Article Environnement

Résistance contre une mine de lithium à ciel ouvert

Paloma Ruiz

Dans le cadre de la venue d’une délégation zapatiste au Portugal en août 2021, une membre du collectif des médias libres Compas arriba qui ont suivi cette tournée nous fait découvrir la lutte des populations locales de la région de Barroso, dans le nord du pays, contre un projet de mine de lithium géante à ciel ouvert.

Parmi les divers territoires parcourus pour La Gira Por La Vida engagée par les Zapatistes et le Congrès national indigène (CNI), nous avons eu la chance, en empruntant les routes sinueuses des montagnes bleues du nord du Portugal, de rencontrer les luttes de la région de Barroso. Les habitants et habitantes s’y sont organisé·es pour résister à plusieurs projets de mines qui ravageraient le territoire. Notamment un mégaprojet de 593 hectares à Covas do Barroso.

Une région préservée mais convoitée

La région est pourtant considérée par la FAO, l’Agence des Nations-Unies pour l’agriculture et l’alimentation, comme faisant partie du Patrimoine Agricole Mondial, avec, « une alternance de zones agricoles, sylvicoles et pastorales utilisant peu d’intrants, et de zones environnementales encore intactes ». (1)
Cependant la demande grandissante en lithium – qui pourrait se multiplier par trois d’ici 2025, impulsée par la fabrication de batteries de voitures électriques – légitime et justifie le soutien de l’Europe aux politiques extractivistes. La chasse à l’or blanc par les multinationales qui s’enrichissent en creusant les sols du monde entier, se poursuit à l’insu des populations. Cette quête s’avère être une conquête des territoires : planification des occupations, prospection des pillages des ressources, en somme une politique coloniale déjà bien éprouvée. Au Portugal, suite aux appels à projets adressés par l’État aux entreprises minières étrangères, les pedidos, ou demandes contractuelles, se multiplient depuis 2017 et recouvrent aujourd’hui plus d’un tiers du territoire.
La région intéresse les multinationales extractivistes depuis plusieurs décennies et est convoitée pour son lithium depuis le début des années 2000. Le mégaprojet de Covas do Barroso, porté par Savannah Ressources, est le plus avancé. L’APA (Agence Portugaise de l’Environnement) doit se prononcer dans les semaines à venir (à actualiser) pour l’ouverture effective de la mine. Le projet contiendrait trois mines de lithium, de feldspath et de quartz à ciel ouvert, une infrastructure de lessivage et à terme un terril de 194 mètres de hauteur. Situé seulement à quelques mètres des premières habitations, il promet un désastre écologique, social, économique et politique.
Les entreprises et le gouvernement font mine de soutenir la transition énergétique et déploient, en connivence avec l’Union européenne, l’étendard illusoire du capitalisme vert. Le détournement et la pollution des eaux (2), ainsi que l’appauvrissement en profondeur des sols qui seraient induits par l’exploitation, dérègleraient durablement l’écosystème. Et cela alors même que l’exploitation raisonnée des terres par les agricult·rices et les éleveu·ses, développée autour de l’idée de défense et de préservation, de cuidado (soin), rend possible l’autosuffisance et permet la pérennité d’une économie locale. Ces pratiques puisent dans la tradition des baldios ou terres communales, qui constituent le socle du système politique, économique et social, et qui déterminent leurs résistances.
Le récit officiel est millimétré : de la manipulation des médias aux stratégies des grandes entreprises et du gouvernement qui promettent la création d’un bassin d’emplois dans une région qui se désertifie, tout est fait pour décourager les résistances.

La résistance et la solidarité s’organisent

Les résistances se sont organisées peu à peu, au gré de la découverte et de la recherche des informations concernant le projet. Les habitant·es se sont solidarisé·es au sein de différentes associations contre chaque projet de mine et ont constitué un mouvement commun, connu comme « mouvement anti mines ». La constitution d’associations leurs permet entre autres d’avoir la légitimité juridique de se renseigner auprès d’institutions comme l’APA (Agência Portuguesa do Ambiente) ou le gouvernement. Les collectifs en résistance ont organisé le mouvement avec des marches locales et nationales, des manifestations dans les villes, des plateforme d’information sur les réseaux sociaux, etc.
Le campement d’août 2021, où nous les avons rencontré pour la première fois, a été pour eux une étape importante, puisqu’il a permis de créer des réseaux de partage et de solidarité au niveau international, en particulier entre la Galice (espagnole) et la région de Barroso, qui sont frontalières.
Alors que des délégations de l’EZLN et du Congrès National Indigène (Mexique) rendaient visite aux peuples en lutte et rebaptisaient l’Europe « Slumil K’ajxemk’op », Terre Insoumise (3), des militant·es internationalistes venu·es du Mexique, de Suisse, d’Espagne et de France ont rejoint la lutte de Covas le temps d’un campement. À l’initiative de l’association Todos em Defensa do Covas do Barroso, la population a accueilli les différents mouvements anti-mines du Portugal et d’Espagne pour cinq jours de rencontres. Les temps partagés ont permis d’exprimer les inquiétudes communes, et ont engagé des discussions autour des expériences et des pratiques de lutte. Ces échanges ont par ailleurs mis en lumière les similitudes des stratégies adoptées par les grands projets sur les différents territoires (les projets miniers liés au lithium prolifèrent, de la Galice à l’Andalousie, de l’Estrémadure aux Asturies, de la Laponie à la Serbie, etc.), et la nécessité d’un réseau d’entraide internationaliste. Au lendemain de la COP 26 à Glasgow et de la dissolution de l’Assemblée nationale portugaise qui constitue une crise politique majeure pour le pays, Barroso creuse les sillons de l’opposition.

