Dossier Énergies

La méthanisation industrielle, une fausse bonne idée

Guillaume Gamblin

La méthanisation industrielle, encouragée à grands renforts de subventions, se présente comme une partie de la solution aux problèmes liés à notre consommation actuelle de gaz et d’énergie. Mais, dans le détail, ce discours pseudo écologiste ne tient pas la route.

Commana, petit village des monts d’Arrée, dans le nord du Finistère. Six cents personnes sont rassemblées fin juin 2019 pour signifier leur refus d’un projet de « ferme usine » destinée à alimenter un méthaniseur de taille industrielle sur le territoire de la commune. C’est en effet là qu’un agriculteur installé depuis 13 ans, élevant 140 vaches laitières, a décidé de passer à 400 têtes. Son but : alimenter un digesteur, sorte de grosse bonbonne qui renferme la réaction chimique de la méthanisation, et ainsi « pérenniser l’exploitation familiale » dans un contexte de crise agricole. Cependant, les opposant·es ne voient pas cela du même œil. Pour alimenter le méthaniseur, vaches et génisses n’auraient plus accès à l’herbe et resteraient enfermées nuit et jour afin que leurs excréments soient collectés, les bêtes devenant de simples « sous-produits » destinés à la production de déchets puis d’énergie. Pour les opposant·es, associations environnementales en tête, ce projet va à l’encontre des aspirations à « une agriculture tournée vers la qualité plutôt que la quantité, une réduction des polluants et une meilleure prise en compte du bien-être animal ». La ferme usine est située en amont du lac du Drennec, ressource stratégique pour l’alimentation en eau potable de 350 000 habitant·es du Nord-Finistère, notamment la ville de Brest, créant un risque inacceptable de pollution en cas d’accident.
Rassemblements et pétitions ont obligé le préfet du Finistère à demander l’ouverture d’une procédure d’autorisation environnementale (avec étude d’impact et enquête publique). Face à l’opposition, l’exploitant a changé de stratégie, renonçant à l’augmentation du cheptel et indiquant que les intrants viendraient donc de l’extérieur (par camions !). Le permis ayant été accordé directement par le préfet, les travaux principaux ont démarré au printemps 2020.
« L’autorisation du méthaniseur fait l’objet d’un recours porté par une association environnementale, Vivre dans les monts d’Arrée (1), et un permis de construire annexe au méthaniseur a été refusé sur avis de la Commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers. Un collectif citoyen a vu le jour (2) et va principalement s’attaquer au projet de gazoduc de 14 km qui le reliera à Lampaul-Guimiliau afin de rejoindre le réseau de gaz de ville », explique Yannig, membre du collectif citoyen.


La méthanisation, comment ça marche ?

Inventée en 1776, la méthanisation reproduit artificiellement les processus à l’œuvre dans les tourbières, les marais ou la panse des ruminants. Dans un milieu anaérobique (sans oxygène), la décomposition de matières organiques d’origine animale et/ou végétale (déjections animales, matières végétales), à l’aide de certaines bactéries, produit un gaz riche en méthane. Celui-ci est employé soit en remplacement du gaz naturel, soit en cogénération (production de chaleur et d’électricité).
Le nombre de méthaniseurs en France va-t-il exploser ?

Commana n’est qu’un exemple parmi… un peu plus de 1 300 autres en France. Et des milliers de méthaniseurs industriels pourraient naître partout sur le territoire ces prochaines années, puisque la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) prévoit 10 % de « biogaz » dans l’énergie consommée d’ici 2030. Selon Daniel Chateigner, professeur de physique à l’université de Caen et coordinateur du Collectif scientifique national pour une méthanisation raisonnée (4), il faudrait, pour répondre à un tel défi, dédier entre 3 et 6 départements français à des cultures énergétiques !
Sur le papier, la méthanisation à grande échelle est une énergie propre et vertueuse qui a théoriquement beaucoup d’atouts pour séduire. Hélas, dans les faits, ce système pose une multitude de problèmes, dénoncés entre autres par plus de 220 collectifs mobilisés dans toute la France contre des projets d’unités de méthanisation, au sein du Collectif national vigilance méthanisation (5).

