Chronique Nord-Sud Solidarités sans frontières

Des fraises grecques « made in Bangladesh »

Floriane Biem

À l’ouest du Péloponnèse, en Grèce, les villages de Manolada et des environs doivent beaucoup au succès de leur production de fraises, exportées massivement en Europe. Le « miracle » économique a débuté il y a une vingtaine d’années et ne semble pas prêt de s’arrêter, les ventes augmentant d’année en année.

Au plus fort de la saison, jusqu’à 10 000 personnes s’activent dans les serres. Il y a une quinzaine d’années, la plupart d’entre elles venaient des Balkans. À présent, la majorité des saisonniers viennent du Bangladesh et n’ont pas de papiers.
Ce sont quasi exclusivement des hommes, parfois mineurs, qui acceptent un salaire journalier bien inférieur. Expulsables à tout moment, ils vivent dans des abris de fortune au milieu des champs, sans sanitaires ni eau courante, et ne sont pas en mesure de protester.

Petits arrangements avec la loi

De la fin septembre à la fin juin, ils vont d’une exploitation à une autre, toujours par l’intermédiaire d’un « mastur » : un compatriote qui vit dans la région depuis plusieurs années, dispose d’un titre de séjour et parle un peu le grec. Ces « masturs » jouent un rôle d’intermédiaires avec les producteurs. Ils perçoivent bien souvent l’ensemble des salaires sur leur propre compte et les redistribuent… en prélevant une commission.
Au besoin, les salaires que les producteurs n’ont pas le droit de verser à des personnes qui n’ont pas le droit de travailler peuvent figurer dans les bilans comptables comme des achats d’engrais !

L’État grec ferme les yeux

Les conditions de vie et de travail dans la région ont été largement médiatisées en 2007, après l’incendie d’un campement, puis en 2013 après des coups de feu tirés sur des saisonniers réclamant leurs salaires.
Condamné en 2017 par la Cour européenne des droits humains, l’État grec a pris quelques engagements sans grand effet contre le travail forcé. Ainsi, une loi censée protéger les personnes sans papiers leur permet de travailler pendant 6 mois dans le secteur agricole et de bénéficier d’une protection sociale… à condition qu’un ordre d’expulsion ait été prononcé au préalable.
D’autre part, l’inspection du travail n’a toujours pas le droit, à ce jour, de se rendre dans les champs pour effectuer des contrôles ! Or, sans statut ni protection légale, la situation de ceux qui produisent et récoltent les fraises grecques n’a guère de chance de s’améliorer.
Depuis 2 ou 3 ans, ceux qui le peuvent quittent les serres grecques pour les champs italiens, où l’espoir d’obtenir un titre de séjour est meilleur, et le salaire moins dérisoire. La pénurie de main-d’œuvre annoncée convaincra-t-elle enfin l’État de faire respecter les droits humains dans les serres ?
Floriane Biem
 
Cet article est inspiré d’une enquête réalisée par Solomon, un organe d’investigation indépendant basé à Athènes, en juin 2021, https://link.infini.fr/solomon.
 

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