Les espaces protégés couvrent aujourd’hui environ 26 % du territoire français (métropolitain et ultramarin). Ce chiffre recoupe des réalités multiples : les parcs nationaux — sous protection intégrale avec l’autorisation de quelques pratiques extensives comme le pastoralisme —, qui couvrent près de 8 % du territoire français ; les parcs naturels régionaux — qui ne réglementent pas l’activité humaine mais valorisent de grands espaces ruraux habités en s’appuyant sur le patrimoine naturel et culturel — qui représentent près de 16 % du territoire, mais aussi les espaces naturels sensibles, les zones Natura 2000, etc. La protection des espaces s’opère par voie réglementaire (1) ou contractuelle (2) mais également souvent par la maîtrise foncière d’un territoire, comme le font les Conservatoires d’espaces naturels ou les départements en achetant des terres.
Protéger des espaces et des espèces
D’autres pratiques se sont concentrées sur la protection des espèces sauvages rares et vulnérables. Des plans nationaux d’action ont été adoptés pour défendre des espèces endémiques ou inscrites sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature, comme le grand tétras, dans les Alpes, ou les tortues marines, dans les Antilles. La protection des habitats naturels (renforcés par la déprise agricole) a permis le retour sur le sol français de grands prédateurs, dont le loup. Des réintroductions d’animaux éradiqués des montagnes, comme certains oiseaux (vautours) ou mammifères (ours, bouquetins) ont été initiées par l’État. Mais ces opérations ne concernent qu’une toute petite partie de la biodiversité menacée.
S’intéresser à la nature ordinaire
La valeur de la « nature ordinaire », à savoir les espèces, paysages ou écosystèmes proches des humains dans des milieux urbains ou agricoles, est de plus en plus considérée. Des opérations de restauration écologique sont mises en œuvre. Des projets visent par exemple à redonner leur lit « naturel » aux rivières françaises, qui sont pour quasi la moitié d’entre elles en mauvais état écologique (en raison de pollutions, de la construction de digues ou de l’exploitation de leur eau ou graviers).
La nature est aussi pensée de façon plus dynamique, en cherchant à sauvegarder les continuités écologiques entre les écosystèmes pour donner, par exemple, des moyens à la faune sauvage de se déplacer. Des passerelles à chauve-souris ont ainsi vu le jour au-dessus de certaines autoroutes afin d’éviter la collision entre ces mammifères et les voitures. Mais n’est-ce pas un pansement face aux réelles causes de la dégradation de la nature ?
Politiser la protection de la nature
Le premier site naturel protégé de France, créé en 1853 à Fontainebleau, s’est constitué grâce à des mobilisations politiques. Des artistes peintres venant s’inspirer des lieux se sont opposés aux coupes dans le massif et ont permis de protéger un patrimoine en le soustrayant aux règles forestières habituelles, pour faire exister un territoire hors de logiques marchandes. Mais cette vision politique de la conservation semble avoir été un peu oubliée pour laisser la place à une approche techniciste. Aujourd’hui, la conservation de la biodiversité s’appuie sur des expertises scientifiques et techniques telles que des inventaires d’espèces ou d’habitats dits « remarquables », dont la liste est dressée selon des critères internationaux. Sa mise en œuvre s’applique aux territoires et à ses habitant·es, avec parfois des logiques néocoloniales (3), en imposant une vision par le haut de ce qui doit être protégé ou non. Les usages sociaux des lieux sont souvent mis à l’écart lorsqu’il s’agit de créer un nouvel espace protégé (4).
Les politiques publiques de la conservation sont en outre de plus en plus soumises à des logiques néolibérales qui imposent aux institutions des méthodes de gestion managériale (réduction des moyens financiers, fonctionnement par projet, développement d’approches marchandes pour préserver la biodiversité comme les services écosystémiques). Malgré la création annoncée par le gouvernement de nouvelles aires protégées, les moyens ne suivent pas. Les personnels de parcs nationaux se sont mis plusieurs fois en grève pour dénoncer cette situation (5).
Pour sortir des logiques capitalistes, inventer et habiter des espaces hors des logiques destructrices de l’environnement, de plus en plus d’acteurs appellent à la préservation du sauvage.
