Dossier Alternatives

Les basses technologies, késako ?

Guillaume Gamblin

Les basses technologies, késako ? Quelles sont leurs particularités, et en réaction à quoi ce mouvement se développe-t-il ?

Se brosser les dents avec une brosse électrique, lire le dernier roman sur une liseuse numérique, faire une division sur la calculatrice en ligne de son smartphone, aller faire ses courses en voiture guidée par satellite : autant de gestes du quotidien qui, pour certain·es d’entre nous, ont été transformés par le développement des high tech, les hautes technologies. Pourtant, des solutions plus simples et économes existent. C’est le champ d’exploration des basses technologies. Pour en cerner l’intérêt, il peut être bon de commencer par décrire ce à quoi elles s’opposent.
Résister aux logiques de l’aliénation technologique

Les basses technologies contestent, entre autres :

• la haute technologie comme horizon d’avenir. Aux rêves d’un futur fait de techniques ultrasophistiquées à base de micro- et nanoélectronique, de satellites, d’écrans, d’objets connectés à la 5G ou 6G. Ces « hautes technologies » sont par ailleurs très gourmandes en métaux rares et en énergie et, par leur hyperconnexion, génèrent un contrôle social totalitaire ;
• les technologies de l’aliénation et de la dépendance, opaques, telles que celles employées pour les nouveaux moteurs de voitures, avec leurs boîtes noires qu’il faut, à la moindre panne, envoyer chez un spécialiste sans avoir les moyens de comprendre comment elles fonctionnent ni comment les réparer soi-même ;
• la logique des brevets, qui interdit l’accès aux plans et la reproduction, obligeant ainsi à toujours revenir manger dans la main du producteur, dans un rapport marchand sans cesse entretenu et renouvelé ;
• l’uniformisation des objets et des outils, conçus selon un modèle unique puis produits et diffusés en masse dans une logique descendante, sans se soucier des besoins liés à la diversité des usages ;
• l’obsolescence programmée, qui consiste à réduire volontairement la solidité des objets produits, donc leur durée de vie, afin de générer une demande de renouvellement rapide c’est-à-dire de nouveaux achats. Logique qui conduit à la multiplication des déchets ;
• la dépendance au pétrole et au nucléaire, l’électrification du monde (1).

Quelques caractéristiques des basses technologies

Par opposition, le mouvement des basses technologies s’est construit avec la volonté de développer des techniques diverses :
• économes en matières premières et en énergie. Leur but est d’utiliser, lors de la construction comme de l’utilisation, le moins possible de métaux ou de matières rares et épuisables, en favorisant à la place des matières renouvelables et prélevées de manière modérée et adaptée aux ressources locales (bâtir en paille dans une région, en terre ou en bois dans une autre) ;
Le mouvement tente également de consommer le moins possible d’énergie demandant une extraction ou une production industrielle (énergies fossiles, nucléaire). Dans l’idéal, les basses technologies fonctionneront sans électricité, sans batteries, sans écrans (marmite norvégienne, vélo, clochette au lieu d’une sonnerie de porte). Certaines consistent tout de même à produire de l’électricité renouvelable, d’une manière simple et autonome (avec une éolienne domestique Piggott, par exemple), ou à choisir des outils utilisant un peu d’électricité. Il n’y a donc pas de frontière absolument étanche entre les basses technologies et les autres techniques, mais elles pointent une direction à suivre ;
• libres de droits, améliorables et adaptables. Les plans des objets ne sont pas soumis à des licences : ils sont disponibles librement à tout un chacun. À l’opacité qui conditionne la haute technologie, avec ses brevets et ses boîtes noires, se substitue une certaine transparence. Le libre accès aux plans doit permettre leur appropriation par chaque groupe pour l’adapter à ses usages et besoins ;
• facilement constructibles, réparables et utilisables. Elles ne nécessitent pas un niveau d’équipement technologique sophistiqué ni très coûteux, qui en concentrerait l’usage dans les mains de quelques acteurs industriels monopolistiques. Elles n’ont pas besoin d’un haut niveau de maintenance. Leur usage ne nécessite pas une expertise trop élevée. À l’opposé de la dépossession générée par le système industriel, ici le maître mot est la capacité du plus grand nombre à se les approprier dans leur construction, leur usage et leur maintenance :
• solides. Le but est de les rendre utilisables le plus longtemps possible. Pour cela, la solidité s’ajoute à la réparabilité ;
• accessibles économiquement. La fabrication et l’utilisation de ces techniques ne nécessitent pas beaucoup de capital. Bon nombre d’entre elles viennent d’ailleurs de pays du Sud (réfrigérateur solaire en argile sans électricité, ou stations de recharge solaires pour lampes solaires en Inde, par exemple) (2) ;
• partant des besoins concrets dans une logique ascendante. À l’inverse de la normalisation des machines ou des objets, il s’agit de s’adapter aux besoins liés à chaque situation concrète pour fabriquer de quoi y répondre de manière ajustée et unique, en termes de dimensions, d’accessibilité aux capacités physiques des personnes ou encore de fonctionnalités, à l’instar des machines agricoles fabriquées collectivement dans le cadre de L’Atelier paysan pour répondre aux besoins précis de chaque paysan·ne, dans une « innovation par l’usage ». Conçus et réalisés à partir d’un besoin concret, les plans de l’objet sont ensuite partagés pour être réutilisés, réappropriés, modifiés. Ils ne sont pas la reproduction d’un modèle dominant et ne servent pas l’imposition de normes ;
• autonomes. En fin de compte, l’autonomie est l’un des axes centraux qui guident la philosophie des basses technologies, notion transversale de l’ensemble des caractéristiques détaillées ci-dessus.
Les basses technologies sont souvent liées à une dynamique de décentralisation. Mieux vaut des centaines d’ateliers travaillant à répondre aux besoins en adaptant les techniques qu’une seule usine qui formate le même objet pour tout le monde.
Nous sommes proches de ce qu’Ivan Illich appelait la convivialité. « J’appelle société conviviale une société où l’outil moderne est au service de la personne intégrée à la collectivité, et non au service d’un corps de spécialistes. Conviviale est la société où l’homme contrôle l’outil » (3).
Guillaume Gamblin

(1) Par ailleurs, ces « hautes technologies » nous piègent dans leur système. Sous leur hégémonie, il devient très compliqué de s’en passer et de continuer à utiliser des basses technologies, comme l’a montré dès 2012 l’expérience épique de Silence de se passer d’internet pour réaliser un numéro (« Vivre sans internet », Silence no 407, décembre 2012).
(2) Voir par exemple Made in India — le laboratoire écologique de la planète, Bénédicte Manier, Premier parallèle, 2015.
(3) Ivan Illich, La Convivialité, Seuil, 1973

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