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Torri Superiore : un écovillage sur la frontière

Michel Bernard

C’est dans un ancien hameau médiéval, à quelques kilomètres de la frontière française et de la Méditerranée, que s’est développé un des écovillages les plus dynamiques d’Europe.

Fiche d’identité
Lieu : Torri, hameau de la commune de Vintimille, Italie, frontière avec la France - Date de création : 1989 - Population : 22 familles en permanence + une activité d’hôtellerie (12 chambres pouvant accueillir 25 personnes) - Surface des terres : 2 hectares en propriété + quelques hectares en location - Surface du foncier : 162 pièces soit plus de 3000 m² - Structure juridique : association pour les résidents, coopérative pour l’hôtellerie (7 salarié·es)

Entre le 14e et le 18e siècle, l’ancien village de Torri, sur la commune de Vintimille, a été construit sous forme d’une forteresse, en un seul bloc d’une centaine de mètres de long, avec un labyrinthe d’escaliers et de ruelles, sur huit niveaux différents. Il comprend 162 pièces et de nombreuses terrasses. Au 18e siècle, environ 200 personnes y habitaient. Puis les changements économiques et sociaux ont provoqué le déplacement du village un peu plus bas dans la vallée et l’exode d’une partie de la population.

Naissance d’un écovillage

Lorsque Christina découvre les lieux à la fin des années 1980, l’ensemble est à l’abandon. La commune ne sait que faire des bâtiments qui menacent de tomber en ruines et qui ont été plusieurs fois squattés (1).
Elle crée alors l’Associazione Culturale Torri Superiore en 1989 pour transformer cet ancien village en écovillage et y accueillir une communauté de résident.es. Le prix d’achat est très faible. Une vingtaine de familles se manifestent et un montage financier est mis en place : l’association gère la moitié des bâtiments, l’autre moitié est divisée en une vingtaine d’appartements que chaque famille achète et restaure. Toutes les familles font partie de l’association qui gère les lieux, et assurent différentes activités collectives : tous les repas sont pris en commun, les personnes de passage peuvent s’y restaurer et une partie hôtellerie est mise en place. L’association compte également une dizaines de membres extérieur.es, des personnes qui ont aidées au financement des chantiers.
La charte de l’association précise les principes de base de l’écovillage : faire du durable, développer la coopération, les activités culturelles et sociales, faire de l’agriculture biologique… Il n’y a aucun engagement politique ou religieux. Une assemblée générale se tient deux fois par an et fonctionne à la majorité. Un conseil d’administration se réunit plus souvent pour la gestion générale. Enfin des réunions des résident·es se tiennent chaque lundi pour la gestion de la vie quotidienne. Là, les décisions se prennent au consensus.
Au début, les habitant·es du village les regardaient avec méfiance, mais ensuite les chantiers de reconstruction, le développement des potagers, tout le travail effectué, les ont rassurés. L’écovillage a organisé des journées portes ouvertes, a participé à des chantiers communaux notamment pour l’entretien des chemins et très vite, il y a eu une relation de confiance.

Une situation stable

Le dernier changement de résident remonte à 2009. Au départ, il y avait beaucoup d’enfants, mais aujourd’hui, ils ne sont plus que 5 à vivre encore sur place. La partie hôtelière a servi pendant longtemps à loger les personnes qui venaient aider aux chantiers de reconstruction, mais désormais ces chantiers sont plus limités : l’ensemble du village a été restauré et toutes les pièces sont habitées.
Au fil des années, l’écovillage a loué ou acheté des terres agricoles. Le dernier achat en 2020, a été celui du champ sous les fenêtres de l’immense bâtiment, ce qui a permis d’y installer une zone maraîchère où viennent se servir directement les personnes qui préparent les repas. Le groupe possède plusieurs vergers dont 700 oliviers qui leur permettent d’être autonomes en huile, des abricotiers, des avocatiers, du raisin de table, des figuiers… La production de kumquat, un petit agrume, permet d’avoir des fruits au début de l’hiver. Il y a aussi des cerisiers, mais les oiseaux s’y nourrissent avant les humains.
Il y a eu des tentatives d’élevage de chèvres, mais la dispersion des parcelles disponibles nécessite une grande surveillance et cela a été abandonné. Il y a eu aussi une tentative avec des brebis, mais l’élevage pose des problèmes d’éthique : les jeunes mâles doivent être tués et personne ne se sent à l’aise avec cela (3 personnes sont végétariennes, de la viande est proposée seulement 2 à 3 repas par semaine). Il reste aujourd’hui des poules pour les œufs et deux vieux ânes qui finissent leurs jours tranquillement.

