Création : 1980
● Superficie : Le chalet du Souleret 670m², la ferme de la Batailleuse 70 hectares.
● Nombre de salariés, de bénévoles : 13 salarié.es sont présent.es à l’année et des bénévoles (actuellement 2 ) viennent pour une durée de quelques semaines aider à la gestion du site.
● Statut : Association CLAJ la Batailleuse
● Montage financier : A l’origine, le CLAJ collecte plus de 33000 € de souscriptions pour racheter la ferme en 1980. 40 ans plus tard, l’exploitation fait environ 550 000 € de chiffre d’affaire en 2020, de quoi dégager 13 salaires, et couvrir les nombreuses charges du site. Environ 150 000 € de subventions ont été accordées par la communauté de commune Lacs & Montagnes du Haut-Doubs, la région, la CAF, la PAC, l’Etat,...
●Activités : Production d’agriculture biologique et paysanne ( pain, biscuits, pizzas, fromage de chèvre, lait de vaches, faisselles, yaourts,...), vente à la ferme, et auprès de distributeurs locaux, accueil de groupe au chalet du Souleret, animation d’activités de sensibilisation à l’environnement en milieu rural.
Dans la vallée du Haut-Doubs, surnommée "la petite Sibérie", le village de Rochejean n’est pas seulement réputé pour ses températures hivernales records. Ici, tout le monde connaît la Batailleuse. Reconstruite à la sortie du village en 1988 à la suite d’un incendie, "la Bata est très appréciée dans le coin. Ici, les gens font la queue" confie Jean-Marie, un habitué venu acheter son fromage au magasin de la ferme.
Un lieu chargé d’histoire
À l’origine, un groupe d’ami·es souhaitant vivre de leur travail, en milieu rural et sans patron·ne rachète la ferme du Souleret et crée l’association CLAJ de Franche-Comté. Issu·es des milieux populaires ouvriers, ils et elles font partie des Club de Loisir et d’Action pour la Jeunesse et se rassemblent pour avoir accès à des vacances à moindre coût, loin des villes. L’ancien corps de ferme est reconstruit et devient le chalet du Souleret pour héberger des groupes de vacances et des classes de découverte (1).
Une ferme productive et pédagogique
Aussi nommée CLAJ la Batailleuse, l’association est propriétaire du chalet et de la ferme, gérés par une équipe de 13 salarié.es, des bénévoles et un conseil d’administration d’une dizaine de personnes. Chaque salari·ée et co-responsable de son secteur et travaille par binôme mixte la plupart du temps. À la ferme, les chevriers et les vach·ères s’occupent des troupeaux et de la traite à tour de rôle. En 2009, l’exploitation se diversifie et construit un fournil. Deux boulangères y travaillent et font du pain au levain, biscuits, et pizzas pendant les vacances. La ferme héberge également des poules, lapins et cochons mais ces animaux sont principalement destinés aux activités pédagogiques. De même pour le potager qui fournit des légumes au chalet du Souleret. Certifiés bio depuis 1995, les produits sont vendus directement au magasin de la ferme, en paniers, sur les marchés et auprès de distribut·rices loca·les. Plus bas dans le village, au chalet nous retrouvons "l’équipe du Souleret". Les co-gestionnaires gèrent les réservations, s’occupent des tâches administratives et de l’entretien du gîte. Deux animatr·ices encadrent les groupes vacances et classes découverte, et un dé-programmateur d’obsolescence se charge de l’entretien du site.
"La Bata est avant tout une ferme productive" explique Julien le vacher, qui y travaille depuis 2019. À sa reconstruction, elle est devenue le support éducatif des animations. Les mangeoires sont abaissées à hauteur des enfants, des pancartes explicatives sont affichées un peu partout dans la ferme. Depuis 2021, l’équipe propose d’ailleurs des visites en autonomie, à prix libre, où les visiteu·ses suivent les panneaux pédagogiques pour découvrir les différents secteurs. Tout est pensé pour que les apprentis fermi·ères soient le plus autonomes possible.
Ella est animatrice depuis juillet 2019 sur le lieu. Après des études de gestion et protection de la nature et un premier poste en Charente, elle est venue découvrir le milieu montagnard rural. "Ici, les enfants créent une relation à la nature en expérimentant par eux-mêmes". Les plus jeunes viennent 3 à 5 jours découvrir les séjours “classe découverte”, co-organisés par les animat·rices avec les écoles. Au programme : soin aux animaux, traite animée, confection de biscuits ou fromages, découverte de la biodiversité dans le jardin pédagogique... Il y en a pour tous les goûts ! L’équipe propose aussi des séjours vacances d’une semaine où les 6-10 ans s’essayent au métier de fermi·ère. Pendant que les 10-13 ans campent aux abords de la ferme, et les plus grand·es partent en colonie faire de la randonnée dans les alpages aux alentours.
