Dossier Énergies

Les mensonges climatiques de la méthanisation

Guillaume Gamblin

Dans son livre La méthanisation agricole, une énergie qui sent le gaz ! — De l’agriculture à l’énergiculture, Christophe Gatineau remet en cause les discours mensongers et scientifiquement erronés qui accompagnent le développement de la méthanisation. Et rappelle quelques évidences bonnes à entendre.

Selon les discours officiels des politiques et des entreprises qui promeuvent cette énergie, la méthanisation serait « un mode de production s’articulant autour de boucles d’économie circulaire », « un levier de la transition vers l’agroécologie ». De plus, ses « externalités positives » seraient nombreuses : protection des sols, captation de l’azote, préservation de la biodiversité, etc. Une panacée écologique, alternative aux polluantes production et importation de gaz naturel.

Des échelles de temps incompatibles

Le caractère prétendument circulaire de son cycle du carbone ne tient pourtant pas la route. « J’ai longtemps cru que le cycle du carbone fonctionnait en circuit fermé comme celui de l’eau, témoigne Christophe Gatineau. Et qu’à l’instar des molécules d’H2O, celles de CO2 revenaient forcément sur la terre ferme. Certes, toutes y reviennent un jour, mais pas à l’échelle humaine. Le temps de la méthanisation agricole n’est pas celui des sols, le temps des sols n’est pas à notre échelle. Un peu moins d’un tiers du CO2 émis y revient dans l’année, un quart se fait piéger par les océans, quand le reste s’accumule dans l’atmosphère pour une durée pouvant aller jusqu’à mille ans. » Et pourtant, c’est sur ce malentendu entre l’échelle temporelle à court terme et le long terme que reposent les discours vantant la méthanisation comme une énergie neutre car censée ramener autant de carbone dans les sols qu’elle en dégage lors de son utilisation.


« Négationnisme climatique »
Pour se faire une idée du mensonge scientifique à l’œuvre lorsqu’on prétend que le gaz carbonique émis revient sur terre grâce à la photosynthèse, Christophe Gatineau s’appuie sur les calculs de Daniel Chateigner, professeur de physique à l’université de Caen et coordinateur du Collectif scientifique national pour une méthanisation raisonnée :
"Je te propose d’imaginer la planète à un instant t :
Jour 1. Compteur à 0. atmosphère : 1000 molécules de CO2, océan : 1000, terre : 1000.
Jour 2. Par la méthanisation, mais qu’importe le moyen, si je largue 100 molécules de CO2 dans l’atmosphère, environ 30 reviennent sur terre, 45 restent là-haut et 25 partent dans les océans.
Bilan : atmosphère : 1000 + 45 = 1045, océan : 1000 + 25 = 1025, terre : 1000 – 100 + 30 = 930.
Jour 3. Je largue 100 molécules de CO2. Bilan : atmosphère : 1045 + 45 = 1090, océan : 1025 + 25 = 1050, terre : 930 – 100 + 30 = 860.
Et ainsi de suite. Mais les sénateurs expliquent le contraire !, s’étonne l’agronome. Selon eux, la méthanisation diminue le nombre de molécules de CO2 dans l’atmosphère. Des climatosceptiques n’auraient pas dit mieux, ce rapport sénatorial contredisant les experts du GIEC. C’est du mensonge organisé."
Court-circuiter l’humus, affamer le vivant et épuiser la terre

"Gaz d’origine agricole, gaz d’origine fossile (naturel), c’est le même gaz visé : le méthane, explique Christophe Gatineau. L’agricole est synthétisé à partir de plantes fraîches, sèches ou digérées, le naturel vient également des sols et des végétaux (1). Et, pour le synthétiser, la méthanisation agricole soustrait aux plantes le carbone qui nourrit habituellement les êtres vivants dans les sols, dont les vers de terre (2). Sachant qu’environ 75 % des espèces de la planète vivent dans les sols, et que les vers de terre en sont la première masse animale, les supprimer en supprimant leur nourriture pour en faire du gaz n’est donc pas un mince projet. D’autant que les supprimer, c’est également supprimer ceux qui s’en nourrissent. En résumé, il s’agit bien d’une attaque majeure contre les écosystèmes au nom de l’écologie.
La méthanisation est un procédé biologique naturel de digestion de la matière organique par quelques espèces monocellulaires nourries artificiellement, poursuit-il. Dans la nature, cette même matière nourrirait sans énergie plusieurs dizaines voire centaines de millions d’espèces via l’humus : insectes, champignons, bactéries, vers de terre… On appelle « vulgairement » ça la biodiversité ! En supprimant le carbone de celles et ceux qui créent les sols nourriciers, comment l’énergiculture pourrait-elle être compatible avec une agriculture qui dure  

Un choix historique

 »La méthanisation agricole est donc un choix politique qui engage durablement la société, conclut l’auteur, de la même manière que le choix des énergies fossiles a été vu comme un excellent remède pour réduire notre empreinte sur la nature au 19e siècle ! Et en particulier sur les forêts, puisque le bois et le charbon étaient alors les seuls combustibles. Aujourd’hui, on nous impose la fable de la méthanisation agricole, comme on nous a imposé celle des pesticides et l’énergie nucléaire il y a 50 ans. Et, comme pour les pesticides, l’impact des déchets de la méthanisation (digestats) sur les sols et la biodiversité ne sera pas réellement visible avant 25 ou 30 ans", prévient-il.

Guillaume Gamblin

Christophe Gatineau est agronome spécialisé en permaculture et agroécologie, membre des Journalistes écrivains pour la nature et l’écologie, cultivateur, photographe et auteur de nombreux ouvrages dont Éloge de l’abeille (Flammarion, 2019), Éloge du ver de terre (Flammarion, 2018) et Des nouvelles agricoles et d’ailleurs (Sable fin, 2017). Il anime également le blog très documenté « Après la pluie, le beau temps » sur www.lejardinvivant.fr

Christophe Gatineau, La Méthanisation agricole, une énergie qui sent le gaz ! De l’agriculture à l’énergiculture, Le Jardin vivant, 2021

(1) Le gaz naturel est issu de la décomposition d’organismes vivants microscopiques (plancton, algues) emprisonnés dans des roches poreuses du sous-sol, terrestre ou marin. Ce produit se présente naturellement sous forme gazeuse, d’où son appellation.
(2) Le carbone est soustrait aux plantes et aux organismes vivants du sol en ce sens qu’il ne vient pas les nourrir par la décomposition des végétaux, puisque ceux-ci sont retirés pour nourrir le digesteur.

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