Dossier Environnement

La LPO : s’adapter à chaque situation pour protéger la nature

Martha Gilson

La Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) milite depuis 1912 pour défendre la nature par la connaissance, la protection et l’éducation. Association nationale qui s’appuie sur un fort ancrage local porté par 8 000 bénévoles et 550 salarié·es, elle agit concrètement en s’adaptant au terrain et à ses habitant·es. Entretien avec Yves Verilhac, son directeur général.

Silence : Comment la LPO se positionne-t-elle par rapport à la question du réensauvagement ?


Yves Verilhac :
Il y a « à boire et à manger » dans la façon dont cette notion est mobilisée aujourd’hui. La LPO est une association de naturalistes pragmatiques. Elle fait donc des analyses au cas par cas. Philosophiquement, la LPO reconnaît l’idée de la « non-gestion », de laisser faire la nature. Mais pas partout, pas tout le temps. Il est faux d’affirmer que la nature a absolument besoin de l’homme pour se diversifier. Mais il est tout aussi faux de dire qu’elle peut totalement s’en passer partout. Pas à l’échelle de nos territoires ni à l’échelle de quelques siècles seulement. Au niveau planétaire et sur plusieurs millénaires, c’est certainement vrai : la biodiversité n’a pas attendu l’apparition de l’Homme pour se multiplier et se diversifier. Oui, il y a un véritable intérêt biologique à laisser certaines forêts se réensauvager. Mais si vous n’intervenez pas pour protéger une tourbière ou un marais, vous vous tirez une balle dans le pied car vous laissez le milieu se fermer et s’appauvrir. Nous n’avons pas le temps d’attendre que de nouvelles tourbières se créent ou que des tempêtes, avalanches ou autres inondations rouvrent des milieux.
De plus, la notion de réensauvagement peut aussi porter un jugement de valeur a priori négatif sur les actions de l’Homme.


Protéger la nature ou la biodiversité ?
« Je n’aime pas ce terme de biodiversité qui est un terme technocratique, dénué de culture et de poésie, et qui renie le combat historique de protection de la nature. On imagine des espèces au lieu de penser aux milieux naturels. C’est une confusion, puisque l’homme fait partie de la biodiversité, de même que le Coronavirus ! Cette dérive sémantique n’est pas neutre : elle accompagne la raréfaction de la création d’espaces naturels protégés, la volonté de s’intéresser à la nature dite ordinaire (comme si la rareté n’avait plus aucun sens), elle introduit le principe »éviter, réduire, compenser« , et celui de continuités. Plus besoin de protéger : il suffit d’échanger ! »
Comment la LPO intègre-t-elle les habitant·es d’un territoire à la protection de la nature ?

Nous utilisons toutes les possibilités qui nous sont offertes, avec l’idée d’agir avec les femmes et les hommes sur les territoires mais sans perdre de vue nos objectifs. L’activité de la LPO repose d’abord sur le socle des connaissances scientifiques. Pour cela aussi, nous mobilisons tout un chacun grâce aux sciences participatives. La LPO gère des milliers d’hectares en propriété propre, en location ou en espaces naturels protégés (1). Elle établit des contrats avec des agriculteurs, associe les populations et acteurs locaux, organise des animations, développe des projets et équipements pour les populations les plus défavorisées ou handicapées, etc.
Nous proposons à des particuliers ou des entreprises, écoles et collectivités d’accueillir et de développer la nature chez soi grâce aux refuges LPO. Zéro chasse et pêche, zéro pesticides (nous n’avons pas attendu que ce soit interdit, ça fait 100 ans qu’on s’en passe), des équipements et aménagements pour abriter et nourrir la petite faune. Aujourd’hui, il y a 36 000 refuges LPO en France, qui couvrent 50 000 ha, du simple balcon d’immeuble au parc de plusieurs dizaines d’hectares. Certains bénévoles préfèrent partager leur passion grâce à l’animation nature et à l’éducation. D’autres s’engagent dans le transport et le sauvetage de la faune en détresse dans nos centres spécialisés.

La protection de la nature s’oppose-t-elle aux activités humaines ?