La force du collectif
Seb est chevrier à la ferme depuis 22 ans, et l’a connu à ses débuts. "La Batailleuse a toujours été en autogestion mais elle a sacrément évolué". En 2004, une petite équipe de 8 reprend le lieu après le départ douloureux des membres fondat·rices. Le collectif moins nombreux se coordonne mieux. Il intègre la CUMA du village en 2008 (2). Malgré des débuts difficiles : "quand on a quitté la Coop, on s’est fâché avec tout le monde", l’équipe tient bon. Les ancien·nes transmettent leurs compétences aux nouvelles recrues qui apprennent "sur le tas". Beaucoup comme Ella se sentent rassuré·es de travailler à plusieurs. "On partage des savoirs, on a accès à une quantité de corps de métier intéressants". Manon est fromagère et vendeuse à l’accueil de la ferme. Elle ne voulait pas s’installer seule car elle ne se "sentait pas physiquement et moralement. La vie collective ce n’est pas trop mon truc mais ce qui m’intéresse c’est le collectif de travail". À la Batailleuse, la clef de la réussite c’est l’entraide entre les salarié·es. Seb en témoigne : "on est 13 on déplace des montagnes en une demi-journée. On improvise des salles de réunions ou des marchés de noël dans la grange, c’est la force du collectif".
Une réputation depuis 40 ans
"Il y avait 17 fermes quand la Bata est arrivée, personne n’y croyait et aujourd’hui on est toujours là", explique Julien. Mais les CLAJ ont tout de même bien été bien accueillis. “Les anciens ont vu des jeunes s’intéresser au milieu agricole, alors que la plupart partaient pour la ville, chercher un travail moins fatiguant à l’usine”. Alors que bon nombre d’exploitations alentours ont fait faillite, la Batailleuse a su inverser la tendance. 40 ans plus tard, elle est relayée dans les offices de tourisme de la région. L’association d’éducation populaire porte toujours les mêmes valeurs de solidarité. Pour Ella "l’idée c’est de proposer des vacances à tout le monde, selon le budget de chacun". Partenaire des clubs de vacances adaptées EEVA (3) et de la communauté de commune du Haut-Doubs, la ferme propose des tarifs réduits aux jeunes les plus défavorisé·es. Le collectif a également participé à de nombreuses reprises au Réseau REPAS (4) depuis plus de dix ans et accueille des particuli·ères intéressé·es par l’autogestion en collectif. Ils et elles viennent expérimenter la vie rurale alternative et bâtissent toutes sortes de projets, en autonomie. Construction de toilettes sèches, réfection du toit... Nadège, l’une des co- gestionnaires se souvient "d’un groupe de nanas venues construire le parcage de l’aire de jeu".
L’exploitation a su s’imposer dans la région, si bien qu’elle serait presque victime de son succès. Gérard est vétérinaire et écologue de formation et membre au CA depuis 2021. Propriétaire d’une ferme voisine, c’est un ami de longue date de la Batailleuse. "Le CLAJ d’ici est assez connu dans le monde alternatif de l’élevage et dans les éco-lieux. C’est pas commun une ferme gérée en collectif. Ils ont acquis une petite notoriété. Le CLAJ est presque devenu un passage obligé pour les stagiaires du réseau REPAS. Certains viennent en tant que salarié.es, pour 2 ans, puis repartent et s’installent. La Bata c’est devenu un tremplin. On a embauché des tas de gens qui sont partis reprendre la ferme de leur père ou s’installer en paysan boulanger après". Depuis le départ des fondat·rices, l’association a du mal à se stabiliser et fait face à un turn over important. Micka est chevrier depuis 5 ans et pour lui c’est clair : "Tous les ans un tiers de l’équipe change".
"L’autogestion c’est un métier"
"On travaille beaucoup car en plus de notre temps de travail il y a le temps associatif » explique Micka. Pour Nadège "il y a beaucoup de petits projets qui alourdissent nos fiches de postes et on dit oui à trop de choses. On a commencé à faire des biscuits au fournil pour essayer, et maintenant la demande est très élevée, ça prend beaucoup de temps". En plus des projets, les salarié.es forment eux et elles-mêmes les saisonni·ères. Nadège constate qu’elle "prend en ancienneté" et a donc plus de responsabilités. Ce qui est parfois décourageant. "Pour l’instant je monte en compétences mais je ne resterai pas toute ma vie ici. J’ai un projet de bosser en auberge sur les chemins de St Jacques". D’autres considèrent plutôt ce roulement comme moyen d’évolution continue car tout le monde peut apporter du changement". Les salarié.es n’ont pas tous et toutes la même vision du collectif, ce qui fragilise leur méthode de travail. Pour Seb "l’autogestion c’est un métier".
