Dossier Alternatives Habitat

Choisir l’habitat léger

Martha Gilson

La crise du logement rend l’accès à l’habitat de plus en plus difficile, pendant qu’en parallèle, l’artificialisation des sols accélère dangereusement la destruction des écosystèmes. Face à ce désastre écologique et social, l’habitat léger fait son chemin.

« La légèreté de l’habitat, ce n’est pas une référence à son poids mais, en premier lieu, à son empreinte écologique. Puis une référence au poids économique pour la personne qui choisit ce mode d’habitat, car il demande peu d’investissement financier et peu d’entretien. Enfin, la légèreté parle de la réversibilité de l’habitat, de sa mobilité ». Paul Lacoste, membre du conseil d’animation d’Halem, donne d’emblée une définition globale de l’habitat léger. Et effectivement, celui-ci ne se résume pas, loin s’en faut, à un habitacle.

La diversité des habitats légers

Qu’est-ce qu’un habitat léger ? Une cabane dans une ZAD, une roulotte sur une aire réservée aux gens du voyage ? Qui y habite ? Les New Traveller’s, ces voyageu·ses en camion qui se déplacent entre différents événements culturels underground ou travaux saisonniers ? Un couple retraité qui loge dans un camping ? Il n’existe pas de réponse toute faite à cette question. Le terme même d’habitat léger ne fait pas consensus : certain·es préfèrent parler d’habitat atypique, mobile, ou encore réversible. C’est ce dernier terme, moins connoté et plus inclusif, qui semble aujourd’hui mobilisé institutionnellement par les associations. Pour Hameaux légers, « le terme ‘réversible’ nous a semblé le plus juste, car tous ces habitats ont en commun le fait de permettre au terrain de retrouver son état initial lorsqu’ils sont déplacés, démontés ou compostés ». L’association les classe en quatre familles : mobiles (tiny house, caravane, roulotte, voilier, etc.), transportables (mobile home, conteneur aménagé, péniche, etc.), démontables (yourte, tipi, maison nomade, etc.) et biodégradable (KerTerre – dôme de terre et de chanvre –, maison terre-paille, etc.). C’est néanmoins le terme d’habitat léger que nous retrouvons le plus souvent.

Un « choix » économique pour beaucoup

Il n’y a pas assez de logements sociaux et le prix du foncier a explosé depuis les années 2000. La courbe de Friggit, qui représente le rapport entre le prix des logements et le revenu par ménage le montre très clairement : entre 1965 et 2000, le logement représentait environ 10 % du budget d’un ménage. Ce pourcentage atteint aujourd’hui environ 30 %, selon l’Insee. Par ailleurs, en France, les 10 % les plus modestes consacrent 42 % de leurs revenus au logement, soit quatre fois plus que les 10 % les plus aisés (1).
Résultat : en milieu rural, le bâti devient souvent réservé aux résidences secondaires — la campagne étant perçue comme un espace de loisir, au détriment de l’agriculture et des espèces naturelles —, et il est quasiment impossible pour les personnes les plus modestes d’y accéder à la propriété. Dans ce contexte, l’habitat léger se révèle souvent une solution d’appoint, d’urgence, avant d’être pleinement choisi. Construire une cabane se révèle très économique (2), investir dans une yourte ou une caravane coûte moins de 10 000 euros… L’habitat léger permet aussi de repenser le rapport à la propriété : il est plus facile d’en devenir propriétaire (bien qu’on puisse en louer un, se le faire prêter, etc.). Il n’est pas forcément nécessaire d’être propriétaire du terrain sur lequel l’habitat est posé, celui-ci pouvant être mobile ou démontable.


L’hébergement d’urgence et l’habitat léger

Certaines municipalités ont bien compris les avantages de ce type d’habitat pour pallier à moindre frais les carences de l’hébergement d’urgence. Dix-sept tiny houses ont ainsi été installées en 2021 à Villeurbanne (Rhône), pour des femmes seules avec enfants en attente de régularisation. Solution déployée depuis les années 2000 aux Pays-Bas, où des milliers d’étudiant·es vivent dans des containers aménagés. Alors, l’habitat léger, une réponse à la crise du logement ? Pas de façon globale aujourd’hui en tout cas, alors qu’en ville il semblerait plus intéressant de réquisitionner les milliers de logements vacants qui alimentent la spéculation immobilière.
Un choix écologique de plus en plus affirmé

La dimension écologique de ce type d’habitat est de plus en plus mise en avant. Pour les habitant·es de cabanes ou de yourtes, le rapport à la nature est primordial et le choix de l’habitat est aussi important que celui du terrain qui va l’accueillir. « Aujourd’hui, pour construire en dur, il faut artificialiser les sols, il faut bétonner, il faut extraire beaucoup de matières, de sable bitumeux, rappelle Jonathan Attias, un des fondateurs du mouvement Désobéissance fertile. Quand on cherche un moyen de légitimer nos activités humaines, lorsqu’on réfléchit à l’habitat, il devient évident de choisir l’habitat léger qui est sobre, intime, fait avec des matériaux écologiques. Il n’a pas d’emprise au sol. Il y a toujours une réversibilité de nos présences. Cette notion d’habitat en dit long sur le rapport que l’on entretient avec d’autres espèces. Quand on est dans de gros habitats en dur, on veut imposer notre présence. Dans l’habitat léger, on va au contraire s’introduire, il y a une notion d’humilité. »


