La forte diminution des vols sur les lignes commerciales suite à la pandémie, a provoqué une augmentation des vols sur des jets privés. Les très riches ne veulent pas se passer de l’avion et cela se traduit dans les chiffres :
* Alors que le trafic aérien commercial européen a baissé de 96 % au moment du premier confinement d’avril 2020, le trafic privé n’a baissé que de 70 %.
* Dès août 2020, le trafic privé avait retrouvé son niveau d’avant la crise sanitaire alors que 65 % des vols commerciaux étaient encore supprimés.
* Fin 2021, le trafic privé a dépassé de 20 % la situation d’avant le premier confinement.
Selon une enquête (1) seuls 21 % des personnes utilisant des jets privés ont dit avoir ralenti l’usage de l’avion depuis le début de la pandémie. Ce sont surtout les hommes d’affaires qui ont eu recours aux visioconférences.
Le nombre de ces vols en Europe en 2021 a atteint 4,2 millions dont 650 000 au départ de la France.
Une pollution énorme
Un jet privé émet entre 6 et 14 fois plus de gaz à effet de serre par passager qu’un avion de ligne. Cela va de 680 à 1700 g/passager/par kilomètre contre 120 à 142 pour un vol commercial.
Ces jets privés, pour la plupart, ne se posent pas sur l’un des 120 aéroports français mais sur les 370 aérodromes dont une vingtaine pour la seule périphérie de Paris. L’explosion est telle que la pénurie de jets guette : la construction de nouveaux avions s’est accélérée. Mais cela demande un délai : les avions commandés au début de la crise sanitaire arriveront seulement en 2024. Un jet privé coûte au minimum 1,3 million d’euros (Cessna de 8 places) auquel il faut ajouter de l’ordre d’un million par an pour ses frais de fonctionnement. Il n’y a pas de limite financière à l’autre extrémité : c’est à qui aura l’avion le plus luxueux (plusieurs dizaines de millions d’euros).
Déplacements de courtes distances
Selon les données officielles, en France, la moitié de ces vols parcourent une distance de moins de 500 km. 14 % font même moins de 200 km ! En moyenne, les vols privés ont une distance moitié moindre que celle des vols commerciaux. Or plus les vols sont courts, plus la pollution au kilomètre est importante. L’étude réalisée par l’association Transport & Environnement en mai 2021 (voir note 1), révèle que ces avions sont exemptés du système européen de tarification du carbone. Ils ne paient aucune taxe sur le kérosène. Pour le moment, seule la Suisse a introduit une taxe en 2021 (2).
Or les émissions de gaz à effet de serre de ces jets privés représentent en Europe 41 % de l’empreinte écologique des 1 % les plus riches ! 45 % des vols concernent le déplacement de la famille d’une résidence à l’autre. Cela se traduit par une augmentation des vols en été. Seuls 35 % concernent des voyages d’affaires. Les autres usages sont divers : déplacements sportifs, sanitaires, etc.
Les alternatives possibles
Selon une étude de l’Association européenne de l’aviation d’affaires (3), il existe une alternative aérienne à ces vols privés dans 72 % des cas. Et comme on l’a vu précédemment, il existe une alternative ferroviaire dans la plupart des cas également. Le vol le plus courant est Paris-Genève (409 km) alors qu’il existe un train qui permet de rejoindre les deux ville en 2h22. Vient ensuite Paris-Londres (344 km) alors que le train permet de faire le trajet en 3h44. Rome-Milan (485 km) peut se faire en train en 1h11. Madrid-Barcelone (483 km) ne demande que 1h31. Zurich-Paris (482 km) 3h05. Genève-Zurich (230 km) 2h08, etc. Les villes les plus concernées par les vols privés sont en premier Londres, puis Paris.
Les émissions de gaz à effet de serre par les jets privés sont le fait d’abord de la Grande-Bretagne (19,2 % du total européen) devant la France (16,5%), l’Italie (10,2%), l’Allemagne (9,9%), l’Espagne (9,2%), la Suisse (7,3%). Or tous ces pays (au total 72 % des émissions) disposent d’un réseau ferré de qualité. Les jets qui décollent en France polluent autant que ceux qui décollent des 21 pays les moins riches du monde.
C’est donc bien un choix de statut socio-économique : on ne se mélange pas avec le peuple !
Certaines associations militent pour la mise en place de taxes. Celles-ci peuvent aider à augmenter les recettes de l’État, mais ne sont pas efficaces. L’exemple des voitures est parlant : malgré la mise en place d’importants malus sur les voitures de luxe, celles-ci ne se sont jamais aussi bien vendues. Quand on est riche, on aime montrer que l’on a les moyens.
Il s’agit donc bien de prendre des mesures autres :
* interdire la fabrication d’avions qui consomment au-delà d’un certain seuil et prévoir que ce seuil descende régulièrement (comme cela se fait pour l’électroménager).
* interdire les vols de moins d’une certaine distance et prévoir que cette distance augmente avec le temps (comme cela commence à être fait pour l’aviation commerciale).
Il faut aussi s’interroger sur ce qui permet à des personnes de disposer de richesses aussi disproportionnées.
Agir sur le terrain ?
Le collectif citoyen Stop aux jets privés s’est mis en place à Bordeaux pour lutter contre l’extension de l’aérodrome d’Artigues-de-Lussac (Gironde). Cet aérodrome reçoit la visite de riches touristes qui viennent visiter les vignobles du Bordelais. Le 14 décembre 2021, le collectif obtenait gain de cause : le directeur de la communauté d’agglomération annonçait dans Sud-ouest « renoncer à l’extension de la piste et aux aménagements qui auraient permis de développer l’aviation d’affaires ». Mais les militant·es restent dubitati·ves car les statuts du syndicat intercommunal de gestion demeurent « le développement du tourisme et du transport aérien sur le territoire » (4). Des statuts en totale contradiction avec les engagements pris par la France en faveur du climat. A quand des textes de lois pour obliger ce genre de structures à ôter de leur buts tout projet de croissance ?
MB
(1) Voir www.transportenvironment.org, « Private jets : can the super-rich supercharge zero-emission aviation ? »
(2) Voir www.bafu.admin.ch, « Taxe sur le CO2 et taxe sur les billets d’avion ».
(3) European Business Aviation Association, EBAA, www.ebaa.org.
(4) Voir https://reporterre.net, « En Gironde, victoire inachevée contre l’aéroport pour jets d’ultrariches ».
Toujours pire !
Le développement des jets supersoniques pour les ultra-riches est en cours. Ces avions iraient deux fois plus vite que les avions actuels mais pollueraient 4 à 5 fois plus. Les premiers vols sont prévus pour 2022 (1).
Certains ultra-riches (patrons, mais aussi pilotes de formule 1, joueurs de foot, etc.) disposent également d’hélicoptères.
Enfin, les milliardaires commencent à se promener dans l’espace, émettant autant de gaz à effet de serre que des millions de personnes. MB
(1) http://blogfr.privatejetfinder.com/les-supersoniques/