Le statut de salarié.e
Le CLAJ organise une réunion d’équipe chaque mardi et revoit l’ordre du jour : gestion de l’accueil des groupes, préparation du marché de Pontarlier, planification des travaux aux champs, … Travailler à plusieurs soulève nécessairement des tensions. Pour les désamorcer l’équipe se forme à la CNV (Communication Non Violente) avec une intervenante. Les salarié.es réfléchissent ensemble pour améliorer leurs conditions de travail. Seb se souvient bien qu’ "en 2012, on ne pouvait pas prendre de congés pendant la première année. Maintenant on peut. Être paysan salarié·e nous permet de toucher le SMIC, d’avoir 6 semaines de congés par an et une prime d’ancienneté. J’ai le temps de faire du théâtre pendant mes jours off". Pour Manon "la position de salarié·e est rassurante car on a un contrat. Avant je gagnais 400€ par mois dans une autre ferme. Maintenant je n’ai pas à m’inquiéter, ça fait du bien de voir 4 chiffres sur mon compte ! Et le week-end je décroche. Je fais de l’escalade, des randos ou des balades à cheval". Même si travailler à plusieurs demande davantage de temps pour s’organiser et se fédérer, être salarié.e en paysannerie apporte une stabilité financière et un confort de travail qui n’est pas habituel dans ces corps de métier.
L’écologie du quotidien
"Ici, tous les salarié·es ont une conscience écologique » affirme Manon. Leurs valeurs écologiques ne s’arrêtent pas à la certification bio ou aux animations pleine nature. "C’est ma part de faire venir les gens qui ne sont pas du même monde, pour leur faire découvrir notre réalité et éveiller leur conscience. Quand je leur montre la ferme et qu’ils reviennent avec leurs enfants je me dis que j’ai tout gagné". Laurent travaille à mi-temps comme dé-programmateur d’obsolescence. Après des années de militantisme au DAL l’Association du Droit au Logement, à vivre dans des squats parisiens, il quitte la capitale et arrive à la Batailleuse en 2007. Son rôle est de gérer l’entretien du chalet, et de "réparer au maximum ce qui est cassé". Il s’occupe également du projet de "l’année blanche". Le Chalet du Souleret fermera ses portes en mars 2022, après la saison pour être rénové (5). "Il y a tout un modèle économique derrière ce projet. On veut rénover le gîte en basse consommation pour qu’il soit plus rentable sur le long-terme. On va installer des panneaux solaires, refaire l’isolation et l’électricité et remettre le bâtiment aux normes ERP". Les salarié.es font la part des choses pour soulager leur quotidien en mécanisant quelques-unes de leurs pratiques. "Je crois qu’il faut trouver un juste milieu pour répondre aux besoins des gens tout en gardant une conscience environnementale. Sinon on pourrait dire qu’on a pas besoin de tracteur !" Manon se réjouit de la nouvelle caisse enregistreuse automatique qui l’aide pour la vente. "Avant je devais écrire sur les bons de livraison. Je gagne 8H de boulot !". Même constat pour Julien : "Heureusement qu’on a robotisé les machines de traite, quand je vois que mes grands-parents étaient tous cassés à 40 ans... Ici on a un confort de travail ».
Projets à venir
En plus de son rôle au CA, Gérard est gestionnaire du lac voisin de Remoray et l’un des fondateurs du réseau Paysans de nature de la région (6). L’association rassemble des agricult·rices, et professionne·lles de l’écologie qui mettent en place des initiatives agricoles respectueuses de la biodiversité sauvage. "Notre objectif c’est de piquer des terres aux intensifs et d’installer des paysans pour protéger la nature". L’équipe de la Batailleuse entrera dans le réseau prochainement. "On vient de finir le diagnostic sur le terrain, ils ont pas mal de choses intéressantes à la Bata. Il y a des zones humides, des zones de pelouse sèche. Et on a recensé 150 espèces d’oiseaux différentes présentes dans les prairies". Le collectif ne considère pas seulement l’exploitation agricole comme un outil éducatif, c’est aussi un moyen de protéger la biodiversité environnante.
Maureen Prisker
Soutien
Pour faire naître le projet de l’année blanche, Les CLAJ lancent un appel à bénévoles. Les travaux de rénovation du Chalet du Souleret débuteront en mars 2022 pour une durée d’environ 1 an. Vous pouvez filer la main sur les chantiers participatifs en aidant au déménagement des affaires, à la démolition du centre, … Pour vous mettre en lien vous pouvez contacter l’association par mail claj-batailleuse@wanadoo.fr . Pour financer cet ambitieux projet de rénovation, l’association lance une campagne de financement participatif. Retrouvez toutes les informations sur claj-batailleuse.fr - Association CLAJ la Batailleuse - 16 rue de la fontaine 25370 Rochejean
1. Silence avait déjà réalisé un reportage en 2003 (N° d’été 298/299 Alternatives en Franche-Comté). La Batailleuse nous a réouvert ses portes, presque 20 ans plus tard.
2. Coopérative d’Utilisation du Matériel Agricole. L’équipe partage avec les autres fermes du village du matériel d’épandage, des cuves à lisier, un manitou...
3. Euro Evasion Vacances Adaptées est un centre de vacances qui s’adresse aux personnes en situation de handicap mental.
4. Réseau d’Echange et de Pratiques Alternatives et Solidaire. Le Réseau regroupe une trentaine de structures se reconnaissant dans le champ de l’économie sociale et solidaire. Voir le N°314 – septembre 2004 "Alternatives en pratiques : Le réseau REPAS".
6. Voir le dossier du numéro 480, d’été 2019 "Réconcilier agriculture et vie sauvage".
