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Petit Conseil

Stephen Kerckhove

Faire confiance à la justice de son pays requiert parfois une bonne dose d’inconscience ou d’angélisme. En rejetant le recours d’Agir pour l’Environnement, de la Confédération paysanne et de Nature et Progrès déposé pour tenter d’obtenir la suspension de la réautorisation des insecticides néonicotinoïdes pour le traitement des semences de betteraves, le Conseil d’État a fait montre d’une indépendance toute relative à l’égard du lobby agrochimique.

Sur la foi de données parcellaires ou mensongères versées par le représentant du ministère de l’Agriculture, le juge des référés du Conseil d’État a ainsi considéré que la dérogation à l’interdiction des insecticides « tueurs d’abeilles » était justifiée par une menace indiscutable pesant sur la culture de betteraves à sucre.
Cette réautorisation repose sur une possibilité offerte par le droit européen de déroger à une interdiction, à la seule condition que l’utilisation de cet insecticide toxique soit limitée dans le temps et dans l’espace et qu’une menace grave et imminente soit clairement identifiée.
Or, le fameux puceron est très sensible à la température. Des froids polaires se sont abattus sur le nord de la France cet hiver et semblent avoir eu raison de ce pauvre puceron. La menace disparue, nous aurions pu croire que le ministère de l’Agriculture allait revenir sur sa décision de réautoriser un insecticide 5 000 à 8 000 fois plus toxique que le DDT, quant à lui interdit depuis la fin des années 1970.
Il n’en fut rien, contrairement aux Britanniques qui ont eu le courage de revenir sur une décision écocidaire. Pire, face au président du Conseil d’État, le ministère de l’Agriculture a produit une note de l’Institut national de la recherche agronomique (INRAE) apportant la « preuve » que les données climatiques produites en décembre 2020 n’avaient pas évolué (ce qui est faux) et que la vague de froid constatée en février n’avait eu aucune incidence sur la menace d’une nouvelle attaque de pucerons (ce qui est également faux).

Quand le lobby produit lui-même les données scientifiques !

À la lecture de cette note de l’INRAE qui a fortement influé sur la décision du Conseil d’État, l’avocat des associations a eu la surprise de constater que ce document avait été corédigé par l’organisme public et par l’Institut technique de la betterave, qui est la structure qui a constamment plaidé pour le grand retour des néonicotinoïdes !
Dans un jeu de rôle savamment orchestré, la plus haute juridiction administrative française a ainsi rejeté le recours des associations sur la foi de données coproduites par le lobby qui bénéficiera de la décision du Conseil d’État.
Ce jeu de dupe n’étonnera que celles et ceux qui accordent encore un quelconque crédit à ce genre d’institutions judiciaires, dont l’objet premier est d’assurer une cohérence d’ensemble à un système qui s’effondre. Après avoir rejeté le recours des ONG dénonçant l’attribution des fréquences 5G, récusé le bien-fondé des demandes des associations réclamant des périmètres sans pesticides réellement protecteurs des riverain∙es, le Conseil d’État a donc validé le principe d’un retour des insecticides « tueurs d’abeilles ». Il est d’usage de ne pas commenter une décision de justice. Nous ne la commenterons donc pas, mais nous n’en pensons pas moins, en espérant simplement que les petits soldats du destructivisme triomphant aient parfois le sommeil agité et la culpabilité pesante.
Stéphen Kerckhove

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