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Le péril vert

Stephen Kerckhove

La société du spectacle, tel un moloch insatiable, engloutit les polémiques à un rythme stroboscopique. Elle se nourrit de notre besoin d’émotions intenses en produisant du clash sans lendemain tout en maintenant les prisonnièr·es volontaires que nous sommes dans une torpeur extatique, mélange d’irréalité télévisuelle et d’étranges étrangetés.

Mais en érigeant l’hystérisation de la vie publique au rang de banalité, c’est notre relation à l’autre et au monde qui s’en trouve modifiée. Depuis Guy Debord, chacun·e sait plus ou moins consciemment que le « vu à la télé » n’est qu’un miroir déformé qui a la profondeur superficielle d’un écran plat. Pourtant, ce climat entretient l’idée que la « punch line », le tweet laconique ou la certitude éculée vaudront toujours mieux qu’un débat respectueux des acteurs en présence.
C’est dans ce contexte politico-médiatique qu’une poignée de nouve·lles élu·es écolos ont eu les honneurs fugaces de la presse nationale.

L’insignifiant cache l’essentiel

Notre maison brûle, chaque année bat de nouveaux records de température, la banquise fond, l’irréversible est d’ores et déjà derrière nous mais ce qui fait la Une des journaux, c’est la décision du maire de Bordeaux de ne pas ériger un sapin à l’occasion des festivités de Noël…
Trois quarts des insectes ont disparu en moins de 30 ans, nous sommes au cœur d’un effondrement des écosystèmes, la moitié des zones humides a disparu en un demi-siècle, nous artificialisons l’équivalent d’un département tous les 7 à 10 ans, mais ce sont bien les propos du maire de Lyon vis-à-vis du Tour de France qui retiennent l’attention.
Notre monde confiné retient son souffle, par centaines de milliers, vie·illes et moins vie·illes passent à trépas sous l’effet d’une pandémie mondiale dont l’une des causes est sans nulle doute l’industrialisation de l’élevage mais nous détournons l’attention en polémiquant sur les propos de la maire de Poitiers appelant à changer d’imaginaire vis-à-vis de l’aviation.
Tout ce qui est excessif est insignifiant affirmait déjà Talleyrand. Mais nous aurions tort de croire que cette petite musique entretenue par les tenants du productivisme finissant ne crée pas un climat, une ambiance, une tonalité. L’objectif est pourtant évident : faire passer ces nouve·lles élu·es pour de dou·ces rêveu·ses… le couteau entre les dents, rejouant la fable du péril vert menaçant notre belle démocratie en surchauffe climatique.
Incidemment, les promoteurs de ces vaines polémiques posent, pierre après pierre, une stratégie d’endiguement. En allumant des contre-feux, ils obligent ces élu·es à sortir du réel pour entrer dans une spirale infernale faite de propos définitifs et petites phrases ciselées par des agences de com’ rodées à ce type d’exercice.
À l’heure des crises climatiques, face à l’effondrement des écosystèmes, au regard des menaces que l’extrême-droite et la droite-extrême font peser sur nos libertés fondamentales, nous n’avons pas le droit de nous égarer sur les voies sans issue de cette société du spectacle. Désertons ce terrain stérile et restons concentré·es sur l’essentiel en œuvrant avec ténacité et perspicacité pour une planète vivable.
Stéphen Kerckhove

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