Vivre en yourte
Didier s’est posé sur un terrain à côté de son ami Guillaume, avec sa yourte, en juin 2020, à proximité de Poitiers. Le propriétaire était d’accord et cette installation est la concrétisation d’un changement de vie radical. Artisan, il a l’envie de se tourner vers autre chose, et se lance dans un bilan de compétence. « J’avais un mois que je pouvais faire dans une entreprise, et j’ai découvert La Frênaie [coopérative de construction de yourtes]. Leur projet m’a bien plu, donc je me suis installé là-bas. Pour passer un moment, je me suis occupé du jardin de l’écocamping. Sur le camping, il y avait un vieux mobile home qui était libre et un petit atelier à côté. Je ne connaissais pas du tout le milieu alternatif. C’est leur façon d’envisager le travail qui m’a plu, un travail beaucoup plus coopératif, beaucoup plus d’écoute. » Didier a construit sa yourte et, petit à petit, a adopté un autre mode de vie. « Les gens qui habitent en habitat léger, en général, sont beaucoup moins dans la consommation, plus dans la relation. Vivre en habitat léger t’apporte un autre rapport à la nature, et je pense que la nature est primordiale pour comprendre les relations. » La proximité d’une maison en dur lui permet le raccordement à l’eau et à l’électricité, « et puis cet espace circulaire, c’est reposant, souligne Didier. Tu peux rester assis à regarder, à méditer. C’est une construction étonnante, très simple, systémique. Tous les éléments travaillent ensemble. L’ossature de la yourte est en bambou, la toile extérieure est une toile de bateau et l’isolation est faite de laine de mouton. Je ne brûle que deux stères de bois par an pour me chauffer ! » Projet individuel, la vie en yourte n’est pourtant pas une vie solitaire. « Mon rêve serait d’habiter sur un grand terrain avec d’autres personnes en yourte et de mutualiser des choses, explique Didier, de faire les choses ensemble, tout en ayant chacun son indépendance. »
Lutter contre la stigmatisation

Les habitant·es d’habitats légers sont parfois rejeté·es à cause de préjugés et perçu·es comme indésirables. Les gens du voyage, qui habitent en caravane, sont fortement stigmatisés et discriminés. De nombreuses municipalités rechignent à les accueillir ou placent les aires d’accueil en sortie de ville, à côté de déchetteries ou d’installations polluantes. William Acker, juriste issu d’une famille de voyageurs, a publié en 2021 Où sont les « gens du voyage » ? (Éditions du Commun), livre dans lequel il étudie la situation géographique des aires dites « d’accueil », quartiers réservés aux gens du voyage — les voyageurs n’ayant pas le droit de stationner ailleurs. Toutes les communes de plus de 5 000 habitant·es ont l’obligation de se doter d’une aire d’accueil, mais seules 3, 6 % d’entre elles en possèdent effectivement une. Ces aires sont généralement de grandes étendues goudronnées et insalubres, dotées d’équipements sanitaires réduits au minimum — parfois même en dessous du minimum —, et leur emplacement témoigne des inégalités environnementales que cette partie de la population subit. Le terme administratif désignant les « gens du voyage » renvoyant en pratique aux populations gitanes ou manouches, William Acker parle de « racisme environnemental » pour désigner ces politiques publiques qui les assignent à des espaces isolés et pollués.
Autre groupe stigmatisé, les habitant·es de cabanes, qui seraient de dangereu·ses zadistes, instables et imprévisibles. La précarité économique supposée engendrerait des comportements inquiétants voire déviants. Ces préjugés accentuent les difficultés à s’installer en habitat léger et poussent parfois ses habitant·es à la discrétion. « Il y a aussi cette dimension légère, donc non pérenne, explique Angéline de Hameaux légers. Il peut y avoir une vision qui considère que les habitants d’habitat léger et d’habitat réversible ne seront pas présents sur le territoire à long terme. »
« On ne s’autorise pas à vivre dans ces habitats légers, déplore Guillaume, membre de l’association Habitats libres en Poitou. Notre but est de travailler sur cet imaginaire. Le manque de perspective entraîne le manque d’action. » Comme le rappelle de son côté le réseau Relier, « il est important que le développement de l’utilisation de l’habitat léger ne se fasse pas faute de mieux. Il serait bien sûr réducteur de systématiquement stigmatiser un habitat léger comme étant un habitat précaire. Il est essentiel de tenir compte du fait que le choix de l’habitat d’une personne peut être, sinon le résultat de sa condition économique et de ses liens sociaux, lié à des choix politiques et/ou culturels ou tout simplement lié à l’idée que chacun se fait du confort. En bref, certaines personnes refusent un logement conventionnel et il leur est interdit de vivre leur choix ».

