Article Alternatives

Ecoquartier de Bonne

Michel Bernard

Rares sont les écoquartiers qui atteignent à la fois un bon résultat écologique et un bon équilibre social. Si tout n’est pas parfait dans ce quartier de Grenoble, les résultats sont quand même appréciables.

La ville de Grenoble a profité du départ de l’armée dans une caserne du centre-ville, pour y mener un ambitieux projet d’écoquartier. Elle a mis en place une zone d’aménagement concerté sur une surface de 16 hectares dont
8,5 hectares de l’ancienne caserne, le reste étant avant un parc public de 5 hectares. Les premières études remontent à 2000. Les chantiers s’étalent de 2005 à 2016. Le budget aura été de 39 millions d’euros. Les premiers logements sont habités en 2008, année de l’ouverture de l’école construite en ossature bois (16 classes et un restaurant scolaire). Le pilotage a été fait par la ville alors gérée par Michel Destot, avec le soutien de l’agglomération (La Métro) et de la Région, les trois niveaux étant alors gérés par le PS.

Un quartier construit autour d’un vaste espace public

Lorsqu’on y arrive aujourd’hui, plusieurs choses sautent aux yeux : les parcs centraux sont très fréquentés. Il y a des enfants qui jouent partout, avec les parents assis dans l’entourage. Il y a des terrasses de bars copieusement occupées. Tous les âges sont présents, il y a de nombreuses personnes handicapées car tout est facilement accessible. Il n’y a pas de voitures au cœur des îlots, seulement des piétons et de très nombreux vélos. Moins agréable, il y a sur le côté d’un des parcs, un immense centre commercial.
Il y a donc au centre de l’opération 3,5 hectares d’espaces verts divisés en trois parties :
- une partie de l’ancien parc est restée assez sauvage et est peu fréquentée,
- l’ancienne cour d’honneur de la caserne est devenue une esplanade avec des plans d’eau, elle est entourée sur trois côtés par les anciens bâtiments de la caserne rénovés, d’où une économie de matériaux.
- un nouvel espace, le Jardin des Vallons, comporte des plans d’eau, des jeux pour les enfants, des cheminements. D’un côté, il y a le centre commercial, sur un autre côté un bâtiment de la caserne sous lequel on peut passer pour rejoindre l’esplanade, et sur les deux derniers côtés, de nombreux logements avec quelques commerces et le cinéma en rez-de-chaussée. Il y a 230 logements dans 4 îlots au sud, 380 autres dans 3 îlots à l’est et trois autres disséminés ailleurs, pour un total de 900 logements dont 38 % sociaux soit 2400 habitant·es.
La densité de logement est la même que celle des quartiers environnants… mais avec un tout autre aspect. Les parcs sont ouverts à tout le monde et des personnes viennent des quartiers voisins pour en profiter.

Des ambitions réelles

La ville a mis en place une équipe composée de personnes d’Enertech, de l’Agence locale de l’énergie et de Terre-Eco, bureau d’études autour du label HQE.
Le projet a appliqué la Réglementation thermique 2012 dix ans avant son entrée en vigueur.
La ville a bien pensé les questions sociales : outre les logements sociaux, on trouve une résidence universitaire, un établissement pour personnes âgées (80 places) qui voisinent avec une résidence hôtelière (104 studios) et un hôtel de luxe.
Il y a de bonnes connexions avec les pistes cyclables et les transports en commun (bus et tramways). Il y a une immense zone commerciale (53 magasins), un cinéma d’art et d’essai (3 salles, 520 places), des bureaux (5 000 m²). L’immeuble de bureaux Bonne Energie est à énergie positive. Il produit plus d’énergie qu’il n’en a besoin : chauffage par géothermie, toiture solaire, forte isolation par l’extérieur. Le centre commercial n’est ni chauffé, ni climatisé : il est bien isolé et seules les personnes qui y passent en assurent le chauffage. La récupération des eaux de pluie permet d’arroser les espaces verts.
Tout ceci fait que le projet reçoit des prix avant même d’être construit : Grand prix national écoquartier en 2009 et label Ecoquartier en 2013… Peut-être un peu tôt pour juger de sa réussite sociale et écologique (1). Car tout n’a pas été parfait.