Énergétiquement inefficace

Si la méthanisation a pour objet principal de produire de l’énergie, son taux de rendement énergétique est très faible, le plus faible parmi les renouvelables (inférieur à 3, contre 20 pour l’éolien et le photovoltaïque) (6). Les 1000 méthaniseurs actifs en 2020 produisaient l’équivalent d’un vieux réacteur nucléaire, estime Daniel Chateigner. Il faudrait 34 000 unités de méthanisation industrielle en France pour remplacer le gaz naturel, à consommation égale (7).

Économiquement non rentable

Les installations de méthanisation ne sont aujourd’hui pas rentables pour les personnes ou les groupes qui les installent. La filière survit en réalité grâce aux subventions de l’État et des collectivités territoriales. Le prix d’achat du gaz et de l’électricité produit·es par ce procédé sera subventionné à hauteur de 16, 3 milliards d’euros d’ici 2028 selon la Programmation pluriannuelle de l’énergie (8). Cette condition est indispensable pour obtenir des prix compétitifs. Face à cela, le nombre d’emplois créés est très faible.

Une énergie inféodée à l’élevage industriel

La méthanisation est liée à l’élevage industriel productiviste puisque, comme l’explique Christophe Gatineau, « seul l’enfermement permet de récupérer le carbone que les animaux pissent et chient ». La méthanisation se nourrissant des déjections qui y sont « produites » et l’élevage industriel en tirant une nouvelle légitimité estampillée « écolo », les deux se soutiennent et se justifient mutuellement. Cette énergie se situe donc à l’opposé d’une trajectoire collective visant à manger moins de viande et verrouille les possibilités de sortir de l’élevage concentrationnaire.

Des retombées climatiques négatives

Atout supposé de poids de la méthanisation : en tant qu’énergie renouvelable, elle serait climatiquement vertueuse et limiterait les émissions de gaz à effet de serre par rapport à son cousin mauvais élève, le gaz naturel. La réalité est toute autre ! Loin de séquestrer du carbone dans les sols, « la méthanisation produit l’effet inverse en transformant le carbone vivant en méthane qui finira brûlé, à l’instar de toute énergie fossile », dénonce la Fédération Bretagne nature environnement. On peut dire avec Eau et rivières de Bretagne que le processus « accélère le rythme du carbone. Les intrants, au lieu d’être épandus et de se dégrader lentement, sont rapidement transformés en méthane qui sera lui-même brûlé pour produire du CO2 » (9).
Même Solagro, structure favorable à la méthanisation industrielle, estime que « des débouchés sont à trouver pour le CO2 émis qui part dans l’atmosphère »… (10).
Par ailleurs, il suffit d’une fuite de 1 % dans une installation pour annuler tout espoir de bénéfice carbone. Or, les fuites sont très courantes et souvent supérieures à ce chiffre (voir légende de photo p....). Enfin, il n’est pas rare que des installations de méthanisation importent d’autres régions leur précieuse cargaison d’effluents d’élevage, comme ces camions venus du Gard, de Bretagne et de Normandie pour livrer leur précieuse matière au méthaniseur de Sainte-Eulalie, dans le Cantal… (11).

Des dégâts pour l’environnement et la santé

Plus de 272 accidents ont été recensés en France depuis 1990 : incendies de matières stockées avant l’entrée dans le digesteur, fissures dans les cuves provoquant des pollutions des cours d’eau, etc. « En août 2020, 180 000 habitants ont été privés d’eau potable dans le Finistère plusieurs jours durant, après le débordement d’une cuve à Châteaulin » (12).
Le digestat est susceptible de charrier avec lui dans les terres agricoles, les rivières et les nappes phréatiques, des résidus d’antibiotiques, de métaux lourds, de perturbateurs endocriniens et d’autres bactéries pathogènes. « Les pluies emportent avec elles l’azote ammoniacal et on retrouve ces nitrates dans les eaux souterraines ou de surface, ce qui est catastrophique ! », souligne Jean-Pierre Jouany.
La méthanisation pose également un problème écologique en ce qu’elle augmente les besoins de cultures de maïs et d’élevage, ainsi que la consommation d’eau. La méthanisation industrielle est « un système qui réduit la nature à un stock de ressources et à un collecteur pour ses effluents et déchets » (13).

