L’association Picojoule est dédiée à la promotion des énergies renouvelables via de petites installations de méthanisation. Créée en 2012 et d’abord basée à Artilect, le fab-lab de Toulouse, elle a intégré la Maison de l’économie sociale et solidaire (MES) de Ramonville en 2016 (1). Ses activités se concentrent sur trois grands domaines, explique Jean Freri, l’un de ses membres actifs.
Sensibiliser, former, expérimenter
Il y a d’abord la sensibilisation et l’animation, l’éducation populaire à l’énergie, à la question des déchets, à la remise en question des besoins, via la méthanisation. L’association tient des stands avec une petite cuisine mobile alimentée avec du méthane autoproduit. En mettant face à face nos déchets agricoles et ceux de nos toilettes sèches d’un côté, et nos besoins en énergie de l’autre, cela permet selon Jean de comprendre concrètement qu’on n’est capable de produire que très peu de l’énergie dont on a besoin avec notre niveau actuel de consommation.
L’association organise également des formations à l’autoconstruction. Elles durent généralement cinq jours et permettent d’acquérir des compétences à la fois techniques et théoriques, en fabricant un digesteur adapté au lieu. Et « de mener ensemble une réflexion sur la taille pour rester maîtres des usages », insiste Jean. L’association en organise une poignée par an, accessibles à prix libre ou via le financement professionnel.
Troisième volet de l’activité : la recherche et l’expérimentation. « Il existe très peu de recherche à petite échelle », constate-t-il. Les financements publics et privés sont en effet unilatéralement dirigés vers la méthanisation industrielle. Picojoule développe plusieurs techniques différentes de méthanisation de petite taille dans son local de Ramonville. Ses prototypes sont à taille humaine, libres de droits. Ses recherches portent par exemple sur la compression du gaz pour le rendre déplaçable (2). « On utilise des bouteilles de gaz industrielles et un compresseur de frigo, cela nous permet d’avoir des bouteilles remplies à 8 bars, ce qui donne environ une heure de petit feu », précise l’ingénieur.
« On est des poussières ! »
Picojoule est la seule association en France, et au-delà, à travailler sur le développement et la recherche sur la microméthanisation. Il faut comprendre que l’on se situe ici à une toute autre échelle que les méthaniseurs industriels dont il est question dans le reste de ce dossier. « Dans l’industrie, la limite basse de la méthanisation est de 10 tonnes par jour de matière organique. Nous, avec nos digesteurs domestiques, on est à quelques kilos par jour. On est des poussières ! On devrait parler de picométhanisation ! », estime Jean (3). D’où le nom de l’association, Picojoule.
L’autoproduction permet de produire jusqu’à l’équivalent d’une heure d’un petit feu par jour d’apports domestiques, « soit environ 60 centimes de facture énergétique par semaine au prix actuel du gaz (qui flambe) ! À cette échelle, il n’y a aucun moyen de rentabiliser l’investissement », poursuit-il.
Élargir le cadre de la réflexion
Alors, quel intérêt ? « Cela demande en fait de ne pas se focaliser sur un seul point ou besoin, de manière séparée d’une réflexion globale, comme nous en avons malheureusement pris l’habitude. Si je veux du gaz, il est alors logique d’entrer dans une logique extractiviste et/ou industrielle. Mais c’est en resituant ce désir dans un contexte et une réflexion plus larges que l’on change d’approche : en quoi ce besoin est-il forcément individuel ? En quoi est-il forcément un besoin d’objet et pas de service ? Pour la méthanisation domestique, si je veux du gaz, cela n’a pas d’intérêt. Par contre, cela en a si l’on intègre ce besoin dans le cadre de ce que deviennent nos déchets organiques, de notre besoin d’autonomie, éventuellement du fait qu’on est un site isolé, etc. La production doit être intégrée à une réflexion plus vaste sur l’ensemble des besoins. »
La microméthanisation à l’échelle d’un quartier ?
Comment cette méthanisation à petite échelle pourrait-elle être utilisée dans la société décroissante de demain, à l’échelle d’un quartier, par exemple ? « Nous pourrions centraliser une collecte de déchets organiques, comme pour le compost, qui alimenterait plusieurs petites unités de méthanisation et permettrait de produire de l’énergie à l’usage d’une serre ou d’une cuisine collective, se met à rêver Jean Freri. Comme pour certains composts de quartiers, ce pourrait être un service collectif, qui nécessiterait l’intervention de personnes ayant une compétence particulière pour gérer les apports, la température, le pH, l’équilibre des micro-organismes, etc. Cela impliquerait aussi un changement plus vaste. Dans le cas qui nous intéresse : une meilleurs intégration entre ville et agriculture (le quartier devrait être couplé à une surface agricole pour recueillir les intrants adéquats au fonctionnement du digesteur), et la mise en place d’infrastructures collectives (avec une productivité si basse, il y a tout intérêt à cuisiner une fois pour 8 personnes plutôt que 8 fois pour une personne). La microméthanisation, comme d’autres basses technologies, est capable de répondre à ces enjeux d’échelle, mais cela demande une implication personnelle plus importante que la technique industrielle achetée sur le marché. Cela implique de questionner nos modes de vie, nos usages, comment se les réapproprier. »
Anticapitaliste, autonome, mais pas forcément écologique
La microméthanisation domestique ou paysanne n’est pas sans poser de questions. Si elle a le mérite, à très petite échelle, d’être difficilement récupérable par le capitalisme, il n’en reste pas moins que les limites écologiques pointées avec la méthanisation industrielle sont les mêmes. Son digestat ne nourrit pas les sols de la même manière que la décomposition des plantes laissées sur place, etc. On peut interroger sa pertinence dès que des cultures y sont dédiées ou que des élevages sont justifiés par son usage. Pour ne pas développer d’effets trop néfastes, la microméthanisation est condamnée à rester une énergie d’appoint et rare. Imaginer la démultiplication de microméthaniseurs pour produire beaucoup d’énergie n’aurait aucun sens. La microméthanisation, une énergie qui ne s’épanouit qu’en restant dans les marges !
Guillaume Gamblin
Picojoule, 73 chemin Mange-Pommes, 31520 Ramonville-Saint-Agne, www.picojoule.org
(1) À l’origine existait A3ENR, association dont le projet initial était de fonctionner comme un bureau d’études en ligne sur les énergies renouvelables, proposant des solutions libres de droit sur tout type d’énergies renouvelables et répondant à des besoins d’autonomie énergétique. Lors d’un chantier en région toulousaine pour une installation de méthaniseur couplant cuisine et toilettes, Pierre Delrez rencontre Francis Cléry, d’A3ENR. Pierre a continué avec l’association nouvellement nommée Picojoule, spécialisée au fil du temps dans la petite méthanisation. Pierre est toujours au cœur des projets. L’association compte un noyau d’une poignée d’individus très impliqués, et une quinzaine d’autres personnes actives. Après avoir employé plusieurs personnes en contrats aidés, l’association est aujourd’hui essentiellement basée sur le bénévolat.
(2) Celui-ci prend à la base beaucoup de volume, ce qui le rend difficilement déplaçable.
(3) Le préfixe pico représente 10-12 d’une unité, soit un millionième de millionième de celle-ci.