Défi thermique non atteint

Le projet prévoyait une performance énergétique de 42,5 kWh/m2/an. En 2011 une étude d’Enertech, un bureau d’étude spécialisé dans l’optimisation énergétique des bâtiments, portant sur 438 logements dont 40 % en locatif social, habités depuis 2008, montre que l’on a de 5 à 70 % de consommation énergétique en plus. Pour son directeur, Olivier Sidler, il y a d’abord des malfaçons lors de la construction, notamment dans la gestion de l’étanchéité des bâtiments.
Il y a aussi que les locataires n’acceptent pas que le chauffage soit bloqué à un niveau assez bas (19°C)… et nombre d’entre eux se sont équipés de radiateurs électriques ! Sur le papier, vivre à 19°C dans un bâtiment bien isolé est considéré comme la normale, mais de nombreuses personnes estiment que c’est trop froid.
Le centre commercial est équipé en toitures de 1 000 m² de photopiles et de capteurs solaires thermiques qui devaient couvrir la moitié des besoins en eau chaude sanitaire. Mais il y a plus de consommation d’eau chaude que prévue et donc le complément, assuré par une cogénération gaz et électricité, est plus sollicité.
Malgré cela, les résultats sont meilleurs que dans les logements neufs réalisés avant dans la ville : pratiquement, les charges sont deux fois moins élevées que dans le logement social antérieur.

Limites de la concertation

La ville se vante d’avoir fait de nombreuses concertations permettant d’associer les citoyen·nes et les institutions au projet. Mais ce sont rarement les habitant·es actuel·les qui ont assisté aux différentes réunions.
Les habitant·es ont donc découvert en arrivant les innovations… et toutes ne sont pas très appréciées. Ainsi, certaines façades des logements sociaux étaient végétalisées (lierre) pour éviter la surchauffe en été… mais la végétation en façade favorise l’accès des insectes au logement et certain.es ont eu recours aux pesticides, quand ce n’est pas carrément la destruction du végétal. Lors de notre passage, nous n’avons vu aucune façade végétalisée : elles ont été supprimées.
Le lino écologique utilisé pour certains sols nécessite « un lavage à sec, avec de l’huile de lin ou de la farine de bois » selon les recommandations du bailleur. La plupart ne le font pas, se contentant de laver à l’eau. Certains ne supportent pas l’odeur de colle et mettent le paquet sur les détergents, ce qui détruit le lino !
Il y a des interrupteurs coupeurs de veille dans le salon… c’est une source de confusion qui provoque sans cesse des arrêts d’appareils électriques non désirés.
La ventilation double-flux fait un bruit continu, nécessite un entretien que la plupart ne font pas. D’où l’arrêt de cette ventilation. Cela entraîne le choix d’ouvrir les fenêtres pour renouveler l’air, ce qui augmente les besoins de chauffage.
Lors d’une rencontre, la régie affirme que les dysfonctionnements proviennent des habitant.es qui ne font pas ce qu’on leur demande. D’où la réplique d’un habitant : « alors c’est nous le problème ? ».

Limites écologiques

Le projet prévoyait une économie de place pour la voiture de 40 %. Or, malgré la densité des transports en commun disponibles, le choix a été fait de maintenir un garage par logement. Seuls les bureaux sont sans garages. 480 places de voiture sont disponibles en sous-sol pour le seul centre commercial.
Ce n’est pas parce qu’elles sont en sous-sol que les voitures ne sont pas là.
La commune a été trop frileuse sur la question et très vite, le manque de garages pour vélos a été criant et l’espace qui leur est alloué a dû être redimensionné.
Le centre commercial affiche certes de bons critères énergétiques… mais ne comporte aucun magasin local, uniquement des franchises que l’on trouve partout. Autant dire qu’il s’y vend des produits qui viennent de partout dans le monde et donc avec une empreinte énergétique énorme. Le centre commercial a de fait éliminé tout commerce local dans le voisinage. Une énorme erreur de conception… qui s’explique par l’apport de financement du centre commercial.
Alors que les espaces collectifs sont grands, nous n’avons vu aucun jardin partagé, ni aucune zone de compostage.
Cela reste une belle réussite sociale et c’est mieux que la plupart des écoquartiers que nous connaissons. Mais on est encore loin d’une démarche écologique.

Michel Bernard

Pour aller plus loin

  • * « La vie en écoquartier : ‘C’est beau, mais y a plein de bestioles’ », Vincent Renauld, Rue89 Lyon, 18 novembre 2016
  • * "À Grenoble, les ratés du premier écoquartier français, Benoît Pavan, Le Monde, 9 novembre 2011, ou https://benoitpavan.files.wordpress.com
  • * « À Grenoble, la caserne de Bonne n’a pas que du bon », François Carrel, Libération, 2 avril 2012

(1) La revue Le Postillon a révélé dans un article de décembre 2009, que ces prix ont été attribués par un jury dans lequel sont présentes des entreprises très peu écologistes : GDF, Véolia, EDF, La Lyonnaise des Eaux, la Caisse des Dépôts et de diverses fédérations du BTP et de la promotion immobilière, mais aussi le président de l’Association des Maires des grandes villes de France… et Michel Destot, maire de Grenoble, Stéphane Siebert, et Philippe de Longevialle, adjoints à la ville de Grenoble, Yves Lyon, architecte travaillant pour la ville de Grenoble, etc.

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