Duperies démocratiques

Les critiques se portent régulièrement sur l’opacité des installations, les enquêtes publiques en plein mois d’août, les cuves implantées sans autorisation,… Plus profondément, comme les autres choix énergétiques qui engagent l’ensemble du territoire et notre santé (comme le nucléaire), le choix technocratique d’investir massivement dans la méthanisation n’a jamais fait l’objet d’une consultation populaire. La duperie démocratique ne s’arrête pas aux portes des collectivités. Ce sont les mêmes mensonges qui irriguent les discours des investisseurs privés. En parlant de « biométhane » ou de « biogaz », ses partisan·es jouent sur la ressemblance avec l’agriculture « bio ». Pourtant cela n’a rien à voir. Le méthane produit est identique à celui du gaz naturel fossile.

Abandonner la méthanisation ?

Face à ce constat multiforme, complété par les impasses agronomiques et agricoles présentées dans l’article suivant, que reste-t-il à sauver dans la méthanisation ? Il semble qu’il nous faille renoncer à l’idée que cette forme d’énergie puisse remplacer le gaz naturel dans les usages que nous en faisons aujourd’hui. Une production massive de gaz par ce moyen serait un cauchemar à tous les niveaux. On le verra plus loin, dans certains cas, la méthanisation à très petite échelle, dans le cadre domestique ou fermier, peut avoir un intérêt. La Confédération Paysanne est mobilisée contre la méthanisation industrielle tout en n’étant pas fermée à de telles pratiques, comme l’atteste l’expérimentation par l’Ardear Occitanie de petites unités de méthanisation paysanne (voir l’article page...) dans lesquelles « les digesteurs ne seraient pas forcément alimentés en continu, et l’épandage du digestat serait limité ». (14)
La Fédération Bretagne Nature Environnement préconise 4 alternatives au développement de la méthanisation : l’économie d’énergie ; le développement d’une agriculture économe et respectueuse de l’environnement, adaptée aux capacités de son territoire ; le renforcement des actions de prévention des déchets et de réduction du gaspillage alimentaire, de la production à l’assiette ; enfin le renforcement des actions en faveur du compostage (agricole et industriel).

Guillaume Gamblin

(1) Vivre dans les monts d’Arrée - Bevan e menez Are, mairie, place Alphonse-Penven, 29690 Huelgoat, vi-monda@laposte.net.
(2) Collectif opposé au méthaniseur de Commana, methaniseurcommana@riseup.net
(3) Collectif scientifique national méthanisation raisonnée, www.cnvmch.fr/csnm, csnmraison@gmail.com, tél. : 02 31 45 26 11
(4) Collectif national vigilance méthanisation, www.cnvmch.fr
(5) Le rendement énergétique est la quantité d’énergie produite pour une unité d’énergie fournie. On estime qu’en dessous d’un taux de 6, le système ne fonctionne plus car, entre la production et l’utilisation, il y a de nombreuses pertes à prendre en compte. Voir l’article de Mansoor Khan p....
(6) Christophe Pelaprat, entretien avec Daniel Chateigner, Sans transition ! no 31, p. 55.
(7) Sans compter 425 millions d’euros d’aides de l’Ademe prévues en 10 ans, entre autres. Voir « Bioénergie, méthanisation : subventions massives, production infime », augustinmassin.blogspot.com, 11 novembre 2021.
(8) « Les fausses bonnes idées contre le dérèglement climatique », Eau et rivières de Bretagne, no 194, automne-hiver 2021, p. 23.
(9) Christophe Pelaprat, op. cit., p.52
(10) Sébastien Massoulié, « Digestion difficile et remontées gazeuses en Pays de Salers ! », La Galipote, no 144, été-automne 2021, p. 19
(11) Voir Hélène Bielak, « Le bonheur est dans la méthanisation ? », Les autres possibles, no 33, septembre-octobre 2021
(12) « Méthanisation dans le Lot : le grand emmerdement », www.reporterre.fr, 5 octobre 2021
(13) Louise de Battista, animatrice méthanisation paysanne à l’Association régionale pour le développement de l’emploi agricole et rural Occitanie (liée à la Confédération paysanne), Sans transition !, op. cit., p. 52

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