Article Françafrique Nord-Sud

Françafrique, bière et paradis fiscaux

Mehdi Derradji

Premier négociant français de vin, propriétaire notamment du groupe Nicolas, Castel est aussi – et surtout – un empire françafricain de la bière et des boissons gazeuses. Mais pendant que le groupe Castel brasse de l’or, les peuples africains trinquent.

S’étendant sur plus de 25 pays, bien au-delà du pré carré africain traditionnel de la France, le groupe Castel est aussi présent dans le secteur des jus de fruit, des eaux minérales, du sucre et des huiles végétales. C’est au Gabon, à la fin des années 1960, que Castel ouvre sa première brasserie. Dans les années 1970 et 1980, le groupe ouvre d’autres brasseries sur le continent, mais c’est véritablement en 1990, lorsqu’il rachète les Brasseries et glacières internationales, que Castel s’impose comme le leader des boissons en Afrique francophone. Depuis, fort de ses liens privilégiés avec les chefs d’État africains et les banques qui soutiennent ses investissements, Pierre Castel n’aura de cesse de développer son empire.

Pratiques anticoncurrentielles

Le tournant néo-libéral des années 1980 a été déterminant dans la trajectoire du groupe Castel, mais ce sont principalement les relations de son fondateur et sa pratique assidue de l’évasion fiscale qui assurent la prospérité de la multinationale. Pierre Castel sait en effet s’adjoindre les services de personnalités politiques françaises influentes. Mais il a surtout su entretenir une grande proximité avec les chefs d’État des pays dans lesquels il opère. Ses réseaux incluent en effet de nombreux dictateurs. Cette proximité se traduit par l’attribution en sa faveur d’entreprises publiques sans appel d’offre comme en Angola en 2005, ou par la mise hors course de concurrents comme au Burkina Faso au début des années 2000. Castel ne s’embarrasse pas non plus de scrupules lorsqu’il s’agit de défendre ses intérêts. Ainsi, une de ses filiales centrafricaines a récemment été accusée par une ONG étasunienne de défense des droits humains de financer un groupe armé afin de garantir le bon déroulement de ses activités.



« La sentinelle » appelle à des réactions immédiates fortes

The Sentry (la sentinelle) est une ONG américaine dont la mission consiste à enquêter sur l’argent sale généré par la criminalité accompagnant les guerres, en Afrique notamment. Elle est partenaire de la Clooney Foundation for Justice. Son rapport publié le 18 août 2021 porte le titre éloquent de : Culture de la violence : le groupe Castel, géant français du sucre et des boissons, lié au financement de milices armées en République centrafricaine. Il démontre que Castel, via sa filiale la SUCAF, contribue aux pires exactions dans le pays et à la prolongation du conflit armé, depuis plus de six ans, et en toute connaissance de cause. La gravité des faits est telle que The Sentry recommande, entre autres, une mobilisation urgente du parquet anti-terroriste français, celle de la Cour Pénale Internationale et celle de la Cour spéciale de la République centrafricaine. L’ONG en appelle aussi à tous les conseils d’administration et actionnaires de « l’empire d’affaire de Pierre Castel » pour se saisir d’urgence du dossier.
Évasion fiscale

Si le groupe Castel est connu depuis longtemps pour ses pratiques anticoncurrentielles, il l’est tout autant pour son recours assidu à l’évasion fiscale. Un mécanisme complexe de sociétés domiciliées dans des paradis fiscaux permet en effet au groupe de placer ses bénéfices dans des places offshore. Ainsi, ses principales marques, comme ses centrales d’achat, sont domiciliées dans des pays à la fiscalité accommodante. Les sommes soustraites aux administrations fiscales du continent permettraient le financement de services publics essentiels pour les populations africaines. De plus, en favorisant les échanges commerciaux entre sociétés appartenant au même groupe, ce système d’évasion fiscale facilite les manipulations des prix et les fausses facturations, réduisant d’autant plus l’imposition sur les bénéfices dans les pays dans lesquels l’entreprise opère. L’ascension du groupe Castel démontre, s’il en était encore besoin, la profondeur des réseaux françafricains ainsi que l’inanité de la théorie du ruissellement.

Les pistes d’action

En lien avec la Plateforme Paradis fiscaux et judiciaires (qui réunit 19 organisations françaises en lutte contre ces fléaux), Survie place les exigences de transparence et de justice fiscales au cœur de l’action pour contrer le groupe Castel et les multinationales sans scrupule. Il s’agit notamment de soumettre ces groupes à l’obligation de publier des rapports d’informations sur leurs activités, pays par pays. Une directive européenne en ce sens est en cours de négociation mais ne devrait évidemment pas se limiter aux pays européens pour être efficace. Il s’agit aussi de rendre publiques et effectivement accessibles les informations sur les propriétaires réels des sociétés.

L’obligation pour les multinationales de payer des impôts pays par pays, en fonction des activités réelles et avec un taux minimal d’imposition effectif est une idée qui fait son chemin. Cependant, face à la lenteur des négociations internationales au sein d’instances telles que le G20 et l’OCDE, des pays du Sud s’efforcent d’obtenir la création d’un organisme fiscal international à l’ONU, qui leur donnerait un vrai pouvoir de négociation.

Mehdi Derradji

Association Survie, 21ter Rue Voltaire, 75011 Paris, tél. : 09 53 14 49 74, https://survie.org.

Pour en savoir plus
« Rapport Castel. Une enquête sur les stratégies d’évitement de l’impôt de la multinationale françafricaine des boissons », disponible sur https://survie.org.

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