Paloma Ruiz

(1) Voir sur https://www.fao.org/giahs, « Barroso Agro-Sylvo-Pastral System, Portugal ».
(2) La pollution est inévitable, puisque le lithium ne se trouve pas à l’état naturel comme métal. Il doit subir une transformation qui est encore plus complexe pour arriver à la qualité requise pour la construction des batteries des voitures. Par exemple, pour les mines à base de saumure lithinifère (Chili, Argentine) il s’agit d’une calcination et d’une « digestion » à l’acide. Ces infrastructures, pour passer à cette qualité de lithium, prévoient le détournement des eaux locales pour leur utilisation. Et après, que devient l’eau polluée ? On peut s’imaginer le pire.
(3) Voir « Zapatistes, envahissez-nous ! », Silence, n°505, p.32.

Le collectif Todos em Defensa do Covas do Barroso (Tous ensemble pour la défense de Covas do Barroso) n’est malheureusement joignable que sur les « réseaux sociaux » de l’internet, au nom de « UnidosemdefesadeCovasdoBarroso ».


Pour aller plus loin :

- Dossier de Silence n°445, mai 2016, « Extraction minière, ni ici, ni ailleurs ! »
- Article de Silence n° 473, décembre 2018, « La réouverture de mines en France plombée pour l’instant ».

En Serbie aussi, la résistance à une mine de lithium s’organise Dans la vallée de Jadar, à l’ouest de la Serbie, l’entreprise anglo-autrichienne Rio Tinto entretien le projet de répondre à 10% de la demande mondiale en lithium, en forant à 600 mètres de profondeur ! Une ressource dont l’utilisation explose ces dernières années, puisque le lithium est nécessaire pour fabriquer les batteries des smartphones et des voitures électriques, entre autres. En tout, 22 villages et 19 000 habitant·es, réparti·es sur presque 300 km2, sont menacé·es par l’installation de Rio Tinto, une entreprise déjà réputée pour ses crimes en Papouasie, en Australie et condamnée pour la corruption de dirigeants en Chine. Des forêts anciennes seraient abattues. L’entreprise projette d’utiliser 110 tonnes d’explosifs par mois et 20 000 m3 d’acide sulfurique par an pour extraire le lithium du minéral récupéré. Sans compter les 25 000 m3 d’eaux usées et salées qui seraient rejetées dans la Drina, transformant l’écosystème de toute la région et entraînant la désertification des sols. Depuis quatre ans, des personnes se lèvent pour protester contre le projet. Les opposants et les opposantes ont d’abord mobilisé leur concitoyen·nes en faisant du porte-à-porte dans les villages de la vallée de Jadar, se sont appliqué·es à démonter systématiquement les machines qui étaient amenées par l’entreprise, ont organisé des manifestations de masse. Pourtant, le projet a été déclaré d’utilité publique avant même des études environnementales, et les responsables politiques locaux l’ont inclus sans négociation dans leurs projets d’aménagement. À Loznica, près de la vallée du Jadar où doit s’installer Rio Tinto, ainsi qu’à Belgrade, se sont tenues plusieurs grandes marches directement dirigées contre le projet. (1) Puis, en novembre et en décembre 2021, trois samedis consécutifs de blocage du pays ont été déterminants. La mobilisation s’opposait en particulier à une loi qui vise à faciliter les expropriations dans le cadre des grands projets industriels. Les Serbes ont déferlé par dizaines de milliers sur les grands axes, forçant les barrages policiers la première semaine, subissant la seconde semaine l’attaque de groupes violents qu’on suppose envoyés par le gouvernement. Le 8 décembre, le président serbe Vucic acceptait de renvoyer la loi sur les expropriations au Parlement. Fort de cette première victoire, le peuple a repris la rue le 11 décembre, bloquant à nouveau les villes de Belgrade, Nich et Novi Sad pour dénoncer la violence et la corruption du gouvernement. La semaine suivante, le projet de Rio Tinto était suspendu par les autorités locales. Le 23 décembre, Rio Tinto annonçait la suspension du projet.

Melaine Fanouillère
Auteur du podcast L’actu des oublié·es sur https://audioblog.arteradio.com. L’Actu des Oublié·es raconte les invisibles, les précaires, les opprimé·es pris·es dans l’œil du cyclone néolibéral, leur résistance quotidienne, leurs expériences sociales et comment elles sèment les graines des pratiques futures.

(1) En parallèle des milliers de personnes sont sorties dans les rues pour dénoncer la pollution de l’air : « Belgrade est la capitale la plus polluée d’Europe. Au moins 15 villes de Serbie sont plus polluées que la plus polluée de l’Union européenne. 15 000 personnes sont mortes à cause de la pollution. Cela signifie 50 décès par jour, soit plus que pour le COVID-19 », dénonçait Bojan Simisic, activiste de l’ONG Eco Guard à Euronews.

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