La diversité biologique s’effondre. C’est un fait. Aujourd’hui 62, 2 % de la biomasse des mammifères sur terre est composée de bétail d’élevage, 37, 4 % d’humains, et il ne reste plus que 0, 4 % de biomasse de mammifères sauvages. Pour les oiseaux, ce n’est guère mieux avec 71, 4 % de la biomasse représentée par la volaille d’élevage, et 28, 6 % seulement d’oiseaux sauvages !
La deuxième évidence, c’est que les causes en sont connues : artificialisation et destruction des milieux, surexploitation des richesses, pollutions diverses, changement climatique, arrivée d’espèces exotiques…
La troisième évidence est que, pour la première fois, l’Homme est responsable de ce que certains scientifiques n’hésitent pas à nommer « sixième extinction ». Il semble que la population et même les élu·es (souvent en retard) ont pris la mesure du changement climatique et de ses conséquences. En revanche, l’enjeu du vivant demeure dans l’angle mort du rétroviseur. On voit se développer des hectares de panneaux photovoltaïques sur des terres agricoles et naturelles, alors que l’artificialisation est la première menace sur le vivant. Des parcs éoliens sont implantés dans des secteurs à enjeux européens pour les oiseaux et les chauves-souris. Le réchauffement climatique entraîne la montée des eaux, pourtant nous avons les plus grandes difficultés à faire accepter le recul des réserves naturelles à l’intérieur des terres.
Ceci dit, nous ne cherchons pas à fuir le conflit. La protection de la nature est un enjeu parmi d’autres mais vous ne pouvez pas non plus demander à tout le monde de partager cette finalité. Quand des agriculteurs ont du maïs sur de très bonnes terres et qu’on leur dit : « L’eau va monter donc il faut partir mais on va vous racheter vos terres », ça ne se fait pas facilement, et c’est normal.

Quel serait le monde idéal de la LPO ?

On arrêterait de déréglementer, de tuer des espèces en danger, les enfants apprendraient le nom des plantes et des animaux à l’école, on créerait au moins un parc national et dix réserves naturelles par an, on y mettrait des moyens humains et financiers, on intégrerait les coûts induits de l’absence de prise en compte des enjeux environnementaux, et on arrêterait de subventionner la destruction. Prenez la nouvelle politique agricole commune (PAC), celle qui est en cours de finalisation. La PAC, c’est notre argent à travers nos impôts. Comment se fait-il que nous continuions à financer, par ce moyen, des modèles non vertueux qui portent atteinte à la santé des gens et détruisent la nature ?

Comment évolue la biodiversité en France aujourd’hui ?

La LPO voit l’oiseau comme un très bon indicateur sensible car, selon les espèces, on retrouve tous les régimes alimentaires, toutes les latitudes et altitudes, tous les milieux. On peut mesurer la qualité de la biodiversité à travers l’état de conservation et la diversité des populations d’oiseaux. Quelques familles se portent mieux aujourd’hui que dans les années 1970. C’est le cas de presque tous les hérons, sauf le butor étoilé. C’est aussi le cas d’un certain nombre de rapaces (vautours, faucons pèlerins, etc.). Et on sait pourquoi : parce qu’on s’est attaqué aux causes de leur disparition — empoisonnement et tirs pour les rapaces, destruction des milieux et tirs pour les hérons. Mais, dans leur grande majorité, les autres espèces s’effondrent, en particulier celles des milieux agricoles. On observe une perte de 80 % des tourterelles des bois, c’est une véritable hécatombe. Il y a urgence à prendre le virage qui s’impose car nous allons droit dans le mur. Chacun, à son propre niveau, peut faire quelque chose. En commençant par adhérer à une association comme la LPO !

Propos recueillis par Martha Gilson

(1) En 2021, la LPO France a un budget annuel de l’ordre de 21 millions d’euros dont 64 % sont des fonds privés et 36 % sont d’origine publique. Les associations locales LPO, juridiquement indépendantes, établissent leurs propres comptes. Les fonds privés (environ 13 millions d’euros) proviennent essentiellement des adhésions, dons, legs, ventes de la boutique, abonnements, prestations de services à des entreprises. Parmi les fonds publics (environ 8 millions d’euros), 21 % proviennent des collectivités, 38 % de l’État et 19 % de l’Europe. Ils correspondent essentiellement à des rémunérations pour des prestations, le plus souvent sur appel d’offre et mise en concurrence, comme pour la gestion des réserves naturelles.

