En février 2020, nous avons fait le choix de cesser définitivement notre activité d’économie circulaire portant sur la collecte innovante d’emballages. Après plus de trois ans, nous n’avons pas su rendre notre entreprise pérenne et surtout, nous avons perdu beaucoup d’intérêt pour notre projet.
La naissance du projet et son développement
L’aventure La Boucle verte débute en octobre 2016 à Toulouse. Tout juste diplômés d’une école de commerce, sensibilisés à l’entreprenariat et un peu rêveurs, nous voulions créer une entreprise capable de collecter tout objet, reste ou résidu pour le recycler, pour transformer tout déchet en une matière première qui a de la valeur.
Un seul problème, nous n’avions ni argent, ni expérience, ni réseau, ni crédibilité. Il fallait commencer par quelque chose de très simple et cette bonne vieille canette métallique nous a séduits ! Soi-disant composée à 100 % de métal et recyclable à l’infini, nous pensions pouvoir créer une logistique bien rodée afin de les collecter dans les fast-foods pour les revendre à des grossistes en métaux pour qu’elles soient recyclées. Après avoir ruiné le coffre de la voiture et s’être attiré les foudres des voisins pour avoir stocké les canettes dégoulinantes dans la cave de notre immeuble, il était temps d’apporter notre butin chez le ferrailleur grâce à la camionnette d’un ami. Après s’être fait enregistrer, nous dégotons notre premier chèque. Et quel choc ! Il n’y avait pas d’erreur de zéro, nous avions bel et bien gagné 38 euros, même pas de quoi payer l’essence de ce mois de collecte. À ce moment-là, nous avons fait un grand pas dans notre compréhension du secteur du recyclage : la majorité des déchets ne valent pas le prix de l’effort qu’il faut faire pour les collecter et, sans obligation réglementaire ou volonté de leur propriétaire de les trier, ces derniers n’ont aucune chance d’être recyclés.
Il fallait trouver une nouvelle idée pour rentabiliser la collecte. Près de cinq mois s’écoulèrent pendant lesquels nous expérimentions tous types de solutions jusqu’à ce que le Can’ivor voie le jour : un collecteur de canettes mis gratuitement à disposition des fast-foods et qui sert de support publicitaire. Plus besoin de gagner des sous avec la vente des canettes, il suffisait de vendre de la pub sur le collecteur pour financer le service de collecte et dégager une marge.
Fabrication des premiers Can’ivors
Mais, après six mois de démarchage commercial à gogo, pas le moindre client pour nous acheter nos espaces publicitaires ! Après avoir changé le look du Can’ivor, de logo, de slogan, de site internet, de plaquette commerciale, gagné quelques concours, chopé quelques articles, s’être payé les services de super graphistes, avoir créé toute une série de mots nouveaux, s’être familiarisés avec le jargon de la pub, avoir lancé la mode du « cool recycling », et réalisé une vidéo cumulant 3, 3 millions de vues sur Facebook, nous commencions à peser dans le start-up game ! Et… les emplacements publicitaires se vendaient !
La fin du projet
Le problème, c’est que la majorité de nos clients étaient en réalité plus intéressés par le fait de nous filer un coup de pouce pour soutenir notre initiative ou de s’associer à notre image écolo que par notre service d’affichage en lui-même. Une fois le buzz terminé, les ventes s’essoufflèrent… Après s’être débattus pendant près d’un an à tout repenser, il fallait se rendre à l’évidence, il n’y avait pas de marché pour notre service.
Fin 2019, nous avons fait le choix de retirer l’intégralité de nos collecteurs munis d’emplacements publicitaires pour jouer notre dernière carte, celle du service de collecte payant. En l’espace de trois ans, les mentalités avaient bien changé, nous étions reconnus à Toulouse et avions l’espoir que ce modèle plus simple fonctionne. Malheureusement, après quatre mois d’essai, nous en sommes revenus à l’un de nos premiers constats qui était que la majorité des structures n’étaient prêtes à payer pour un service de collecte que si elles y étaient contraintes par un marché réglementaire. Après tant de tentatives, nous étions à bout de force, démotivés et à cours de trésorerie. Mais surtout, nous avions perdu foi en ce que nous faisions, nous ne nous retrouvions plus dans nos envies de départ. Même si nous étions parvenus à collecter des centaines de milliers de canettes, nous étions principalement devenus des vendeurs de publicité. Et le pire (ou le mieux) dans tout ça, c’est que nous avons également perdu confiance dans le secteur tout entier du recyclage et dans cette idée de croissance « verte ». La Boucle verte mourut.
Les réalités de la filière emballages et du recyclage
Lorsque nous nous sommes lancés dans le projet, la canette nous paraissait être un emballage idéal. De nombreux sites internet lui attribuaient le mérite d’être l’emballage le plus léger qui soit entièrement recyclable et à l’infini. On pouvait lire qu’une canette triée redonnait naissance à une canette neuve en 60 jours et que cet emballage était bien recyclé en France (60 % d’entre elles). Persuadés de participer à une œuvre écologique et de pouvoir encore améliorer ce taux de recyclage, nous avons foncé tête baissée pour collecter nos canettes ! Mais la suite de nos aventures et notre longue immersion dans les coulisses du secteur nous ont montré une vérité tout autre. Bon nombre d’informations que l’on trouve sur internet sont très superficielles, enjolivées et se passent d’explications approfondies concernant le devenir des déchets. Et pour cause, ces documents sont en majorité rédigés par les acteurs économiques du secteur ou les géants du soda eux-mêmes, qui n’ont pour but que de défendre leurs intérêts en faisant la promotion des emballages. La filière boisson préfère vendre son soda dans des emballages jetables (c’est bien plus rentable), la filière canette promeut son emballage comme étant le meilleur, et la filière en charge de la collecte ne peut gagner sa croûte que si des emballages sont mis sur le marché : principe de l’écocontribution.