Préserver une part sauvage
La volonté de préserver, voire de restaurer une « nature sauvage » a toujours été présente en Europe. Cette notion est source de débat car le sauvage est représenté comme un espace inhabité, sur le modèle des vastes étendues de nature du continent américain. En Europe, les pratiques agricoles et forestières ont forgé la majorité des paysages et territoires. Scientifiquement, la possibilité de maintenir et restaurer ou non des espaces à haut niveau de naturalité dans ce contexte fait débat. Toutefois, des études scientifiques montrent que la diversité biologique a été mieux préservée dans les territoires des espaces protégés de tout type. Ces espaces seraient en outre particulièrement efficaces dans le contexte des changements climatiques.
Des mobilisations associatives se sont constituées récemment pour mettre en œuvre ce principe. Le réseau Rewild est une coalition européenne d’ONG qui œuvre au « réensauvagement » via la promotion de la libre évolution de forêts, la restauration de milieux naturels ou la réintroduction d’animaux sauvages. La réserve d’Oostvaardersplassen, aux Pays-Bas, a été l’un des premiers projets soutenus, dont les choix de gestion et l’efficacité ont été contestés. Des grands herbivores (cerfs, chevreuils) ont été introduits et vivent toute l’année dans un territoire clôturé sans alimentation supplémentaire. Mais en cas de conditions environnementales difficiles, ils ne peuvent pas aller s’alimenter ailleurs et meurent de faim, parfois en très grand nombre comme lors de l’hiver 2017-2018. Face aux protestations, l’État autorise des abattages préventifs de ces animaux.
En France, les projets de réensauvagement d’ampleur sont plus récents et posent question, lorsqu’ils excluent des pratiques ou des populations locales (voir « Reprendre des terres, laisser place au sauvage », p.7). Ces projets sont associatifs, parfois créés de façon déconnectée des territoires où ils s’implantent. Les institutions (comme les mairies ou les départements) sont alors peu enclines à les soutenir.
La disparition du monde sauvage est aussi une vraie question philosophique. La biodiversité est le produit d’une longue histoire et dans chaque être vivant se retrouvent la diversité, la complexité et la beauté du monde. Si la terre devient un territoire où l’être humain a tout fabriqué, même de façon bienveillante, il n’existera plus aucune extériorité, élément pourtant nécessaire au vivre-ensemble.
Gaëlle Ronsin
(1) La protection dans les parcs nationaux se traduit par exemple par une série d’interdictions portant sur l’extraction de ressources ou l’aménagement de l’espace pour le tourisme, entre autres. La création de parcs nationaux dans les années 1970 a permis, par exemple, d’interdire l’extension de certaines stations de ski dans les Alpes.
(2) Dans ce cas, la gestion d’un espace naturel est déléguée à un tiers (commune, associations, agriculteurs, etc.) dans le cadre d’une convention de maîtrise d’usage.
(3) Par exemple, la création du parc national de La Réunion a donné lieu à la perpétuation d’une vision néocoloniale du cirque de Mafate : ainsi, via la charte du parc, les « gens de la ville » tendent à imposer aux Mafatais la « bonne » façon d’habiter, comme le montrent les travaux des chercheurs Bruno Bouet ou Igor Babou.
(4) La sociologue Valérie Deldrève a par exemple montré comment la création du parc national des Calanques, aux portes de Marseille, a renforcé des formes plurielles d’inégalités environnementales, en définissant ce qui est considéré comme un patrimoine ou non. Ainsi, les compétitions de chasse sous-marine sont interdites car jugées contraires à la philosophie d’un parc mais les concours de pêche sont acceptés comme pratique festive associée à la « vie au cabanon », vue comme bonne tradition à préserver (1). Valérie Deldrève et Arlette Hérat, « Des inégalités garantes de la protection des Calanques ? », VertigO — la revue électronique en sciences de l’environnement, volume 12, no 2, 2012. http://journals.openedition.org/vertigo/12700
(5) Comme ailleurs, en mars 2021, les agents des parcs nationaux se sont mis en grève, par exemple au parc des Cévennes, pour contester des suppressions de postes. Voir le Syndicat national de l’environnement – FSU, 104, rue Romain-Rolland, 93260 Les Lilas, sne@fsu.fr, tél. : 01 41 63 27 30, https://snefsu.org