La réintroduction, autre volet de la protection de nature
Depuis une trentaine d’années, des efforts importants visent à reconstituer les populations de certaines espèces animales disparues à l’échelle d’une région, avec son lot de succès pour certains rapaces, les castors ou encore le lynx. Selon la LPO, « des oiseaux comme les vautours ou le gypaète ont été facilement éliminés car leur reproduction est très lente et ils sont naturellement peu farouches. Il est heureux de constater que ces espèces se maintiennent sans difficulté dans un monde moderne, pour peu qu’on leur garantisse un minimum de place et de considération. Une réintroduction n’est ni plus ni moins qu’une mesure de conservation s’inscrivant dans la restauration des biocénoses (1) perturbées par l’Homme. » Les réintroductions et les renforcements de populations font partie des méthodes de restauration, aussi bien des populations d’espèces en danger d’extinction que des fonctions écologiques des écosystèmes.
Le vautour fauve avait quasiment disparu du territoire français entre 1920 et 1950. Seule une population relictuelle persistait dans les Pyrénées, en vallée d’Ossau. L’espèce a fait l’objet de réintroductions à partir des années 1980 dans le Massif central (initiées par le Fonds d’intervention des Rapaces — dorénavant LPO — et le Parc national des Cévennes), puis des années 1990 dans les Alpes (2).
La réintroduction du vautour fauve est d’abord, dans les Alpes et le Massif central, un succès écologique, tant du point de vue des effectifs présents et du taux de reproduction que de la restauration de la fonction naturelle d’élimination des animaux morts. La réintroduction s’inscrit dans une démarche socio-économique où le monde de l’élevage, en particulier le pastoralisme et l’élevage extensif, occupe une place importante dans l’économie de la région. Ce succès de la réintroduction des vautours fauves s’est accompagné d’une innovation portée par les éleveurs : la placette individuelle d’équarrissage naturel (3), c’est-à-dire un endroit où les éleveurs peuvent laisser des cadavres d’animaux. L’exemple du sud du Massif central, où une centaine de ces placettes ponctuent les espaces pastoraux, constitue une source d’inspiration dans la recherche d’un équilibre partagé et d’un lien renforcé entre activités pastorales et populations de vautours.

Léa Giraud, responsable du site Grands Causses de la LPO

(1) Ensemble des êtres vivants d’un biotope, d’un milieu donné.

(2) Le numéro 20 la revue Silence, en juin 1983, parlait déjà de la réintroduction des vautours !

(3) Par dérogation au principe général de l’équarrissage industriel, l’équarrissage naturel n’est autorisé qu’à titre dérogatoire et dans des conditions précises.

Pour aller plus loin :

  • Ré-ensauvageons la France — plaidoyer pour une nature sauvage et libre, Gilbert Cochet, Stéphane Durand, Babel, 2021, 168 p., 6,90 euros
  • L’Europe réensauvagée — vers un nouveau monde, Gilbert Cochet, Béatrice Kremer-Cochet, Actes Sud, 2020, 336 p., 23 euros
  • Pour une forêt primaire en Europe de l’Ouest, Francis Hallé, Actes Sud, 2021, 64 p., 8 euros
  • Vercors, vie sauvage,Sarah Petitbon et Louise Drulhe (ill.), éd. 369, collection Manuels, 2021, 72 p., 12 euros

Créer des réserves de biodiversité
L’association Agir pour l’environnement encourage elle aussi la création de réserves de biodiversité. En effet, les obligations réelles environnementales (ORE) nées de la loi Biodiversité de 2016 sont des outils juridiques permettant à un particulier ou une collectivité locale de signer, devant notaire, un contrat écologique avec une association de protection de l’environnement, valable jusqu’à 99 ans. Pour créer une réserve de biodiversité, rien de plus simple ! Il faut renoncer à intervenir sur les lieux et laisser faire la nature. Le principe est simple : « ne pas déranger ». Plus d’infos : Agir pour l’environnement, 2 rue du Nord, 75018 Paris, www.agirpourlenvironnement.org

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