et plus il pollue. Enfin, sur un même trajet, compte également le nombre de passagers moyens transportés : le TGV Lyria pollue plus car il offre des prestations plus luxueuses, plus de surface par passager, donc moins de personnes. Enfin, le relief joue également.

Le train contre la voiture

Le train, s’il disposait d’un réseau dense, d’une fréquence importante et régulière, avec toutes les régions correctement desservies (tout le monde habitant à moins de 20 km d’une gare), s’il fonctionnait comme un service public (même prix par kilomètre quelle que soit la destination), si en plus, un service de bus à la demande permettait de compléter l’offre, voire des pistes cyclables pour permettre l’accès au train depuis les environs, alors le train pourrait devenir un concurrent sérieux à la voiture à la campagne. Totalement utopique ? Pas vraiment : c’est presque la situation en Suisse où les services postaux sont situés dans les gares et où les postiers conduisent des minibus qui permettent aux personnes de faire les derniers kilomètres en profitant de la tournée du facteur.
En Suisse, le nombre de voitures pour 1000 habitant·es est supérieur à celui de la France : 541 contre 475 en France. Pourtant les trains suisses sont plus silencieux que les trains français, plus confortables et les conduct·rices s’excusent dès qu’il y a plus d’une minute de retard. Mais on ne peut pas tirer de conclusion générale de ce chiffre sans prendre en compte d’autres facteurs : le niveau de richesse du pays qui influe sur le nombre de véhicules par personne, la fréquence des trains et leur densité, etc. En Europe, les extrêmes sont le Liechtenstein avec 780 et la Macédoine avec 210, pour une moyenne de 530. (3)

Pas assez de réseau ferré

Mettre les automobilistes dans le train ne constitue pas un changement du même ordre de grandeur que de supprimer les vols intérieurs. Selon les statistiques du gouvernement (4), le nombre de voyageurs-kilomètres en voiture dépasse 720 milliards contre un peu plus de 100 milliards pour le train et seulement 23 milliards pour le transport aérien intérieur. Si le train peut absorber le transport aérien (+23%), il faudrait, pour absorber le transport en voiture, multiplier par 8 (100 + 720 = 820 milliards) sa capacité de transporter des personnes. Cela demanderait des investissements colossaux, non seulement financiers mais aussi en matières premières et en terrains à sacrifier. Même si l’on arrêtait les projets dispendieux (comme le Lyon-Turin), et que l’on récupérait les budgets consacrés à la route, cela semble aujourd’hui totalement impossible. La seule solution est une baisse de la mobilité. Ce qui engage un autre débat : comment sortir du « bougisme » actuel ?
MB

(1) https://www.oui.sncf/aide/calcul-des-emissions-de-co2-sur-votre-trajet-en-train
(2) La SNCF a longtemps produit son électricité en étant propriétaire de nombreux barrages hydrauliques. Elle a vendu ses barrages à Suez en 2004, mais a passé un contrat de fourniture avec le nouveau propriétaire. La SNCF ne dépend donc pas du nucléaire contrairement à ce que prétendent certaines associations mal informées.
(3) Selon https://ec.europa.eu, « Passenger cars in the UE ».
(4) Voir https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr, « Circulation et utilisation des véhicules routiers ».


Répartition des émissions de gaz à effet de serre par secteur :
* Transports 31 %
* Agriculture 19 %
* Résidentiel-tertiaire 18 %
* Industrie 18 %
* Énergie 10 %
* Déchets 3 %.

Répartition des émissions de gaz à effet de serre par mode de transports internes à la France (2019)
en millions % du % de évolution
de tonnes secteur l’ensemble sur 20 ans
équivalent CO2 transport des émissions

* Voitures particulières 69,5 51 % 16 % +10 %
* Poids lourds et bus 30,0 22 % 7 % +11 %
* Véhicules utilitaires 25,9 19 % 6 %
* Transport aérien intérieur 4,3 6 % 1 %
* Deux roues + navires + train 1,5 2 % 0,3 %
(source : https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/circulation-et-utilisation-des-vehicules-routiers)


Kilomètres de voies ferrés par millions d’habitant·es en Europe
Pays Km de rail Evolution Population km/million
(2019) depuis 2010 (2021) d’habitant·es
Allemagne 67 400 - 83,1 811
Autriche 6 123 8,9 688
Belgique 3 602 11,5 313
Croatie 3 945 - 4,0 986
Danemark 2667 5,8 460
Espagne 21 988 + 47,4 464
Finlande 8 552 - 5,5 1555
France 27 483 - 67,4 408
Hongrie 11 345 + 9,7 1170
Italie 24 500 + 59,2 413
Lettonie 2217 + 1,9 1167
Luxembourg 628 + 0,6 1047
Macédoine 907 - 2,0 453
Pays-Bas 2 809 17,5 161
Pologne 37 317 - 37,8 987
République tchèque 15 418 - 10,7 1441
Roumanie 20 079 - 19,2 1046
Royaume-Uni 31 780 + 67,0 474
Serbie 5 374 - 6,9 779
Slovénie 2 178 - 2,1 1037
Suède 15 542 + 10,4 1495
Suisse 5 124 8,7 589

Le nombre de kilomètres augmente dans une dizaine de pays. Il baisse dans une quinzaine d’entre eux. La Hongrie qui a déjà une bonne densité de chemins de fer est l’un des pays qui ouvre le plus de nouvelles lignes.
En France, il y avait 30 318 km en 2013 contre 27 483 aujourd’hui, donc nous sommes encore en baisse : on ferme plus de petites lignes qu’on en ouvre à grande vitesse.
La Suisse n’a pas forcément un grand nombre de kilomètres par personne, mais sa densité de population est double de celle de la France.
Enfin, il ne suffit pas d’avoir beaucoup de lignes, pour garantir une qualité de transport, il faut en plus que circulent un grand nombre de trains. On peut avoir un bon réseau avec peu de trains.

Pour en savoir plus :
La carte évolutive des chemins de fer de 1820 à aujourd’hui
Antoine Beyer, « Grandeur, décadence et possible renouveau du réseau ferroviaire secondaire français », Géoconfluences, novembre 2021.

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