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Paysan·nes, une espèce en voie de disparition ?

Stephen Kerckhove

Le dernier recensement agricole rendu public en décembre 2021 dresse un tableau bien sombre de l’agriculture française. Cette dernière poursuit son lent déclin, s’acheminant vers une agriculture sans paysan·nes. En dix ans à peine, 100 000 fermes ont disparu. Chaque heure qui passe en France, sept jours sur sept, 24 heures sur 24, c’est ainsi une ferme qui disparait, absorbée par plus gros, rejouant la fable de la grenouille qui voulait se faire plus grosse que le bœuf. Entre 2000 et 2020, la taille des exploitations a cru de 64 %, passant en moyenne de 42 à 67 hectares ! Le tout largement compensé par une mécanisation grandissante et d’un endettement systémique, source d’un stress inouï, expliquant pour partie le taux de suicides élevé constaté chez les paysan·nes.

Malgré ce constat accablant, le ministre de l’Agriculture fait bonne figure. Pire, il semble s’en satisfaire en revendiquant « une agriculture qui reste à taille humaine ». Alors même qu’un·e agricult·rice sur 4 a plus de 60 ans (en augmentation de 5 % en 10 ans) (1), le ministre de l’Agriculture, porte-parole pleinement assumé de l’agro-industrie, appréhende cette lente dérive comme un atout.

Identifier les responsables de cette destruction

Faute d’en tirer les enseignements, notre agriculture est condamnée à n’être que l’ombre d’elle-même, activité industrielle produisant plus pour produire plus. Niant les effets destructeurs de ce productivisme agricole, le ministre de l’Agriculture ne cherche aucunement à changer la donne ni à identifier les responsables de cet échec évident. Et pour cause : le responsable, c’est lui, acteur incontournable, maillon central d’une cogestion patiemment mise en œuvre sous l’égide du syndicat agricole majoritaire, la FNSEA.
Paradoxalement, c’est donc un syndicat d’exploitants agricoles qui coconstruit un modèle dont la conséquence directe est de réduire le nombre de paysan·nes. Le tout en produisant une nourriture de piètre qualité tout en détruisant les écosystèmes et en imprégnant trop souvent air, sols, eaux, animaux et aliments de substances cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques. Et ce pour le plus grand profit des coopératives et banques vivant de l’endettement des paysan·nes.
Plus insidieusement, ce modèle agricole à bout de souffle engendre une désertification rurale, faute de miser sur une agriculture riche en emplois locaux et non délocalisables.

Pour des aides agricoles favorables au monde paysan

Nous devons nous saisir de ce recensement agricole pour faire évoluer ce secteur. Redonner à l’activité agricole ses lettres de noblesse, réinsuffler du sens au monde paysan et une fierté qu’il a perdue en cherchant à adopter un taylorisme agricole fait d’endettement, d’engrais, d’antibiotiques et de pesticides.
Un véritable « plan Marchal » doit être mis en œuvre, mobilisant ainsi les budgets nécessaires à la transition agricole et alimentaire. Chaque année, 9 milliards d’euros d’aides européennes sont déversés sur l’agriculture française. Ces aides doivent enfin être utilisées pour faire de notre agriculture une activité résiliente, s’appuyant sur des paysan·nes nombreu·ses et non plus sur une poignée d’exploitant·es agricoles.

Stéphen Kerckhove

(1) Et plus de 55 % des agricult·rices ont plus de 50 ans ! (Ndlr)

Agir pour l’Environnement participe à la plateforme « Pour une autre PAC », qui défend une révision complète de l’actuelle politique agricole commune en faveur d’une nouvelle politique agricole et alimentaire commune (PAAC) mise au service de tou·tes les citoyen·nes, en conciliant des objectifs de : valorisation du métier de paysan·ne ; durabilité de l’agriculture ; souveraineté alimentaire ; respect du bien-être animal ; dynamisme du tissu rural ; cohérence avec le développement des paysan·nes du Sud et lutte contre les changements climatiques. https://pouruneautrepac.eu

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