Chronique Actions contre la guerre Paix et non-violence

Invasion militaire de l’Ukraine : faire entendre une voix non-violente

Guillaume Gamblin

Cet entretien a été réalisé le 28 février 2022, quelques jours après l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Alain Refalo, enseignant, militant de la non-violence, est l’auteur du livre Démilitariser la France, plaidoyer pour un pays acteur de paix, (Chronique sociale, 2022).

Silence : Suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie déclenchée le 24 février 2022, de quels moyens alternatifs aux moyens militaires la communauté internationale dispose-t-elle pour réagir ?
Alain Refalo : Il est important de ne pas ajouter de la guerre à la guerre. Je remarque que, pour l’heure, la communauté internationale exclut une réaction militaire, tout en soutenant la résistance armée. Le risque est l’extension du conflit en dehors de l’Ukraine et un nouvel embrasement de l’Europe. Les sanctions économiques et financières qui ont été décidées vont dans le bon sens. Personne ne peut dire aujourd’hui si elles seront suffisantes. Ce qui est sûr, c’est qu’elles contribueront à affaiblir durablement la Russie. Et peut-être à susciter une mobilisation de la société civile russe.
Est-il possible d’affirmer une position qui soit à la fois anti-invasion russe et anti-OTAN ?
La France fait partie de l’organisation militaire intégrée de l’OTAN. Elle n’est donc pas totalement neutre. Pour autant, nous, citoyen·nes, pouvons faire entendre une autre voix. Dénoncer l’invasion russe ne signifie pas se ranger derrière les positions de l’OTAN, qui a certainement commis des erreurs ces dernières années qui ont fourni des prétextes aux volontés expansionnistes de la Russie. Après la chute du mur de Berlin, l’OTAN n’avait plus vraiment de raison d’être. Il appartenait aux Européen·nes de prendre en main leur sécurité commune. L’avenir n’est plus dans la confrontation d’un bloc contre un autre bloc, mais dans la recherche d’une coopération internationale pour faire face ensemble aux défis climatiques, économiques et sécuritaires.
Plaider contre la militarisation de la France et contre l’arme nucléaire française est-il réaliste dans un contexte si tendu ? Alors que la Russie menace d’utiliser l’arme nucléaire contre qui s’opposerait à son attaque, l’arme nucléaire nous rend-elle plus dissuasi·ves ? Nous protège-t-elle ?
Plus que jamais, l’arme nucléaire que nous possédons ne nous est d’aucune utilité. Elle ne peut pas servir à notre défense puisque son utilisation ou la menace de son utilisation face à la Russie nous exposerait à une destruction certaine et totale, ou à la menace de cette destruction. Nous sommes bien dissuadé·es de tenter de dissuader. La France doit signer le Traité d’Interdiction des Armes Nucléaires (TIAN) afin de contribuer à la paix dans le monde, qui se base aussi sur le désarmement nucléaire. En renonçant à l’arme nucléaire, la France enverrait un message important au monde et serait mieux à même d’être entendue sur la scène internationale.
Comment affirmer une autre défense dans ce contexte ? En Ukraine, une défense civile a-t-elle un sens ?
À cette heure, les Ukrainien·nes privilégient la défense militaire. Mais la disproportion des forces en présence ne laisse que peu d’espoir quant à l’issue de cette défense. Pour autant, une fois le pays occupé par les troupes russes, la société civile n’est pas totalement sans défense. Une résistance civile basée sur des actions de non-collaboration avec l’occupant reste possible. N’oublions pas que les Ukrainiens ont une expérience dans ce domaine. Mais les seul·es qui peuvent le décider sont les Ukrainien·nes.
Pour ce qui concerne la France, il parait illusoire de penser que la défense armée nous protège de toutes les menaces. Ce qui est certain, c’est qu’elle ne nous protège aucunement du terrorisme, des pandémies présentes et à venir, des conséquences du réchauffement climatique, et de la montée des idéologies extrémistes dans notre pays. Il faut chercher les voies d’une défense civile non armée où la population civile ont un rôle important à jouer pour faire face à ces menaces réelles. Les frontières à défendre ne sont plus essentiellement géographiques, mais elles sont surtout celles de la démocratie.
Quel discours non-violent alternatif à la riposte militaire est-il possible dans un tel contexte sans être « munichois » ?
Malgré l’émotion engendrée par l’invasion russe, propice à toutes les surenchères guerrières, j’observe une volonté de retenue militaire, ce qui est déjà un progrès. Pour autant, on ne peut accepter le diktat russe. Les sanctions économiques et financières font partie de la panoplie des ripostes non armées. Il faut espérer, à terme, un réveil et une mobilisation de la société civile russe qui détient certainement l’une des clés pour faire tomber l’autocrate Poutine. La non-violence, chez nous, si elle critique les choix militaires qui ne permettront pas de trouver une solution politique, doit pouvoir s’exprimer notamment par une solidarité active avec les sociétés civiles ukrainiennes et russes. Il appartient aux citoyen·nes de tous les pays européens concernés par cette crise de se réapproprier les questions de défense et de sécurité toujours confinées dans des petits cercles spécialisés et toujours envisagées selon les intérêts des États. Les peuples ont aussi leur mot à dire. 
Propos recueillis par Guillaume Gamblin

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