On peut lire qu’en France, « 60 % des canettes aluminium sont recyclées ». L’idée qui vient à l’esprit de toute personne lisant ceci est que ces 60 % proviennent de la collecte sélective, mais en réalité pas du tout. Seulement 20 % des canettes sont captées par le tri à la source, le reste se retrouve avec le « tout-venant » et est enfoui ou incinéré. Les 40 % recyclés restants ne proviennent donc pas des centres de tri mais des résidus de combustion des incinérateurs (les mâchefers) qui contiennent également des dizaines d’éléments différents mélangés et carbonisés, dont des métaux lourds. De cette part ci, 45 % de l’aluminium (qui a grandement perdu en qualité) est extrait et parvient à rejoindre la filière classique (les fonderies) tandis que les 55 % restants sont irrécupérables et utilisés avec les autres résidus dans le BTP comme sous-couche pour les routes. Par ruissellement, les particules polluantes de ces déchets se retrouvent ainsi dans les nappes phréatiques…
En bref, voici grossièrement ce qui devrait être écrit sur ces documents : « En France, 38 % des canettes sont recyclées comme matière première secondaire, 22 % sont valorisées en sous-couche routière, et 40 % sont directement enfouies en décharge. »
« La filière en charge de la collecte ne peut gagner sa croûte que si des emballages sont mis sur le marché. »
L’impossible recyclage
D’autre part, quiconque a déjà visité un centre de tri est en mesure de comprendre qu’il est impossible de séparer parfaitement les milliers de modèles d’emballages différents, de toutes tailles, qui sont souvent des assemblages (carton et plastique), qui sont souillés et défilent à toute vitesse sur les tapis roulants. À Toulouse, sur cinq camions qui arrivent au centre de tri, deux repartent en direction de l’incinérateur : il y a 40 % d’erreurs !
Et cette part de nos déchets qui parvient à sortir en vie des centres de tri devient-elle alors une précieuse ressource, comme le voudrait l’économie circulaire ? Mais non, même pas. Lorsque ces emballages ne trouvent pas de repreneurs, certains matériaux comme le carton voient leur valeur devenir négative ! Oui, il faut payer pour s’en débarrasser… Et ce n’est pas fini, après la collecte et le tri, il faut passer au recyclage !
Fin mai 2019, nous avons été invités par la filière aluminium à une réunion de travail et une visite du plus grand site de recyclage français : Constellium, dans le Haut-Rhin. Alors que nous étions persuadés que nos bonnes vieilles canettes redonneraient un jour vie à de nouvelles canettes, nous avons eu la stupéfaction d’apprendre par les ingénieurs qui y travaillaient que les balles d’aluminium provenant des centres de tri français étaient inexploitables. Leur qualité était mauvaise et il était par conséquent impossible de les utiliser comme matière première car la fabrication de canettes utilise des technologies très pointues et ne peut s’opérer qu’à partir de métaux d’une grande pureté… C’était le comble ! Depuis le début, aucune de nos canettes n’avait redonné vie à d’autres canettes et elles étaient en fait utilisées pour des pièces moins exigeantes comme des blocs-moteurs. Quand on sait que les emballages en aluminium sont considérés comme les plus facilement recyclables et qu’en France, nous ne sommes toujours pas capables de les fabriquer à partir d’emballages recyclés français, on n’ose même pas imaginer le devenir de nos bouteilles plastiques et encore moins de tous ces nouveaux emballages qui font désormais partie de « l’extension de la consigne de tri ».
Et même dans un monde idéal, une canette ne pourrait être recyclable à 100 % puisqu’elle n’est pas 100 % métallique (1). Quelle que soit donc la performance de notre système de collecte et de tri, il sera impossible de continuer d’en produire pour des siècles et des siècles sans continuer d’extraire de la bauxite en Amérique latine. Vous l’avez compris, le recyclage n’est pas la panacée ! Il devrait n’intervenir qu’en dernier recours et non pour récupérer la matière d’objets n’ayant servi que quelques minutes.
L’économie circulaire ne répondra pas aux enjeux de la crise écologique
La conclusion que nous avons tirée de cette histoire est que ce secteur, en très lente évolution, ne répondra pas aux enjeux de la crise écologique et qu’il promeut malgré lui la production d’objets peu durables, donc le gaspillage de ressources. Comme se plaisent à le répéter bon nombre d’associations, « le meilleur déchet est celui qu’on ne produit pas » et, dans un monde idéal, le seul déchet que nous devrions produire est celui d’origine naturelle, celui qui peut retourner à la terre n’importe où pour l’enrichir. La vision de La Boucle verte était de créer des modèles d’économie circulaire qui fonctionnent comme la nature, mais quelle arrogance ! Lorsqu’une feuille tombe d’un arbre, elle ne part pas en camion au centre de tri. Et lorsqu’un animal meurt dans un bois, il n’est pas incinéré. La vraie économie circulaire, ce n’est pas celle qui tente d’imiter la nature, c’est celle qui tente d’en faire partie.
L’équipe de la Boucle verte
(1) En effet, sa paroi extérieure est couverte de vernis et sa paroi intérieure est garnie d’une fine couche de plastique qui évite que le liquide ne soit en contact avec le métal. De plus, à chaque fois qu’un métal est fondu, une portion de celui-ci disparaît, on appelle cela « la perte au feu ».
Extraits d’un texte publié initialement sur le site https://laboucleverte.fr en mai 2020