Qui habite en habitat léger ?

Faute d’une définition claire adoptée par l’Insee, il n’est pas possible de quantifier le nombre de personnes qui résident en habitat léger. La fondation Abbé Pierre, qui a publié en 2021 son 26e rapport annuel sur l’état du mal-logement, dénombre plus de 300 000 personnes sans domicile, à la rue ou dans des hébergements d’urgence, dont 100 000 vivent dans des habitations de fortune ou à l’année en camping (3). La fondation dénombre par ailleurs 208 000 « gens du voyage » subissant de mauvaises conditions d’habitat. Ces chiffres prennent l’angle du mal-logement et ne permettent pas d’appréhender le mouvement de l’habitat léger choisi. Qui veut habiter léger ? « Une bonne partie des 60 % d’urbains qui veulent quitter la ville ! », plaisante Paul Lacoste. L’envie de résider en habitat léger se fait de plus en plus forte, pour des raisons économiques ou écologiques. « Les personnes en tiny house ne sont pas les mêmes que celles qui habitent en yourte, poursuit Paul. Ce sont plutôt de jeunes couples de classe moyenne qui sont attirés par les tiny house : cela coûte quand même 40 000 euros. En yourte, il y a des gens différents, mais c’est un habitat plus fragile, on s’y sent plus vulnérable. Les habitants sont des personnes qui vont se sentir fortes, qui ont plus envie de cette relation avec la nature. La yourte est incomparable, en terme d’osmose avec le terrain. »
Le réseau Relier a récolté l’avis de Frédéric Liévy, qui est issu d’une famille dite de voyageurs. Il vit avec sa femme et ses six enfants sur un terrain dont ils sont propriétaires depuis quelques années, dans la commune de Frouzins, au sud de Toulouse (Haute-Garonne). Selon lui, « la crise du logement qui s’élargit jusqu’aux classes moyennes provoque l’arrivée de catégories nouvelles de SDF pour qui l’habitat léger peut s’avérer une solution. Ainsi, en France, au petit million de personnes qui vivent en habitat léger, on peut ajouter aux 450 000 ‘gens du voyage’, 250 000 ‘alternatifs’ ayant ‘choisi’ d’autres modes de vie et 100 000 habitants en camping, plus les quelques milliers de personnes qui, actuellement chaque mois, grossissent le nombre d’individus sans domicile fixe, quittant leur appartement sans forcément passer par l’expulsion, donc par les statistiques officielles. Ici se fait jour l’opportunité de défendre la reconnaissance d’usages qui tendent à se développer. »
Pour Guillaume, au début du renouveau de l’habitat léger, les personnes qui s’impliquaient étaient souvent des diplômé·es en reconversion. « Maintenant, le public s’est diversifié, poursuit-il. Il y a des projets apicoles, de boulangerie, de maraîchage : c’est davantage la défense d’un autre modèle, d’un projet de société vivrier, social. »

Alors, précaires, les habitant·es des cabanes ? Ça dépend, et la question du choix est ici déterminante. Guillaume critique tout de même le point de vue de la fondation Abbé Pierre qui aurait une approche misérabiliste des personnes résidant dans des habitats légers : « Elle parle de mal-logés. Mais est-ce que quelqu’un qui habite en yourte est mal logé ? »

Martha Gilson

(1) « Un manque de logements locatifs, la hausse des prix du bâti comme des loyers, l’étalement urbain et rural avec des pertes énormes de terres agricoles, la spéculation immobilière, l’abandon des cœurs de bourg, la gentrification, etc. Le logement est un problème devenu systémique qui engendre, au niveau national, près de 8 millions de personnes en situation de mal-logement ou de fragilité dans leur logement. Dès lors, positionner un territoire comme une terre d’accueil nécessite d’offrir une variété d’habitat sans pour autant artificialiser les sols (160 ha de surfaces agricoles utiles disparaissent chaque jour) ni vider les centres-bourgs, encore moins favoriser la spéculation, amplifier l’étalement urbain. » Regards croisés sur l’habitat léger/mobile, RELIER, 2012.
(2) Parfois, cela ne coûte rien si l’on utilise des matériaux de récupération.
(3) En 2010, un rapport d’information parlementaire sur le statut et la réglementation des habitats légers et de loisirs apportait quelques précisions : l’habitat léger et mobile permanent et l’hébergement en camping concerneraient entre 70 000 et 120 000 personnes (étudiants, travailleurs saisonniers, ouvriers de chantiers, demandeurs d’emplois…), tandis que sont dénombrées 250 000 parcelles privées sur lesquelles se pratique le camping, dont 80 % seraient en infraction au code de l’urbanisme et de l’environnement.

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