Ressources énergétiques

Sur le plan énergétique, il y a pas mal de capteurs solaires thermiques installés astucieusement sur les pentes de la montagne, à l’arrière du village, quasiment invisibles, qui fournissent de grandes quantités d’eau chaude. Au début des années 2000, des capteurs photovoltaïques ont commencé à être installés, sur les toits (8 kWc seulement) et cela ne produit qu’un peu de l’électricité consommée. Le collectif a renoncé à installer une pompe à chaleur à cause du bruit que cela entraîne. Reste donc essentiellement le bois et un peu de gaz. Ce dernier est utilisé en démarrage du chauffage ou lorsque, rarement, il fait très froid.

Ressources financières

Une partie des personnes résidentes travaillent à l’hôtellerie et à la préparation des repas collectifs (à la vingtaine de personnes résidentes présentes à l’année, il peut s’ajouter jusqu’à une quarantaine de personnes en saison estivale : globalement l’activité hôtelière permet de financer l’ensemble des frais de nourriture de tout le groupe). D’autres ont une activité extérieure comme la tenue d’un bar alternatif au centre de Vintimille. Certain·es sont devenu·es artisan·es après s’être formé·ees durant la restauration du hameau. Leurs savoirs sont recherchés : construction en pierre, ferronnerie et tout ce qui touche aux matériaux naturels et durables. Des personnes font de la formation en permaculture. D’autres en résolution non-violente des conflits (là aussi le lieu a été formateur !). Comme la cuisine collective leur a appris à faire des repas pour de grands nombres, de la restauration à l’extérieur est proposée à la demande pour des groupes, des événements culturels… Toutes les familles paient à l’association une cotisation mensuelle calculée pour couvrir les frais d’entretien généraux. Cette cotisation est fixée par adulte, les enfants étant considérés comme "bien commun" à l’ensemble de la communauté. En plus de cette cotisation, chacun·e doit s’engager à faire des choses pour la collectivité. Aux réunions hebdomadaires du lundi soir, un planning circule avec les tâches collectives : jardinage, cuisine, entretien.

Solidarités

Vintimille est un poste frontière très fréquenté par les migrant.es. De la même manière qu’il existe un fort réseau de solidarité pour l’accueil dans la vallée de la Roya du côté français, un réseau s’est mis en place du côté italien. Torri Superiore s’est associé avec la coopérative sociale SPES Auser (2). À l’origine, cette coopérative est née en 2011 pour créer des emplois pour des personnes handicapées. Elle a ouvert ainsi des zones de maraîchage, dispose de grandes serres et est soutenue par la commune. Progressivement, l’activité maraîchère a été ouverte aussi à des chômeu.ses. Comme en France, les réfugié.es ne peuvent pas officiellement travailler. Mais ils peuvent aider aux cultures et repartir avec leur nourriture. Et ils et elles sont nombreux à venir se nourrir en aidant aux jardins, en attendant un passage de la frontière. Il y a parfois jusqu’à 300 personnes, surtout d’Afrique noire, qui sont en attente sur la commune.
L’écovillage est adhérent du Réseau européen des écovillages. Pendant quatre ans, Torri Superiore a assuré le secrétariat de ce réseau et y est aujourd’hui toujours très actif. Christina et Lucilla continuent à assurer le secrétariat pour le réseau italien et se demandent pourquoi il y a si peu de réalisations en France (3).
Nous y avons trouvé une excellente dynamique et Christina nous en a confié la recette : « trop de groupes se penchent sur les problèmes techniques alors que le plus important ce sont les relations humaines ».

Michel B.

Contact 

* Torri Superiore, via Torri Superiore 5, 18039 Ventimiglia, tél : (39) 0184 21 55 04, info@torri-superiore.org (il y a une lettre électronique gratuite sur demande en italien ou en anglais)

(1) Il y a eu des trafics de drogue, une secte satanique, etc.
(2) Spes Auser Aps - Associazione di parenti e amici portatori di handicap
Corso Limone Piemonte 63 - 18039 Ventimiglia IM.
(3) Dans les rencontres européennes, elles ont souvent rencontré Longo Maï, les communautés de l’Arche et le Hameau des Buis, mais peu d’autres.


Vieillissement
Seuls deux appartements sont accessibles sans escalier. L’un des résidents, Massimo, a accueilli un temps sa mère sur place. Mais à un moment, celle-ci ayant du mal à marcher et des problèmes de vue, elle n’a pas pu rester sur place. Le problème qui s’est posé il y a quelque temps pour les parents, va se poser maintenant pour les résident.es les plus âgé·es.

Autres écovillages en Italie
Il existe plus d’une vingtaine de groupes adhérents au réseau des écovillages en Italie : 9 dans les Alpes du Nord, 6 près de la frontière avec la Slovénie, 2 vers Gênes, 3 vers Bologne, 3 vers Florence, 2 vers Pérouse, 2 dans le sud de l’Italie. On peut les retrouver, comme pour les autres pays, sur une carte en ligne : https://ecovillage.org

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